Chapitre 28
Quatre mois s'étaient écoulés, sans que Morgane n'ait une seule nouvelle de Dakota. Son ventre s'arrondissait progressivement, sans qu'il ne le voie. Et elle avait beau prétendre le contraire, elle ne s'était jamais remise de sa fuite. Les méchancetés qu'il lui avait hurlées s'étaient gravées dans son esprit. Lentement, la colère, la haine avait laissé place à une immense tristesse et à un profond sentiment de culpabilité. Tout était de sa faute, c'était elle qui était enceinte, donc... C'était à cause d'elle qu'il était parti. Mais malgré tous ses efforts... Elle l'aimait encore. Et c'était cela le pire. Elle rêvait souvent de lui, de leurs nuits passées ensemble, de ses yeux si beaux, de... De tout. Elle aimait tout chez lui. Sauf peut-être les accès de violence qu'il avait parfois. Mais il s'excusait toujours, alors... Elle lui pardonnait. Elle n'avait pas le choix.
C'était les souvenirs des moments tendres qui lui arrachaient le plus de larmes. Comment avait-il pu être aussi odieux, tout en ayant été auparavant si doux, si aimant ? Tout cela n'avait pas de sens ! Sans doute ne l'avait-il jamais aimée, malgré tous ses serments et ses mots d'amour. Cela pouvait expliquer la haine qu'il avait soudainement manifestée à son égard.
« - Morgane ? M'écoutez-vous ? »
Doucement, elle revint dans la réalité. Elle et Alexy se promenaient dans les jardins qui entouraient le manoir, et elle réalisa qu'elle n'avait pas écouté un seul mot de ce qu'avait pu dire son ami. Elle haussa les épaules :
« - Je suis navrée. Que disiez-vous ?
- Que j'en ai plus qu'assez de vous voir dans cet état. Asseyez-vous. »
Il la prit par la main et la fit asseoir sur un banc en pierre, avant d'entrelacer leurs doigts. Il baissa la tête, cherchant ses mots, pour finir par soupirer :
« - Ecoutez, mon amie... Je sais que votre situation n'est pas joyeuse, mais... J'ai l'impression d'avoir perdu la Morgane que j'aimais, celle qui riait, qui s'extasiait pour un rien...
- Alexy...
- Non, laissez-moi poursuivre. J'ai conscience du chagrin qui vous ronge. Je sais à quel point vous aimiez, et à quel point vous aimez toujours le roi. »
La rousse refusait d'admette devant lui qu'il avait raison. Il la pensait forte, alors lui dire qu'elle aimait encore Dakota... Ça aurait été admettre sa faiblesse de femme qui aimait passionnément un homme. Elle protesta en tentant d'être ferme :
« - Non, je vous assure que ce n'est pas vrai, je...
- Morgane, la coupa-t-il. »
Il la considéra longuement, et la jeune femme sentit des larmes perler à ses paupières. Elle se mordit la lèvre, l'écoutant continuer doucement :
« - Mais lui vous a abandonnée. Vous ne devriez pas vous apitoyer ainsi sur votre sort. Vous attendez un enfant ? Eh bien c'est une bonne nouvelle, car il aura la meilleure mère possible, et je vous aiderai à en prendre soin. Mais ce n'est pas de votre faute. S'il vous aimait vraiment... Il aurait accepté l'enfant. »
Lentement, elle sentit les barrières qui retenaient ses larmes s'effondrer, et elle se replia sur elle-même en sanglotant. Jamais son ami n'avait fait preuve d'autant de finesse dans ses analyses. Aussitôt, Alexy la prit dans ses bras, lui caressant les cheveux. Elle hoqueta :
« - Au moins, vous ne me dîtes pas que vous m'aviez prévenue...
- Non, car cela aurait rajouté de la culpabilité à celle que vous ressentez déjà.
- Je suis tellement triste, Alexy... Je l'aime tellement !
- Je le sais... »
Il la berça tendrement, la laissant pleurer sans l'interrompre. Elle sanglota :
« - Je le savais, au fond de moi, qu'il n'allait pas rester, qu'il ne m'aimait pas ! Je le savais... Si seulement je n'avais pas été amoureuse de lui dès le début... »
Elle retenait ses larmes depuis si longtemps, n'osant s'abandonner à son chagrin par peur des conséquences, qu'elle eut l'impression d'être écrasée par les pleurs. Elle se pressa contre lui avec désespoir, et gémit :
« - J'aurais tellement voulu qu'il accepte cet enfant, comme moi je l'avais accepté ! Tout aurait été tellement mieux, et...
- Je suis vraiment navré... Moi, j'aurais voulu qu'il ne joue pas ainsi avec vous, comme il l'avait fait avec toutes ces autres demoiselles. A vous voir, si heureuse et sûre de vous, je me suis laissé convaincre que vous disiez la vérité et qu'il vous aimait. Mais... Je n'aurais pas dû me laisser ainsi aveugler.
- Non, Alexy, je vous en prie... Ne faîtes pas cela. Ne culpabilisez pas... Tout est uniquement de ma faute. Vous m'aviez prévenue, et... Comme d'habitude, je ne vous ai pas écouté. »
Elle l'entendit soupirer, et releva la tête vers lui avec un petit sourire. Elle essuya ses larmes avant de lui embrasser la joue :
« - Je vous assure. Ce n'est pas de votre faute.
- J'aimerais vous croire, Morgane... »
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L'accident survint cinq jours après. Malgré les avertissements des femmes de chambre, qui lui disaient qu'elle devait se ménager par rapport à son état, Morgane décida d'aller chevaucher avec Alexy. Elle monta sur une belle jument alezane, comme son ami, et ils s'engagèrent dans la forêt qui jouxtait le domaine. Sur le chemin, elle lui demanda à voix basse :
« - Quelles sont les nouvelles ? »
Il la considéra longuement, puis haussa les épaules :
« - Oh, vous savez... Quelques scandales, et c'est tout.
- Et... Pour lui ?
- Aucune nouvelle maîtresse officielle. Mais Morgane, que vous ai-je déjà dit ?
- Je sais, qu'il fallait que j'arrête de me concentrer dessus. »
Elle lui adressa un sourire d'excuse, et pour le distraire, talonna sa jument pour galoper. Dans un grand éclat de rire, il la suivit, et ils galopèrent dans les bois, heureux de cette liberté. Soudain, Alexy tendit la main :
« - Regardez, là-bas ! »
La rousse plissa les yeux, et distingua au loin une biche. Elle eut un sourire ravi, fascinée par ces bêtes.
Mais brusquement, elle sentit sa monture heurter quelque chose, sans doute une racine, avant qu'elle ne chute. Ayant les pieds emprisonnés dans les étriers, elle ne put qu'hurler de frayeur, entraînée par l'animal. Elle heurta le sol avec un bruit sourd, avant de se dégager et de rouler instinctivement sur le côté, évitant ainsi de se faire piétiner par les lourds sabots. Elle commença à se relever, mais ressentit une vive douleur dans son ventre, et s'effondra à genoux avec un cri, les mains crispées sur son abdomen. Elle entendit à peine Alexy mettre pied à terre, toute concentrée sur l'enfant qu'elle attendait. Il lui agrippa les épaules pour qu'elle le regarde :
« - Morgane ?! Oh mon Dieu ! Allez-vous bien ? Regardez-moi, je vous en supplie !
- J'ai mal ! »
Elle vit dans ses yeux une angoisse réciproque à celle qu'elle éprouvait, et il amorça plusieurs mouvements avec des mains tremblantes, n'osant la relever ni la porter. Soudain, une crampe violente lui tordit le ventre, et elle se recroquevilla en gémissant. Elle avait entendu parler des femmes qui perdaient leur enfant à cause d'un choc trop violent, et sentit la frayeur l'envahir. Comment avait-elle pu être aussi stupide ?! Elle ne voulait pas perdre son enfant, le fruit de son amour avec Dakota ! Elle fondit en larmes, et aussitôt, son ami s'inquiéta :
« - Qu'avez-vous ? Morgane !
- J'ai peur, Alexy, je... Et j'ai mal ! »
Les sanglots la secouaient, et il la prit dans ses bras en espérant ainsi la calmer. Elle se raccrocha à lui de toutes ses forces, et hoqueta :
« - Et s'il m'arrivait quelque chose ? Si l'enfant... Si par ma faute...
- Calmez-vous, je vous en prie ! Il ne va rien se passer de grave, ne dîtes pas cela ! »
Il semblait terrifié, et elle ravala les terribles hypothèses qu'elle allait prononcer. Morgane resta un long instant dans ses bras avant que la douleur ne se dissipe peu à peu. Lentement, elle desserra son étreinte sur les épaule de son ami, et murmura :
« - C'est passé, je... Je crois que c'est fini.
- Il est hors de question que vous remontiez sur cette jument.
- Mais je vous dis que je n'ai plus mal, et...
- Morgane ! »
Il l'aida à se relever, et la soutint par la taille en tempêtant :
« - Moi vivant, vous ne remonterez pas sur cet animal ! Vous auriez pu mourir, écrasée sous son poids ! Voulez-vous encore risquer votre vie ainsi que celle de votre enfant ?! »
L'argument fit mouche, et elle secoua la tête, reprise par les larmes :
« - Non, je... Je suis une personne horrible !
- Je n'ai pas dit cela, et vous le savez. Vous êtes... Epuisée, autant physiquement que moralement. »
Il essuya ses pleurs, et lui demanda doucement :
« - Pensez-vous êtes capable de marcher ?
- Je... Je ne sais pas. »
Alexy soupira, et la souleva dans ses bras :
« - Je préfère ne pas prendre de risques. »
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Le verdict avait été clair. Elle ne devait plus sortir de son lit, et si elle se relevait, Morgane devait faire le moins d'efforts possibles. Elle était consciente que c'était uniquement de sa faute, alors avait évité de grommeler. Mais être allongée en permanence lui était pesant. Ne pouvant plus sortir prendre l'air, se promener si chevaucher, elle était réduite à lire, et écrire à son père et à Alexy. Dès le début, elle avait préféré taire son état à son géniteur, redoutant une sanction, où qu'il ne lui ordonne de revenir en Bretagne pour la marier à un vieil homme peu exigeant. Alors, elle faisait comme si elle était toujours à la Cour, s'aidant des anecdotes de son ami pour camoufler la vacuité de son existence. Et jusque-là, elle était parvenue à faire illusion.
Mais ces mensonges n'amélioraient en rien le sentiment de culpabilité qu'elle ressentait. Encore une fois, c'était de sa faute si elle était obligée de mentir. Elle aurait dû résister à Dakota, et... Et ne jamais connaître un amour pareil ? C'était au-dessus de ses forces. Cet amour qui l'avait habitée, et qui l'habitait encore était, avant, sa raison de vivre. Chaque jour, elle attendait avec espoir la venue du roi, elle attendait ses étreintes et ses baisers, parce qu'il lui donnait l'impression d'être importante. Tous les reproches qu'avait pu lui faire sa mère s'effaçaient, remplacés par la certitude d'être parfaite comme elle était. Et... C'était fini. Plus personne ne pourrait lui procurer ce sentiment d'importance, car jamais elle n'aimerait un autre homme comme elle avait aimé Dakota, elle le savait.
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