Chapitre 1

Le carrosse s'arrêta, et, à l'intérieur, Morgane entendait déjà l'animation qui régnait aux alentours. Elle tritura d'un geste nerveux les dentelles de ses manches, avant de souffler en se détendant. Un laquais vint lui ouvrit la portière, et elle attrapa la main qu'il lui tendait avant de descendre de la calèche. Le soleil l'éblouit, et elle plissa les yeux pour distinguer l'endroit où elle se trouvait, avant de les écarquiller. Elle détailla d'un air admiratif la grille ouvragée recouverte d'or, qui s'ouvrait sur un espace dallé, puis sur le plus beau château qu'elle n'ait jamais vu. Mais avant qu'elle ne puisse s'émerveiller davantage, une silhouette se planta devant elle, et la jeune femme reconnut sa mère. Cette dernière, bien plus jeune que le père de Morgane, l'examinait d'un air critique. La rousse lui rendit la pareille, et ouvrit de grands yeux devant la somptueuse tenue de sa mère. En effet, Marie-Louise de Kerange portait une robe de soie bleue et brodée de fils d'or, qui rappelaient la couleur azur de ses yeux, dont avait hérité Morgane. Mais leur ressemblance s'arrêtait là, car sa mère était d'une blondeur diaphane, qui lui donnait un air angélique. Mais derrière cet aspect se cachait une volonté de fer, et une avidité inassouvissable de richesse, ainsi qu'un dédain et un désintéressement total pour sa fille. Ses cheveux étaient élégamment relevés et maintenus avec des pinces d'or, tandis que son visage était poudré et fardé à la dernière mode, et elle exhibait fièrement de riches bijoux sertis de diamants. Ses épaules étaient dénudées, et le corsage découvrait largement sa gorge.

A côté d'elle, Morgane faisait bien piètre figure, avec sa robe de toile brune, tout juste brodée de quelques fils argentés. Sa chevelure rousse était attachée en un simple chignon piqué par une longue pince, d'où s'échappaient quelques mèches bouclées. Uniques bijoux, elle portait un bracelet en argent finement ciselé, offert par son père à sa majorité, ainsi qu'une bague, et son visage était exempt de tout cosmétique. Sa figure n'attirait pas immédiatement l'œil, mais quand on la contemplait plus longuement, on remarquait le bleu limpide de ses yeux, son nez retroussé, et sa bouche, souvent étirée dans un ravissant sourire.

Marie-Louise finit par soupirer d'un air théâtral :

« - Mon Dieu, le travail sera plus ardu que je ne le pensais...

- Bonjour, mère. »

La rousse embrassa délicatement la joue fardée que lui tendait sa mère, et s'efforça de sourire devant cet accueil glacial. Elle ne s'attendait pas à ce que sa génitrice soit ravie de la revoir, mais elle pensait qu'elle serait plus agréable. La blonde tourna ensuite autour de sa fille en fronçant le nez :

« - Bon, je pense qu'en vous habillant avec des robes de dernière mode, et en vous arrangeant un peu, nous pourrons vous marier. Mais cela dépendra aussi de votre caractère. Je vous demande donc de vous contrôler en société, et de cesser vos effusions de joie. Car la Cour, ma chère, est le royaume de la retenue et de la maîtrise de soi. Bien, maintenant, suivez-moi. »

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Après lui avoir fait visiter les appartements qu'elles allaient désormais partager, sa mère s'était excusée, puis était partie, laissant Morgane seule. La jeune femme déambula dans les quelques pièces qu'elle allait habiter. Elle avait sa propre chambre, peu spacieuse, mais l'étant assez contenir un massif lit, une coiffeuse et une grande armoire, ainsi qu'un petit secrétaire. Il n'y avait pas de fenêtres, et elle devait donc continuellement laisser les bougies allumées, sauf lorsqu'elle s'absentait, pour éviter les incendies. Sa chambre s'ouvrait sur un corridor, qui donnait accès à la pièce où dormait sa mère, nettement plus grande que celle de la rousse, un cabinet de toilette, et une sorte de petit salon, ainsi qu'une antichambre pour faire attendre les éventuels visiteurs. Morgane ne savait comment sa mère avait pu obtenir un tel logement, mais ne s'intéressait pas à la réponse, car elle avait peur de découvrir jusqu'où Marie-Louise était allée pour avoir des appartements pareils.

A la place, elle préféra déambuler dans les quelques pièces, puis retourna dans sa chambre et s'assit au bord de son lit, observant les malles ouvertes, à côté de l'armoire, et semblant attendre qu'une quelconque servante vienne les débarrasser de leur contenu. En voyant les robes qu'elle avait emmenées avec elle de Bretagne, elle eut soudain honte. Il lui semblait être une pauvresse. Elle avait bien vu des dames et des demoiselles pendant le court temps qu'elle avait passé dehors, et elles étaient toutes soigneusement préparées, comme sa mère. A côté d'elles, avec ses tenues de campagnardes, la rousse faisait bien pâle figure.

Elle soupira, et fouilla un instant dans les malles, avant de sortit une liasse de feuilles, un encrier et une plume, ainsi qu'un canif. Elle vint s'asseoir devant le secrétaire, et entreprit d'écrire à son père. La séparation avait été difficile des deux côtés, car Morgane était bien plus attachée à son géniteur qu'à Marie-Louise. Cette dernière était partie il y avait quelques années de cela à la Cour, arguant que la vie dans ce château reculé de tout n'était pas faite pour elle. Elle avait au passage emporté l'argent de sa dot avec elle, et laissé son mari se morfondre seul avec sa fille. Louis avait beau tenté de faire illusion, la rousse s'était vite rendue compte que l'absence de sa femme le désolait. Alors, elle s'était efforcée de passer le plus de temps possible avec lui. Elle dédaignait les promenades à cheval dans leur propriété pour lui faire la lecture, chanter pour lui, ou danser quelques menuets en sa compagnie. Cela ne la dérangeait pas, car elle n'aimait pas voir son père affligé. Ne sortant peu, Morgane n'avait donc pas d'amies, se contentant des servantes qui l'aidaient dans ses tâches quotidiennes.

La jeune femme tailla soigneusement sa plume, la trempa dans l'encre, et hésita un court instant avant d'écrire. Elle avait la manie de murmurer ce qu'elle écrivait, et ne fit pas exception à la règle :

« - Cher père. Je suis bien arrivée à la Cour, et j'ai revue mère. Elle... La rousse hésita, puis décida de ne rien révéler du comportement de la blonde. Elle se porte bien, et a été ravie de me revoir. Nous logeons actuellement toutes les deux dans de ravissants appartements, et tout est très joli et agréable. J'espère que... »

Elle soupira, et se mordilla la lèvre d'un geste instinctif. Puis, elle continua d'écrire en s'efforçant de paraître légère :

« - J'espère que tout va bien là-bas, et que vous n'oubliez pas de nourrir Flamme. Je vous embrasse avec amour et affection. Morgane. »

Elle eut un sourire en repensant au petit chaton roux qu'elle avait recueilli quelques jours avant de partir, et qu'elle avait renommé « Flamme ». Mais son sourire se fana lorsqu'elle imagina son père seul dans les couloirs glacials du vieux château de pierre, et elle eut un soupir triste. Pour ne pas sombrer dans le désespoir, elle plia sa lettre, la mit dans une enveloppe et la cacheta avec un bâton de cire rouge. Elle y apposa sa bague comme sceau, et la déposa à côté d'elle, pour penser à la faire envoyer.

En se relevant, elle constata que sa mère n'était toujours pas revenue. Elle hésita, puis avisa le temps radieux qu'il faisait dehors. Alors, elle dévida une des malles, s'empara d'un livre, et sortit des appartements. Sur son chemin, elle croisa plusieurs personnes, qui jaugeaient toutes sa pauvre tenue d'un œil critique. Certaines dames camouflaient même leurs rires moqueurs en quinte de toux, ou alors cachaient leurs sourires derrière leurs éventails. Morgane fut tentée de tourner les talons et de retourner s'enfermer dans sa chambre, puis songea que son père lui aurait dit de ne pas se préoccuper des commérages. Alors la rousse haussa le menton et se redressa pour paraître droite. Puis, le regard fixé devant elle, elle passa devant les personnes croisées sans faire attention à elles.

A chaque détour, à chaque coin de couloir, elle restait émerveillée devant la richesse des décors, et ralentissait le pas pour tout admirer. Mais, trop rapidement à son goût, elle déboucha dans un hall qui donnait accès aux jardins. Elle descendit les quelques marches, et foula les cailloux qui recouvraient le sol. En plissant les yeux à cause du soleil, elle regretta de ne pas avoir pris d'ombrelle, et se dirigea rapidement vers les endroits abrités. Elle dévorait des yeux les buis taillés avec art, les fleurs soigneusement arrangées, et tournait la tête dans tous les côtés pour ne rien manquer. Mais elle recherchait avant tout un peu de silence, et plissa le nez en entendant de toutes parts des gloussements féminins. Elle attrapa sa robe pour la relever afin d'éviter de la salir, et, à force de marcher, elle arriva dans une partie plus reculée que personne ne fréquentait. Les arbres la protégeaient du soleil qui chauffait, et les feuillages n'étaient pas taillés. Les bruits des jardins principaux s'étaient estompés, et elle n'entendait que le bruit du vent. Elle se croyait dans la forêt qui entourait son château breton, et eut un léger sourire en écoutant le bruissement de ses pas sur les feuilles qui jonchaient le sol. Elle avisa un banc en pierre, et s'y assit avant d'arranger ses jupes autour d'elle. La jeune femme passa sa main d'un geste machinal sur la couverture, suivant du doigt le relief du titre, La Princesse de Clèves. C'était un livre qu'elle connaissait par cœur, à force de l'avoir parcouru encore et encore. Elle ouvrit son livre à la page où elle l'avait laissé, indiquée par un bout de tissu découpé d'une vieille robe qu'elle aimait beaucoup, et continua sa lecture.

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Lorsqu'elle releva la tête du livre, elle remarqua que le jour avait légèrement diminué. Aussitôt, elle se leva, et lissa sa jupe en songeant que sa mère allait s'inquiéter. Puis, elle s'arrêta de bouger, et soupira. A vrai dire, Marie-Louise l'avait sûrement oubliée, occupée qu'elle devait l'être à parader dans sa magnifique tenue. Alors, Morgane se rassit sur le banc, avant de se relever et de faire quelques pas en s'étirant. Elle fit jouer les muscles de ses épaules, et décida de marcher un peu. Elle prit son livre, et se dirigea au hasard dans les jardins. On voyait bien que des efforts avaient été faits pour maîtriser la nature, mais ils semblaient avoir été abandonnés. Cependant, après avoir marché de longues minutes, la rousse décida de rentrer pour s'allonger un moment. Alors, elle fit demi-tour, et tenta de retrouver le chemin qu'elle avait emprunté peu de temps auparavant. A un instant, elle eut peur de se perdre. Mais elle finit par déboucher sur une sorte d'allée principale dans ces jardins, et la suivit avec soulagement. Puis, elle arriva sur un chemin parallèle des jardins principaux. Elle aperçut des personnes à l'horizon, et, en se retournant, elle reconnut la masse imposante du château. Elle se détendit, et marcha d'un pas plus tranquille en direction du bâtiment.

Lorsqu'elle arriva devant ses appartements, elle tendit l'oreille, mais n'entendit aucun bruit provenant de l'intérieur. En soupirant, elle poussa la porte, et pénétra dans l'antichambre. Elle ne s'y arrêta, et se risqua à passer la tête dans la chambre de sa mère. La pièce était vide. D'un geste rageur, Morgane se dirigea vers sa chambre, lança le livre par terre, et monta sur son lit pour enfoncer ses poings dans l'un de ses oreillers. Elle avait parfois des accès de colère qu'elle ne pouvait soulager qu'en se déchaînant. Et en cet instant, elle détestait sa mère. Marie-Louise n'avait eu aucun scrupule à la faire venir ici, dans ce monde qu'elle ne connaissait pas, et dans lequel elle ne pouvait évoluer seule, avant de la laisser seule. Elle donna un dernier coup dans la toile, et s'assit, rejetant ses quelques mèches libres en arrière. Elle considéra d'un air songeur l'oreiller, puis essuya les larmes qui avaient coulées sur ses joues. Enfin, elle se roula en boule, et ferma la yeux en essayant de ne pas penser à son père.


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