Chapitre 3.2 : L'Opéra
L'opéra était un monument somptueux. Il trônait au centre d'une immense place, déployant ses colonnades face au fleuve, dans lequel se reflétait le soleil couchant. Ses vitraux et bas-reliefs étaient couverts de dorures. Deux grandes statues figurant des muses étincelaient, encadrant une coupole d'or mirobolante.
Marnie attendait au pied du bâtiment. Elle arborait une robe étonnamment sobre en tulle de soie noire et aux broderies mordorées, moulant ses hanches rondes. Ses cheveux avaient été ramenés en un chignon bas et étaient ornés d'une résille sombre et d'un peigne éclatant. Le contraste avec la tenue choisie par Adélie était saisissant. La jeune femme portait une grandiose robe de satin immaculé, évasée à partir de la taille. Un bustier à l'encolure en coeur laissait apparaître la naissance de ses seins, entre lesquels venait se blottir un délicat pendentif en diamant. Ses pâles épaules étaient soulignées des manchettes drapées d'organza diaphane. Au comble de l'audace, ses cheveux châtains cascadaient jusque dans son dos, à demi relevés dans une queue haute.
— Vous apprenez vite, la félicita la marquise avant de l'entraîner à l'intérieur.
Adélie n'eut pas le temps d'observer la splendeur des lieux. Marnie l'aida à se faufiler à travers une foule magnifiquement vêtue, les robes colorées et les costumes queue de pie valsant devant ses yeux. Elles atteignirent bientôt le superbe escalier de marbre qu'elles gravirent en essayant désespérément de ne bousculer personne. Ce n'est qu'en arrivant dans la loge de la marquise, après avoir monté une nouvelle volée de marches, qu'Adélie comprit la raison de cette ascension précipitée.
Si la position n'était pas parfaite lorsqu'il s'agissait de contempler la scène, la niche qu'avait choisie Marnie offrait une vue imprenable sur la loge princière, en contrebas. Et ce soir, le prince était de sortie. Accompagné d'une demi-douzaine d'invités tous masculins, il était plongé dans une discussion animée. Gérôme de Courrême était à peine sorti de l'adolescence. Adélie ne parvenait pas à distinguer précisément ses traits, mais elle en devinait la rondeur. Une fine couronne d'argent ceignait son front, aplatissant sa crinière rousse. Son costume vert sombre et opalin faisait ressortir l'émeraude de ses yeux. Elle l'entendait distinctement raconter l'histoire de la pièce à venir à son interlocuteur de sa voix nasillarde. L'homme en question était de dos, si bien qu'Adélie ne pouvait voir son visage. Grand et bien bâti, il portait un uniforme noir. Une chevelure d'ébène balayait ses épaules à chaque mouvement de sa tête. Il répondait au prince d'une voix grave et pénétrante, avec un léger accent caressant qu'Adélie ne parvenait pas à replacer.
Leur discussion n'ayant que peu d'intérêt, Adélie reporta son attention sur la salle qui l'environnait. D'abord, elle observa la fresque du plafond. Celle-ci illustrait un ciel étoilé et ce qui lui sembla une infinité de lumignons matérialisaient les astres. Le reste de la salle était entièrement capitonné d'un velours bleu roi, à l'image du lourd rideau qui se levait. Marnie tendit une paire de petites jumelles ciselées à sa compagne, alors que les lumières s'éteignaient.
Une musique quelconque résonna. Le décor dévoilé était plutôt banal et toute la prestation qui suivit était à la hauteur de la description de Marnie : plate et insipide. Presque médiocre. Mais elles n'étaient pas là pour se divertir. Finalement le rideau tomba comme un soulagement, sur un dernier tableau fastidieux.
L'éclairage fit son grand retour et les conversations reprirent. La marquise attrapa Adélie par le bras et l'entraîna rapidement vers la sortie. Elles dévalèrent les quelques marches qui les séparaient du couloir principal, puis Marnie s'arrêta soudainement, à deux pas de l'escalier. Elle avait manifestement l'intention de croiser le groupe du prince.
La porte de la loge princière ne s'ouvrit que quelques secondes plus tard. Marnie fit mine d'arriver au même moment.
— Votre Altesse, se réjouit-elle, quel heureux hasard !
— Madame de Callès, répondit-il avec un sourire, c'est toujours un plaisir. Mais dîtes-moi, nous n'êtes pas venue seule ? ajouta-t-il en dirigeant ses yeux vert vers Adélie.
— Votre Altesse, j'ai l'immense joie de vous présenter ma filleule, Madame la Comtesse de Serrelie.
Adélie s'inclina dans une gracieuse révérence, bien trop consciente du regard lascif qu'il fixait sur elle.
— C'est un honneur, Votre Altesse, salua-t-elle.
— C'est moi qui suis honoré, Madame. Si seulement on m'avait dit que je rencontrerai la plus jolie femme de la principauté, je me serais coiffé !
Sa tentative de trait d'humour déclencha quelques petits rires faux parmi ses invités. Adélie rougit et releva doucement la tête. Le Prince Gérôme n'avait que peu de charme. Sa figure était encore enfantine, au contraire de l'homme à la peau hâlée qui se tenait derrière lui. Celui-ci était d'une beauté saisissante. Une barbe naissante affirmait une mâchoire bien dessinée et mettait en valeur des lèvres pleines. Il semblait ignorer Adélie, son regard d'ambre flamboyant avec méfiance en direction de la marquise.
— Votre Altesse, s'excusa Marnie, nous ne voudrions pas vous mettre en retard.
— Non, non, bien sûr que non, bafouilla le prince, lâchant enfin des yeux Adélie. Je vous verrai lors des festivité du solstice, n'est-ce pas ? se reprit-il. C'est encore vous qui les organisez cette année ?
— Comme tous les ans depuis quinze ans, Votre Altesse, confirma la marquise.
— Me voilà rassuré ! Je vous souhaite une bonne nuit Mesdames !
Le petit groupe passa devant elles, rejoignant l'escalier de marbre qui menait à la sortie. Marnie attendit quelques minutes après son départ pour se tourner vers sa jeune protégée :
— Ma chère, je crois bien que vous méritez vos dix pour cent.
Elle n'ajouta pas un mot ni n'attendit de réponse et s'orienta à son tour vers l'issue du bâtiment. Ce n'est qu'une fois dans la rue, devant sa voiture qu'elle invita :
— Je tiens le dernier dîner d'organisation du festival la semaine prochaine. J'aimerais beaucoup que vous vous joignez à nous.
Adélie sourit et hocha la tête.
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