Chapitre 2.2.2 : Résignation - Partie 2/2


— Passionnant, n'est-il pas ? s'extasia la marquise. Un de mes bons amis est particulièrement intéressé par la question. Il a travaillé sur la conception du moteur à vapeur des trains et souhaiterait développer de plus petites locomotives qui circuleraient en ville.
— Voilà qui me rendrait bien service ! s'exclama Adélie en se tournant vers son hôte, essayant de cacher son admiration.


Marnie de Callès portait une tenue à couper le souffle. Ses formes voluptueuses et ses jambes interminables étaient mises en valeur par une combinaison de superbe soie bleue nuit. De complexes broderies d'argent et de pierreries soulignaient son corsage. Un caftan gris perles aux motifs étonnants, élégamment ceinturé à la taille, finissait de l'habiller. Adélie n'avait jamais vu une toilette plus osée.


— Vous excuserez ma tenue, dit la marquise devant l'air subjugué d'Adélie, ma couturière devait venir pour l'essayage final de cette splendide surprise que je réserve pour le bal du solstice d'hiver. Mais elle n'est pas venue.
— Espérons qu'il ne lui soit rien arrivé, se ressaisit Adélie.
— Ne vous en faites pas, rit Marnie. Ce n'est pas la première fois qu'elle oublie un rendez-vous. Et ce ne sera pas la dernière !


Quel crédit Adélie devait-elle accorder à cette histoire ? À quel jeu jouait la marquise ? Lui faisait-elle miroiter son fastueux train de vie ? Si tel était bien le cas, Adélie était forcée de reconnaître que cela fonctionnait à merveille.

Un valet vint discrètement avertir Marnie que le déjeuner était prêt à être servi. Adélie fut alors invitée à la suivre dans la salle à manger.

La pièce, attenante à la bibliothèque, était somptueuse. Richement décorée avec des boiseries éclatantes et de délicates dorures, elle rayonnait de soleil. Cette impression de lumière était décuplée par l'immense miroir qui coiffait la cheminée faisant face à une enfilade de fenêtres. La table, dressée en son centre, était fabuleuse. La porcelaine d'une rare délicatesse, arborait de lointains et dépaysants motifs. La verrerie de cristal brillait, tout comme les couverts en argent. Un second valet l'invita à s'asseoir en tirant légèrement sa chaise. Adélie prit place face aux fenêtres. La vue sur les quais de la Phonche et la ville au loin était éblouissante.

Les plats et mets se succédèrent, tous plus exquis les uns que les autres. Adélie profita de chaque bouchée, chaque texture, chaque saveur. Elle goûta des vins délectables venant de l'autre bout du monde, écoutant Marnie lui expliquer les voyages et rencontres qui lui avaient permis ces découvertes. Pas une seule fois elles n'abordèrent l'épineux sujet qui les amenaient à se rencontrer au cours de ce divin repas.

Lorsqu'elles eurent fini de manger, Marnie proposa à Adélie de la suivre dans le petit salon. Elles y accédèrent en traversant un étroit couloir, camouflé derrière une tapisserie. La pièce était beaucoup plus petite, mais non moins confortable. Elle était aveugle et Adélie dû s'habituer au contraste de luminosité. Quelques lampes aux chaudes lueurs tamisées et deux grands canapés de velours rouge se faisant face invitaient à la confession. Une belle cheminée de bois sombre et ouvragé crépitait doucement. Adélie s'assit dans l'un des divans alors que Marnie fermait les deux portes épaisses qui condamnaient le seul accès à la pièce.

La marquise se dirigea vers une grande commode, sortit un plateau, une carafe, deux verres et une longue boite en bois brillant. Elle posa le plateau sur la table basse qui se tenait entre les deux canapés, puis s'installa en face de son invitée. Après avoir servi deux verres d'un alcool couleur d'ambre, elle ouvrit sa boîte à cigares et en proposa un à Adélie, qui refusa poliment. Marnie ne s'en vexa pas et alluma le sien d'une main experte. Elle s'enfonça dans le dossier et soupira d'aise alors qu'elle humait les arômes de tabac.


— Donc, vous êtes venue, dit simplement la marquise au bout de quelques minutes.
— Je me suis renseignée, avança Adélie.
— Et qu'avez-vous découvert ? demanda Marnie, amusée.
— Que vous ne tenez pas de bordel et que vous êtes douée en affaires.


Marnie sourit et tira lentement une bouffée de son cigare.


— On peut dire ça. Je suppose que vous avez entendu parlé de mon mari ?
— Les on-dit ne m'intéressent pas. Vous êtes une femme indépendante et riche, ce que j'admire et ce à quoi j'aspire.


Marnie la scruta silencieusement quelques instants, tira à nouveau sur son cigare et souffla lentement l'odorante fumée.


— Dans ce cas, je crois pouvoir vous aider, dit-elle finalement, avant de continuer. Comme vous l'avez si justement découvert, je ne vends pas de charmes, mais de l'influence et des renseignements. Mes clients font appel à moi pour les aider à faire avancer leurs affaires dans la bonne direction.
— Mais cela peut nécessiter de faire appel à ses charmes, pointa Adélie.
— Vous m'avez comprise, valida Marnie, satisfaite. Je pense que vous avez le potentiel pour m'aider à développer mon activité.
— Vraiment ? demanda Adélie sur un ton qu'elle espéra détaché.
— Vous êtes une jeune femme charmante, instruite. Vous êtes noble et veuve. Vous rêvez d'indépendance. Alors, si vous acceptez de travailler pour moi tous vos désirs deviendront réalité.
— Tout cela est bien aguicheur, Madame. Mais qu'attendez-vous concrètement de moi ?
— Que vous vous rapprochiez de certaines personnes et que vous leur suggériez d'intercéder en faveur des intérêts de mes clients. Vous serez seule juge des moyens à mettre en place pour obtenir les résultats escomptés.
— Qui sont vos clients ? demanda sans détour Adélie.
— Ils viennent de tous horizons et ont un point commun : ils ont autant d'or qu'ils sont dénués de charme.
— Et leur or ne leur suffit pas à s'acheter les faveurs et privilèges dont ils ont besoin ?
— N'est-ce pas ce qu'ils font en s'adressant à moi ?


Adélie n'insista pas. Elle avait compris. S'offrir les services de Marnie de Callès était moins cher qu'avoir recours à la corruption. C'était aussi moins risqué. Et puis, si tout le monde a un prix, tout ne se paye pas en or. Prenant les devants, elle demanda :


— Lors de notre dernière rencontre, vous m'avez proposé le remboursement de mes dettes et un revenu substantiel. De combien parle-t-on ?
— J'ai donc piqué votre curiosité ? Je m'engage à prendre en charge vos frais de garde-robe, la rénovation de votre demeure, vos dépenses courantes - comprenant votre personnel de maison, ainsi qu'une commission sur les gains que vous me permettrez de réaliser.
— Je veux dix pour cent, risqua Adélie.


Marnie rit aux éclats, puis déclara :


— Nous allons voir si vous les méritez.

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