Chapitre 2.2.1 : Résignation - Partie 1/2


Adélie consacra la semaine qui suivit à rassembler autant d'informations qu'il lui fut possible au sujet de Marnie de Callès. Avant de choisir de s'entretenir à nouveau avec elle, Adélie devait être certaine des motivations de la marquise ; la question la plus importante étant la nature de son entreprise. Adélie était désormais convaincue qu'elle n'était pas maquerelle. Mais c'était à peu près la seule certitude qu'elle avait sur cet étrange personnage.

Malgré l'aide de Thibault, qui comptait parmi son réseau les domestiques des plus grandes maisons d'Équerelle, elle restait perplexe. Bien sûr, elle était parvenue à réunir quelques renseignements intéressants. Elle avait notamment appris le décès du Marquis de Callès, survenu vingt ans plus tôt. Et, bien que sa belle-famille avait accusé la jeune Marnie d'empoisonnement, aucune poursuite n'avait été engagée. Marnie ne s'était jamais remariée et son train de vie était bien supérieur à ce que les modestes revenus de ses terres pouvaient lui permettre. Enfin, elle avait ses entrées à la Cour du Prince et entretenait de cordiales relations avec les personnages les plus influents de la scène politique de Courrême.


— Certains racontent qu'elle a pris des positions dans les plus grandes entreprises de commerce maritime alors qu'elles n'en étaient qu'à leurs balbutiements, avait exposé Thibault, devant l'air dubitatif d'Adélie.
— Je doute qu'elle s'intéresse à l'entreprise de mon père. Elle aurait pu aller le voir directement et doit se douter que nous ne sommes pas en excellents termes.


Après une minute d'hésitation, Adélie ajouta :


— Je souhaiterais organiser une rencontre.


Marnie de Callès l'invita à déjeuner la semaine suivante. Adélie appréhendait ce rendez-vous et ne savait toujours pas à quoi s'attendre. Elle se prépara avec soin, enfilant une robe en velours d'un bleu sombre, presque noir. Le tissu avait vieilli, la coupe n'était pas de la dernière mode et Adélie flottait dedans, mais c'était ce qu'elle avait de mieux. Ses cheveux châtains lui donnèrent du fil à retordre, mais elle parvint à les remonter en ce qui lui sembla un chignon correct. Son regard accrocha son image dans le miroir. Dieu, qu'elle faisait peine à voir ! Quand avait-elle perdu autant de poids ? Elle avait l'air si maigre... Et bien plus âgée que ses vingt printemps ! Son teint terne et ses lèvres sèches n'y étaient pas pour rien. Elle soupira en fixant le reflet de ses yeux vairons. C'était à cause de cette tâche marron dans le bleu de son iris gauche que son père l'avait toujours méprisée. C'était sa tare, comme il disait. L'aurait-il rejetée s'il en avait été autrement ? Adélie secoua la tête et cessa d'y penser. Elle étala un peu de fard beige sur ses paupières, puis se détourna du miroir et dévala le grand escalier.
Thibault l'attendait dans l'entrée. Il lui présenta sa cape et lui demanda, hésitant :


— Vous êtes sûre de vouloir y aller ? Il n'est pas trop tard pour faire marche arrière.
— Allons-y, répondit simplement Adélie.


Marnie de Callès résidait sur l'autre rive de la Phonche, à quelques encablures du Palais. De ce côté du fleuve, les rues étaient plus larges , les maisons plus belles. Et la demeure de la marquise n'avait rien à envier à ses voisines. C'était un hôtel particulier magnifique. De briques fauves et orange brûlée, il était décoré de chaînes de pierres blanches. La bâtisse s'élevait sur trois niveaux et était coiffée d'un toit d'ardoises mansardé. Des géraniums roses et pourpres sublimaient chacune de ses innombrables fenêtres. Des balconnets ouvragés aux motifs fleuris parachevaient le tout. Adélie avança dans l'allée dégagée, une myriade de gravillons immaculés craquant sous ses pieds. Elle grimpa les quelques marches, encadrées d'imposants hortensias qui dégageaient une douce et exquise senteur, puis atteignit la grande porte d'acajou.  À peine eut-elle le temps de toquer qu'une jeune femme vêtue d'un uniforme impeccable lui ouvrit :


— Bienvenue, Madame la comtesse. Veuillez me suivre, nous allons vous annoncer.


Adélie pénétra dans une entrée superbe, qui s'ouvrait sur un double escalier de marbre. La jeune domestique la conduisit jusque dans une grandiose bibliothèque, baignée de lumière. Les murs étaient couverts de rayonnages chargés du sol au plafond. Celui-ci était décoré d'une étrange scène de chasse et souligné par de fabuleuses moulures. Aucun tapis n'entachait la vision d'un sublime parquet en rosace. La plus longue table qu'Adélie n'avait jamais vue trônait au centre de la pièce. Une ancienne carte de l'archipel y était déployée. Des pions de bois de teintes différentes étaient positionnés suivant ce qui devait être une célèbre stratégie militaire. D'autres cartes, plus belles et travaillées les unes que les autres étaient exposées sur plusieurs bureaux. Certaines détaillaient des régions dont Adélie n'avait jamais entendu parlé.

Au fond de la pièce s'ouvrait une grande et agréable véranda, jonchée de plantes colorées. Un jardin d'hiver exotique et parfumé. Adélie se laissa allez dans un confortable sofa et se délecta de la chaleur de quelques rayons de soleil sur son visage. Le bruit de pas sur le parquet, légers et assurés, la sortirent de sa torpeur.

Une autre jeune domestique, elle aussi tirée à quatre épingles, lui apporta une tasse de thé et quelques biscuits au citron sur un plateau d'argent. Adélie accepta avec plaisir. Le thé était infusé à la perfection ; elle se régala de ses arômes d'écorce d'orange et de bergamote. Les biscuits, quant à eux, bien que moelleux et savoureux, étaient trop sucrés à son goût. Supposant, devant tant d'attention, que la marquise n'était pas encore prête à la recevoir, Adélie parcourut, curieuse, les rayonnages de la bibliothèque.

Il n'y avait aucun roman, ni aucune fiction. Les ouvrages rassemblés abordaient l'histoire, la géographie, l'économie, la politique, les sciences et même la théologie. Beaucoup de sujets dont on dit qu'une femme bien éduquée se doit d'ignorer. Une double étagère était dédiée à des livres traitant de la théorie des pierres d'énergie. Une matière qui avait toujours fasciné Adélie. Elle saisit l'un des tomes et l'ouvrit au hasard. Le paragraphe qu'elle lut détaillait la procédure de « recharge » d'une pierre préalablement vidée, expliquant que lorsque battue par les déferlantes au cours d'une tempête, cette « batterie » pouvait emmagasiner l'énergie de l'eau. Le passage suivant pointait la difficulté de maîtriser la charge du feu et de l'électricité. Adélie était absorbée par sa lecture quand Marnie de Callès fit son entrée.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top