Chapitre 2.1 : Abandon


Sa rencontre avec Madame de Callès avait plongé Adélie dans une profonde colère. Pas un instant elle n'avait cru aux parles rassurantes ou aux airs effarouchés de la marquise. De la nature de l'emploi offert, elle n'avait que peu de doutes. Et elle était révoltée. Voilà donc ce que pensaient d'elle ses pairs ? Quand ils ne la traitaient pas de tueuse, ils la voyaient vouée à la mendicité ou à la prostitution ?

Blanche lui apporta un plateau avec du pain, du beurre et quelques fruits. Adélie la remercia, mais elle était bien trop énervée pour déjeuner. Elle regarda autour d'elle, désespérée. La pièce était nue. Elle l'avait connue pleine de vie le jour de son mariage. Les murs étaient couverts d'œuvres d'art. Le sol était décoré de luxueux tapis. Le comte avait même une magnifique horloge en or qui trônait au dessus de la cheminée. Adélie se demanda comment il avait pu feindre si longtemps un tel train de vie. Elle l'avait découvert joueur invétéré après sa mort. Sa chance avait-elle tourné trop rapidement ? Quoiqu'il en soit, il n'était plus de ce monde et elle avait hérité de ses dettes.

Elle fit tourner son alliance entre ses doigts. Elle l'avait conservée jusqu'à maintenant, espérant ainsi calmer les rumeurs. Mais elle n'avait plus le choix. La liberté, même pauvre et traitée d'assassin, était préférable à une peine de prison pour ses dettes non réglées. Elle appela Thibault et le jeune homme accourut. Elle laissa glisser l'anneau d'or et de diamants de son annulaire et le lui tendit.


— Essayez d'en tirer le meilleur prix, voulez-vous ?
— Bien, Madame, répondit-il en saisissant la bague.


Il rougit en effleurant la main d'Adélie, mais elle était trop profondément perdue dans ses pensées pour s'en apercevoir. Embarrassé, il quitta rapidement le salon, évitant le regard de la jeune femme.

Thibault revint le lendemain avec une petite bourse pleine et quelques missives. En comptant le contenu de la bourse, Adélie eut l'esprit plus léger. La vente de son alliance lui permettrait de rembourser une partie de ses dettes et de subsister quelques semaines encore. Entre les économies réalisées et les négociations qu'elle avait menées avec la majorité de ses créanciers, l'argent de sa dot couvrirait le reste de ses emprunts. Il lui faudrait alors vivre chichement de la rente des terres de Serrelie, mais d'ici quelques années, elle pourrait vivre convenablement. Peut-être pourrait-elle même se remarier. À un homme qu'elle aurait choisi cette fois. Elle décida qu'elle commencerait par payer Monsieur Helaire. De loin le plus virulent de ses créanciers, il travaillait comme avocat et avait donc la justice de son côté. Ainsi, mieux valait être son ami.

Confortablement installée à son bureau, Adélie s'intéressa ensuite à son courrier. Elle était pleine d'espoir lorsqu'elle découvrit le sceau de son père. Elle le brisa avec empressement et se mit à lire. Elle dû s'y reprendre à deux fois avant de bien comprendre le contenu du courrier. Il lui écrivait qu'après un nouvel investissement dans le commerce maritime d'épices entre Courrême et le Périspon, il n'avait malheureusement aucune liquidité disponible. Il lui annonçait également le mariage prochain de sa sœur au jeune Duc d'Ancer, pour lequel il devait épargner : sa tendre Johanna tenant tellement à la bonne réalisation de cette union. Il allait même jusqu'à écrire qu'elle serait excusée si son état ne lui permettait pas de se joindre à eux pour la noce !

Adélie reposa péniblement la lettre sur le bureau, ferma les yeux et inspira profondément. Jamais elle n'avait été dans un tel état de fureur. Comment pouvait-il oser ? Il lui avait imposé cet horrible mariage. Elle était dans cette situation par sa faute et il en assumerait toutes les conséquences. Il regretterait chacun de ces choix, il serait humilié. Elle s'en fit la promesse. Déterminée, elle se leva et sortit calmement du bureau. Elle trouva Thibault dans la cuisine, il aidait Blanche à trier la vaisselle.


— Thibault, mon ami, pourriez-vous organiser une rencontre avec Monsieur Helaire ?
— Bien sûr, Madame, je m'en occupe immédiatement.


Il s'excusa auprès de Blanche, qui lui sourit en le remerciant pour son aide, et quitta la pièce sans attendre.

Monsieur Helaire reçut Adélie dans son cabinet en centre-ville, à quelques rues de la Grand-Place. Son bureau était tellement encombré d'ouvrages et de feuillets qu'il semblait bien plus petit qu'il ne l'était. Aux murs étaient affichés ses diplômes de juriste et quelques actions qu'il possédait. L'unique fenêtre de la pièce était si sale qu'elle semblait teintée. Il l'accueillit avec une mine renfrognée et l'invita à s'installer en face de lui. Adélie lissa ses jupes et s'assit. Elle ôta ses gants et sortit une bourse de cuir de sa pochette qu'elle déposa devant l'avocat.


— Ainsi vous êtes venue solder votre dette, Madame.
— Pas entièrement, je le crains. Mais ceci devrait vous prouver ma bonne volonté. C'est malheureusement une affaire bien plus fâcheuse qui m'amène.
— Et en quoi suis-je concerné ?


Adélie lui tendit le courrier de son père.


— Je vois. Vous adresserez mes félicitations à votre sœur. Le Duc d'Ancer est un excellent parti. En ce qui nous concerne, il serait effectivement possible de le contraindre à payer en justice. Mais vos créanciers n'attendront pas qu'une telle décision soit rendue et encore moins que le jugement soit appliqué. Moi, je n'attendrai pas. Je n'attendrai d'ailleurs plus longtemps... Je vous invite à chercher d'autres solutions dans l'immédiat. Il sera toujours temps de le poursuivre une fois vos dettes réglées.


Adélie quitta le cabinet de Monsieur Helaire dépitée. Le temps manquait et il ne lui restait plus aucune marge de négociation. Elle allait devoir se séparer de la maison d'Équerelle, contrainte de s'exiler sur le domaine de Serrelie. C'était ça ou la prison.

Résolue et sur le retour, elle entendit une voix familière au détour d'une rue. Une voix chaude et sensuelle. Une grande et large femme blonde, vêtue d'une invraisemblable robe verte, était en pleine conversation avec un cocher. Elle tourna la tête dans sa direction et leurs regards se croisèrent. Marnie de Callès lui adressa un signe et lui sourit chaleureusement. Répondant d'un hochement de tête, Adélie poursuivit son chemin, pensive.

À peine avait-elle poussé la lourde porte d'entrée, qu'elle se retrouva nez à nez avec Blanche. La jeune domestique rosit et hésita à prendre la parole en voyant la mine dépitée de la maîtresse de maison.


— Blanche ? l'invita Adélie.
— Je suis au regret de vous annoncer ma démission, Madame. J'ai trouvé une place dans une famille de province. Plus près de chez mes parents, avec de meilleurs gages... débita la jeune fille dans un élan de courage.
— Venez dans mon bureau, Blanche. Je vais vous rédiger une lettre de recommandation.


Adélie s'installa devant le secrétaire et attrapa une feuille vierge. Elle trempa son stylo dans l'encrier et se mit à écrire. Faire son éloge n'était pas difficile. Ainsi, elle décrit avec quelle aisance la domestique avait assuré ses fonctions dans une équipe réduite, vantant la qualité de sa cuisine et de son caractère. Elle signa la lettre et la tendit à la jeune femme en lui souhaitant un bel avenir. Blanche lui sourit et s'inclina avant de quitter le bureau.

Du bout des doigts, Adélie essuya la larme qui coulait le long de sa joue. Elle n'avait même pas eu conscience de ses pleurs. Elle se sentait abandonnée. Bientôt, ce serait au tour de Thibault de la quitter et elle se retrouverait seule. Elle renifla et se frotta le nez en reprenant ses esprits. Elle n'avait pas le temps de s'apitoyer sur son sort et mis de l'ordre dans le secrétaire pour rester active. C'est en ouvrant un petit tiroir qu'elle trouva la carte d'élégant papier noir. Elle la prit et la regarda pendant ce qui lui sembla de longues minutes. Et si Marnie de Callès était sa solution immédiate ?

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