Chapitre 1.3 : Rencontre avec Marnie de Callès


Dans la semaine qui suivit l'inhumation de son mari, Adélie reçut la visite de nombreux autres créanciers. Tous lui demandaient le paiement rapide de leur dû. L'un d'eux, le baron de Fraisse, lui proposa de racheter sa maison contre sa dette. L'offre, compte tenu des circonstances, était loin d'être mauvaise. Mais Adélie espérait encore l'aide de son père et refusa poliment. De plus, elle n'aurait eu nulle part où loger et n'avait pas les moyens de prendre un appartement ou une chambre en ville. Plus les jours passaient, et plus l'incertitude d'Adélie grandissait. Paradoxalement, elle était beaucoup plus sûre d'elle lorsqu'il s'agissait de faire patienter ses créditeurs. Il n'y avait rien à prendre et elle avait développé de nombreuses manières de le déclarer, de la plus polie à la plus expéditive. Elle réservait généralement cette dernière aux messieurs irrespectueux, voire ouvertement concupiscents.

Un matin, alors qu'elle pensait avoir rencontré tous ses créanciers, une grande et gironde dame blonde, portant une extravagante robe jaune, l'attendait dans le grand salon. Elle s'était assise près de la fenêtre et avait allumé un cigare très odorant qu'elle fumait en regardant les passants dans la rue d'un air distrait. Elle dissipait le riche arôme de fumée de vigoureux battements d'éventails.


— J'espère que cela ne vous gêne pas, ma chère, dit-elle en se tournant vers Adélie. Marnie, Marquise de Callès, enchantée.


Adélie prit le temps d'étudier son visage. Elle affichait une expression amicale. Quelques rides s'étaient creusées au coin de ses yeux très légèrement bridés. Elle avait l'habitude de sourire. Son regard bleu luisait d'une profonde intelligence, mais Adélie n'y décela aucun signe du sourire qu'elle lui adressait à présent. Elle comprit que Madame de Callès était là pour la jauger. Adélie décida de ne pas y aller par quatre chemins et d'écourter cet entretien.


— J'imagine que mon époux avait contracté une quelconque dette auprès de vous ? Je n'en ai aucune trace dans mon livre de compte. Je vous remercierai de bien vouloir me remettre le contrat en question pour que je le fasse étudier par mon conseil. Par ailleurs, vous avez pu juger par vous-même de l'état de mes finances. Je crains également que de nombreux créanciers m'aient rendu visite avant vous.


Marnie de Callès lui sourit, puis tira sur son cigare.


—  Est-il exact que vous avez reçu Monsieur Helaire déchaussée ?
— J'ai bien peur de ne pas avoir eu la possibilité de faire autrement.


La marquise la toisa un court instant.


— Je ne suis pas venue vous réclamer de l'argent. Je suis venue vous offrir un emploi.


Adélie resta sans voix. Elle s'en voulut de ne pas pouvoir retenir sa surprise. Le sourire de Marnie de Callès s'intensifia, alors que son regard perçant ne quittait pas les yeux d'Adélie.


— Je souhaiterais mettre à profit certains de vos talents. Je m'engage en contrepartie à rembourser l'intégralité de vos dettes et à vous offrir, en échange de vos services, une rente confortable qui vous permettra d'entretenir le train de vie qu'une femme de votre rang mérite.


Elle ponctua sa proposition d'un regard désolé sur la pièce autour d'elle.

Outrée, Adélie se figea. Elle dut fermer les yeux et prendre sur elle afin de camoufler son indignation et de répondre le plus calmement du monde.


— Je vous remercie de votre visite, Madame, mais je suis au regret de refuser votre proposition. Je n'ai aucune intention de me lancer dans une carrière de putain.
— Bien sûr que non ! s'offusqua la Marquise de Callès. Vous m'avez mal comprise, Madame.


Elle ferma son éventail et regarda rapidement la montre à son poignet droit. Plutôt que d'irriter davantage la jeune comtesse, elle préféra prendre la fuite.


— Jamais je ne me serais permis une telle insulte, Madame de Serrelie, soyez-en assurée. Je dois malheureusement vous quitter. Je vous prie de conserver ma carte de visite.


Elle écrasa son cigare dans le cendrier de marbre présent sur la table basse, puis se pencha pour saisir sa pochette. Après l'avoir fouillée un instant, elle en sortit un élégant papier noir qu'elle fit habilement glisser de sa main gauche jusque devant Adélie.


— Je serai honorée si vous acceptiez de me rencontrer à nouveau, afin que je puisse vous expliquer plus en détails la nature de l'emploi que je vous propose. Si vous voulez bien m'excuser, je vous souhaite une belle fin de journée.


Marnie de Callès se leva difficilement et lissa son encombrante robe avec attention. Elle s'inclina très légèrement devant Adélie, ouvrit son éventail et se dirigea vers la sortie.

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