Chapitre Bonus 6
⚠️⚠️ Avant de lire ce chapitre Bonus et pour vous éviter tous Spoilers, assurez-vous d'avoir lu jusqu'au Chapitre 30 de l'oeuvre originelle : Into The Mirror ⚠️⚠️
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Gong Yoo-Minji
M. Kang erre dans la maison, il ne peut arrêter les images qui tournent dans son esprit depuis qu'il s'est levé ce matin. Il a parfois l'impression que c'était hier, comme un rêve en plein cauchemar, il imagine sa silhouette dans la cuisine. Il sait que ce n'est pas réel, il s'autorise néanmoins un regard avant de reprendre une gorgée. Il y a des années maintenant que sa femme est décédée, mais depuis les jours et les heures se mélangent souvent, sûrement à cause de toutes les bouteilles alignées sur le plan de travail. Il ne sait pas vraiment quand il a commencé à boire comme ça, sans s'en rendre compte, c'est devenu son quotidien.
Sous le regard impuissant de son jeune fils, il continue son errance, traînant le pas de la cuisine au salon, passant de temps en temps par le jardin avant de revenir s'affaler, le regard perdu. Rien n'a d'importance aujourd'hui, ni ses garçons, ni ses chiens pourtant allongés à ses côtés, encore moins lui-même.
Encore récemment, il a tout gâché, lorsque Seungsik, son aîné, est venu avec son petit ami. Il a laissé le vin lui dicter ses mots et a fini par leur hurler dessus. Si Mi-Cha voyait ça, elle serait probablement déçue, mais à quoi bon y penser, elle n'est plus là pour dire quoi que ce soit. Quelques larmes coulent sur ses joues, qu'il ravale aussitôt, accompagné d'une bonne rasade qui lui brûle la gorge au passage.
Pourquoi est-ce si dur pour lui d'accepter ? Ce n'est même pas vraiment qu'il n'accepte pas, il est juste tellement en colère contre tout, tout le temps. Pourquoi son fils aurait le droit d'être heureux alors qu'il est responsable ? Est-il réellement responsable ? Il ne sait pas, il ne sait plus, tout ce qu'il comprend, c'est la douleur qui irradie chaque jour son cœur. Plus rien d'autre ne peut l'atteindre, il veut que tout le monde souffre autant que lui, ce n'est pas juste si ce n'est que lui.
Mi-Cha, elle, saurait quoi faire. Elle saurait quoi dire à Subin pour qu'il sourît à nouveau comme un enfant, elle saurait féliciter Seungsik et lui dire comme elle est fière de lui, elle saurait apaiser son cœur à lui aussi. Il aimerait tant pouvoir l'entendre à nouveau, la voir jouer sur son piano et sourire dans les rayons du soleil. Souvent, il se dit que ç'aurait dû être lui dans cette voiture ce soir-là, il serait parti et Mi-Cha aurait su comment s'en sortir avec les garçons.
Pendant qu'il se perd dans ses questions, continuant de siroter sa bouteille jusqu'à en voir le fond, il ne remarque pas Subin qui passe dans la maison tel un fantôme. S'arrêtant brièvement pour le regarder avant de repartir, son chaton confortablement installé sur ses genoux. Il a l'habitude de ne plus vraiment lever les yeux sur son enfant, le voir assis sur ce fauteuil lui rappelle sans cesse ce qu'il s'est passé. Il n'arrive même pas à se sentir triste pour lui, tout ce qu'il ressent, c'est la colère. Comment Subin peut-il toujours autant aimer son frère après tout ça ?
Il devrait le haïr, mais il n'en fait rien, il est toujours le premier à le défendre, à croire en lui également. Gong Yoo soupire dans son fauteuil, le temps s'étire alors qu'il ne distingue même plus les aiguilles sur l'horloge, incapable de savoir l'heure qu'il est. Assommé par les litres d'alcool qu'il a déjà ingurgités, il sombre peu à peu dans un sommeil sans fond, mélange d'hallucinations et de cauchemars dont il ne peut pas s'enfuir.
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Le réveil sonne dans la petite pièce, Minji se redresse sur son lit, encore fatiguée. Il faut dire que les nuits sont loin d'être reposantes ces derniers temps, elle n'a plus rien pour empêcher les souvenirs de remonter à la surface. Depuis le début de sa thérapie, elle prend très au sérieux les conseils de sa psychologue : la première chose étant d'accepter la souffrance, la seconde de retrouver une routine afin d'obliger son cerveau à rester occupé tout au long de la journée.
C'est pourquoi depuis une semaine, son réveil sonne à heure fixe plusieurs fois par jour, lui rappelant chaque détail de son planning quotidien. Comme chaque jour, elle se force à se lever, à prendre une douche et à se préparer. Elle prend le temps de se préparer un petit déjeuner avant de mettre de l'ordre dans son petit appartement. Il y a peu encore, elle aurait sûrement dormi jusqu'à midi ou plus, tout dépend du nombre de bouteilles qui l'aurait accompagnée avant de sombrer. Puis, elle aurait rampé jusqu'au petit placard situé sous l'évier pour attraper une nouvelle bouteille afin d'entamer sa journée de beuverie.
Elle soupire en repensant au tourbillon dans lequel a sombré son existence. Un jour, elle préparait le berceau de son bébé, tout n'était que bonheur et joie, le lendemain, elle se retrouvait seule, perdue, trahie, abandonnée. Pendant des années, elle et son mari ont essayé d'avoir un enfant, sans succès, subissant une fausse couche après l'autre. Puis un jour, enfin, le miracle se produit. Minji est aux anges, elle attend l'arrivée de cet enfant avec tellement d'impatience que tout est prêt des mois avant la date estimée. Le jour qu'elle espérait tant arrive, rien ne se passe comme prévu et finalement, elle ne tiendra son bébé qu'une seule et unique fois dans ses bras, à jamais.
Après cela, ce fut la déchéance, son mari, jusque-là aimant et patient, change, l'accuse de ne pas savoir être une mère. Minji se souvient encore de ses mots, de son regard rempli de haine alors qu'elle souffrait tant : Tout le monde y arrive, pourquoi pas toi, c'est quand même pas si compliqué de tomber enceinte, tu n'es même pas fichue de le faire naître en vie ! Un fossé se creuse entre eux, les séparant jour après jour un peu plus, jusqu'au jour où il a simplement déclaré qu'il allait être père et qu'elle devait quitter les lieux.
Minji se retrouve alors à la rue, du jour au lendemain. Aidée par une association, elle va trouver ce petit appartement et commencer à y sombrer. Elle ne dort pas, revivant sans cesse le jour de son accouchement. Doucement, sans même s'en rendre compte, elle glisse sur une pente dangereuse, mais salvatrice. Pendant cinq ans, Minji va détruire sa vie, buvant chaque jour pour oublier, pour ne plus penser, ne plus souffrir, jusqu'à la semaine dernière où bien trop ivre, elle traverse une rue sans regarder autour d'elle. Dans un bruit de frein assourdissant, une voiture s'arrête à quelques centimètres d'elle, la laissant au milieu de la route, vivante, mais complètement choquée.
C'est à ce moment-là qu'elle a décidé de tout changer, d'essayer de s'en sortir. Elle doit vivre pour cet enfant qui n'en a pas eu la chance, elle doit vivre puisqu'elle est sur cette terre. Voilà comment, après cinq ans d'auto-destruction, elle est sur le point de se rendre à un autre de ses rendez-vous quotidiens conseillés par sa thérapeute. Minji sort de chez elle avec le sourire. Elle était au début très réticente à se rendre aux Alcooliques Anonymes, mais après la gêne passée, elle commence maintenant à y prendre goût. En arrivant, elle salue avec un sourire les personnes déjà présentes, il y a quelque chose qu'elle a vite compris ici : l'histoire de chacun est peut-être différente, mais la souffrance, elle, est la même pour tous.
Prenant place comme à son habitude, elle remarque quelques nouvelles têtes qui, comme elle, attendent l'arrivée de l'animatrice de la séance d'aujourd'hui. La voilà qui entre dans la pièce et ferme la porte derrière elle, comme chaque jour, elle se présente et accueille les participants. Puis, elle cède sa place sur l'estrade, appelant celui qui le souhaite à venir devant l'assemblée partager son histoire. Minji n'a encore jamais eu le courage de le faire, mais aujourd'hui elle se sent prête, alors timidement, elle s'avance et monte pour prendre place face aux personnes présentes.
- Bonjour, je m'appelle Minji et je suis alcoolique.
Elle fait une petite pause, impressionnée par l'attention que tout le monde lui prête actuellement.
- J'ai décidé de reprendre ma vie en main, alors me voilà. Il y a cinq ans, j'ai perdu mon bébé le jour de sa naissance. Suite à ça, mon compagnon de l'époque m'a mise à la porte pour pouvoir accueillir chez nous sa nouvelle copine et leur futur bébé.
Tout le monde dans l'assemblée la scrute, cela pourrait être gênant, mais pas du tout. Minji sent tous ces regards bienveillants sur elle, partageant comme elle une histoire qui les aura menés jusqu'ici, alors elle continue, bien plus à l'aise.
- Après ça, j'ai juste trouvé un endroit pour me cacher et sombrer. Pendant cinq ans, j'ai bu plusieurs bouteilles par jour, simplement pour oublier que j'étais encore en vie. Il y a peu, une voiture a failli me renverser et j'ai compris que puisque j'étais ici alors, je me devais de vivre une bonne vie pour mon bébé qui n'a pas pu avoir cette chance.
Elle se recule et s'abaisse pour signifier à tous qu'elle a terminé son histoire. Certains applaudissent son courage, d'autres la félicitent, Minji se sent entourée pour la première fois depuis longtemps.
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Lorsqu'il ouvre les yeux, Gong Yoo ne sait pas où il se trouve, ni quelle heure il est. Son cerveau est dans un brouillard perpétuel, un coup d'œil à la fenêtre lui montre qu'il fait nuit noire. La maison est silencieuse, Subin doit probablement dormir ou être simplement enfermé dans sa chambre comme il en a l'habitude. A-t-il seulement mangé ? Il tente de se lever de son fauteuil, mais retombe en arrière instantanément. Son corps est encore alourdi par l'alcool, le second essaie est le bon.
À tâtons, il se dirige vers la cuisine, puis tente de se servir un verre d'eau au milieu des bouteilles qui jonchent constamment l'évier, en renversant la moitié comme toujours. Il ouvre le frigo et trouve une assiette couverte, sûrement laissée là pour lui par son fils. Ce gamin est un don, Gong Yoo s'en rend bien compte. Malgré son handicap, il ne cesse de prendre soin de lui alors qu'il devrait vivre la vie normale d'un adolescent de son âge.
Prenant place à la table familiale, il absorbe son unique repas de la journée, l'esprit ailleurs. Cette table fût un temps était le témoin de joyeux repas de famille, emplie des plats que sa femme préparait avec amour, ses fils étaient heureux tout comme lui. Aujourd'hui, il y a rarement quelqu'un qui se met à cette table, et le peu de fois où Seungsik vient leur rendre visite, ça se termine toujours en dispute.
Il débarrasse sa table, ayant à peine touché à son assiette, et machinalement ouvre une nouvelle bouteille, le regard dans le vide. Assis dans son fauteuil, il entend le monte-escalier de Subin s'activer derrière lui. Dans un vain sursaut de son instinct paternel, il se lève et part dans sa direction pour l'aider, mais son esprit est toujours aussi embué, il trébuche, manquant par la même occasion de renverser son fils.
Subin pose les yeux sur lui, ce qu'il voit dans le regard de son fils lui fait si mal, ce dégoût et cet amour mélangés, surtout toute cette souffrance. Il se relève en tanguant, se tenant désormais à la rambarde. Il a beau vouloir s'excuser, les mots ne sortent pas. Avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, la bouche de son fils commence à s'ouvrir.
- Papa, j'en ai marre ! Stop maintenant, regarde-toi : tu crois que maman voudrait ça ? Tu crois que tu es le seul à souffrir ? Tu veux que je te dise ce que je vis moi ? Non seulement j'ai perdu ma mère, mais en plus de ça, je perds mon père jour après jour. À côté de ça, ne plus pouvoir marcher, c'est le moins cruel dans l'histoire ! Comment veux-tu que je me relève si toi, tu ne fais que tomber ? Tu crois que c'est juste ?
Gong Yoo regarde son fils, suspendu à ses mots, la colère qu'il voit dans ses yeux le choque particulièrement. Subin est un enfant si doux depuis toujours, docile et aimant, il ne s'est jamais énervé contre ses parents alors le voir d'un coup s'animer ainsi provoque un véritable électrochoc en Gong Yoo. Il est responsable de ce qu'il voit en son fils actuellement, pas Seungsik et son concert, pas l'accident ni la mort de sa femme, juste lui, c'est entièrement sa faute.
N'osant plus bouger, il regarde simplement Subin reprendre le monte-escalier dans l'autre sens et partir s'enfermer dans sa chambre. La porte claque sur les larmes de Gong Yoo qui se sent minable pour la première fois depuis le décès de sa femme. Il se sent coupable. Il a toujours accusé les autres de son malheur, s'en prenant le plus souvent à son fils aîné, alors qu'au-delà de la perte de sa femme, eux ont perdu tellement plus. Il aurait dû être leur pilier comme il l'avait toujours promis, il aurait dû les consoler, les encourager plus que quiconque puisqu'il était désormais le seul à pouvoir le faire. À la place de cela, il les a laissés tomber, se laissant sombrer par la même occasion.
Emporté par un élan, probablement guidé par le reste d'alcool présent dans son organisme, il entame un tour de la maison, remuant tout sur son passage, ramassant une après l'autre les bouteilles jonchant le sol à certains recoins. Il vide les placards ainsi que l'évier, dans un fracas assourdissant. Certaines bouteilles éclatent, Gong Yoo n'entend rien, il ne s'arrête pas dans sa frénésie. Lorsqu'il quitte son état de transe, plusieurs sacs sont sur le palier de la porte. Il ne perd pas un instant et s'empresse d'aller les emporter dans la benne prévue à cet effet.
Vidé de toute énergie, il rejoint enfin son lit, encore un peu assommé, il sombre dans un profond sommeil. Le lendemain matin, tout lui semble à la fois étrange et nouveau, il se lève pour rejoindre Subin qu'il entend déjà dans la cuisine. Sous les yeux ébahis de celui-ci, il s'assoit devant son petit déjeuner dans un "bonjour" timide. D'habitude, il aurait simplement ouvert le placard pour prendre sa première gorgée de la journée avant de disparaître de la pièce sans un regard vers son enfant, mais pas aujourd'hui. Ce matin, il profite de sa compagnie, de l'odeur des pancakes et du soleil qui illumine la pièce.
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Depuis quelques jours, Minji se rend aux réunions et prend la parole à chaque fois qu'une nouvelle tête apparaît dans l'audience. Elle a fini par considérer son propre témoignage comme un gage de sa volonté de s'en sortir, mais aussi une opportunité pour d'autres de suivre le même chemin qu'elle. De plus en plus à l'aise dans l'association, elle aime prendre part à l'organisation. Se rendre utile est aussi un bon moyen d'éviter de trop penser. Sa thérapeute est d'ailleurs impressionnée par sa force et l'encourage vivement à continuer dans cette voie.
Cependant, malgré sa bonne volonté, une date fatidique fait son approche dans le calendrier. Minji n'a pas besoin de regarder son petit carnet, elle le sait, elle le sent au plus profond d'elle. Cette douleur qui ressurgit sans crier gare, peu importe ce qu'elle fait ni même où elle se trouve. Elle appréhende de plus en plus le jour qui arrive inévitablement. Une année de plus s'est écoulée depuis la fin tragique de son rôle de maman, ses entrailles commencent à se resserrer en accueillant la souffrance fantôme de cette perte. Minji tente malgré tout de garder le cap. Elle a enfin trouvé une raison, infime soit-elle, de tenir debout et de continuer de marcher, alors elle va s'y tenir quoi qu'il arrive.
Elle programme directement un rendez-vous d'urgence avec sa thérapeute, puis organise soigneusement le planning de cette journée en question. Hors de question de se retrouver à ne rien faire, elle doit maintenir sa routine autant que possible. D'après les conseils qu'elle a déjà reçus, Minji va aussi devoir affronter son deuil en se rendant sur la tombe de son enfant. Elle ne l'a encore jamais fait, c'était bien trop dur pour elle et son état ne lui aurait jamais permis d'arriver en vie jusque-là de toute façon.
Minji relève la tête de son petit carnet, tout est noté, ce vendredi sera une journée certes chargée, mais elle va réussir à la surmonter. Serrant les poings pour elle-même en signe d'encouragement, elle se lève et entame sa journée comme elle en a l'habitude maintenant. Lorsqu'il est l'heure, elle sort de chez elle et se rend à la réunion du jour d'un pas léger. Marchant la tête haute, elle n'aurait jamais cru cela possible il y a encore quelque temps en arrière.
- Bonjour tout le monde !
- Bonjour Minji, comment vas-tu aujourd'hui ?
La responsable de l'association l'accueille avec un sourire chaleureux, c'est elle qui l'a encouragé au début à se présenter devant tout le monde. Lorsque Minji s'est sentie plus à l'aise, c'est également vers elle qu'elle s'est tournée pour pouvoir s'investir dans la communauté. Tout le monde ici la connaît et elle raconte à chaque nouvel arrivant son propre parcours. Son histoire, comme beaucoup ici, est emplie de drames et de souffrances, mais sa sagesse et son humilité ont fait d'elle la petite légende de cet endroit.
- Je vais bien, merci, comment je peux t'aider aujourd'hui, dis-moi ?
Minji se retrousse les manches et commence à mettre en place les chaises qu'elle positionne face à l'estrade, puis elle apporte une table qu'elle place contre le mur. Elle dispose des verres ainsi que quelques plateaux de friandises et de pâtisseries que les participants du jour pourront déguster à la fin de la session comme toujours afin de pouvoir se détendre et faire connaissance. Quand tout est fin prêt, il est déjà l'heure de commencer, les premiers arrivants passent la porte et viennent prendre place. Minji elle, se tient prête à leur faire face, dans quelques minutes, ce sera à elle d'entrer en scène.
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Gong Yoo pousse les lourdes portes du bâtiment. Il a fait un long chemin pour venir jusqu'ici, bien que cela soit nécessaire, il en a conscience. Il a l'impression de ne pas être à sa place dans cette grande ville. Il passe par un petit hall contenant quelques sièges et une petite table proposant une panoplie de dépliants divers, la plupart sont également accrochés au mur dans leur version poster. Partout où Gong Yoo pose les yeux, des slogans, des témoignages poignants, tout est fait pour encourager les gens comme lui à prendre un meilleur chemin.
Une nouvelle porte le conduit cette fois-ci dans une grande salle, les rideaux sont tirés pour ne laisser filtrer qu'une douce lumière dans la pièce. Des chaises sont disposées devant une petite estrade, quelques personnes sont déjà assises ou parlent entre eux près d'une table dressée sur le côté. Il avance avec prudence, ne sachant pas vraiment ce qu'il doit faire. Il voit alors passer devant lui une femme bien plus énergique qu'elle ne devrait l'être à son âge, s'activant à droite et à gauche en souriant. Gong Yoo lui fait un petit signe de main, lui intimant d'approcher et en quelques mots se présente.
- Oh bonjour, je ne vous ai jamais vu ici, vous êtes nouveau, n'est-ce pas ? Il ne faut pas être timide comme ça, ne vous en faites pas, on est tous passés par là, donc, prenez place et faites comme chez vous, d'accord !
Gong Yoo s'installe comme on lui a demandé, regardant autour de lui frénétiquement. La salle se remplit peu à peu, des personnes de tout âge et de toute catégorie sociale, des hommes, des femmes, parfois même de jeunes gens à peine sortis de l'adolescence. Il est déstabilisé, ne sachant pas à quoi s'attendre réellement lorsqu'il a pris la décision de venir ici. Son esprit était alors plein d'aprioris sur ce genre de réunion. Il pensait se retrouver dans un endroit lugubre, où seuls de vieux ivrognes solitaires échangeraient sur les aléas de leur triste vie. Maintenant qu'il est au milieu de cette petite foule si diverse, il se rend compte à quel point sa vision était non seulement erronée, mais aussi tellement présomptueuse.
La séance commence, le silence se fait alors qu'une femme élégante s'avance dans l'allée centrale en direction de l'estrade. Elle semble à la fois si fragile et rayonnante, le contraste est plutôt détonnant aux yeux de Gong Yoo. Elle prend place devant l'assemblée, sereine, souriante, tout le monde se fige lorsqu'elle commence à parler.
- Bonjour à tous, je m'appelle Minji et je viens ici depuis quelque temps à présent. Je vois qu'il y a quelques nouvelles têtes, laissez-moi donc vous raconter mon histoire.
Gong Yoo tend l'oreille alors que la dénommée Minji évoque son parcours. Il ressent à la fois de la compassion, à la fois de la tristesse, mais aussi de la colère. Une colère sourde qui prend place au creux de son estomac. Bien sûr, il n'en veut pas à cette femme, il ne la connait même pas, c'est contre lui qu'il fulmine en son for intérieur. Il est là, au milieu de toutes ces personnes qui ont, elles aussi, traversé des drames atroces, des moments de doute, qui ont sombré tout comme lui. La seule différence, c'est qu'eux n'en ont pas voulu au monde entier, ils n'ont pas rejeté la faute sur leurs enfants ou leur partenaire, ni sur leur famille, leurs amis...
Il regarde Minji se tenir droite devant eux, le regard à la fois fier et combatif, elle qui a fait face à la perte de sa chair et de son sang. Certes, elle a sombré, mais elle n'a entraîné personne avec elle et c'est ça que Gong Yoo a du mal à digérer à ce moment précis. Il souffrait tellement qu'il est devenu aveugle, criant sur ses enfants qui avaient pourtant tant besoin de lui après le départ de Mi-Cha. Comment a-t-il pu se montrer aussi égoïste ? Sous les applaudissements calmes des membres présents aujourd'hui, Minji retourne s'asseoir sur une chaise, comme tous les autres participants de la réunion et quelqu'un d'autre prend sa place.
La séance se termine sur les encouragements bienveillants de la vieille femme qu'il a croisée à son arrivée, puis chacun se dirige vers la table dressée de boissons et de pâtisseries. Gong Yoo se lève à son tour, il hésite entre se servir un café ou partir discrètement comme une ombre. Il n'aura pas le temps de se décider, une voix s'élève dans son dos.
- Bienvenu ! Je me suis déjà présentée sur scène tout à l'heure, mais au cas où je m'appelle Minji, désolée de vous interpeller de la sorte, mais vous me sembliez légèrement perdu, alors, je suis venue à votre rencontre.
Le sourire radieux de Minji contraste réellement avec son histoire. En la voyant de plus près, il peut voir les sillons des années sur son visage sans que cela n'entache en rien sa beauté. Gong Yoo se sent soudain intimidé, il y a longtemps qu'il n'avait pas parlé avec qui que ce soit d'autre que ses enfants, si on peut appeler ça parler. Encore plus longtemps depuis que ce ne fut une femme. Serrant ses mains l'une contre l'autre, il hésite à répondre, cependant quelque chose en Minji l'intrigue assez pour qu'il ouvre finalement la bouche.
- Enchanté, je m'appelle Gong Yoo. C'est la première fois que je viens ici, je ne sais pas vraiment ce que je dois faire. À vrai dire, je ne sais pas vraiment si je devrais être ici... Pardonnez-moi si ma question vous dérange, comment faites-vous ?
Minji semble amusée par la question, sa bienveillance transcende son regard alors qu'elle pose sa main délicatement sur le bras de Gong Yoo.
- Si ce que vous voulez savoir c'est comment j'arrive à parler de mon addiction et de mes blessures devant autant d'yeux qui me regardent et bien la réponse est : je ne sais pas.
Gong Yoo l'observe rire, même son rire semble irréel, tout en elle est à la fois ombre et lumière. Minji continue de lui parler, la conversation est fluide, rassurante aussi. Elle sait parfaitement trouver les mots pour l'encourager à revenir, à continuer d'aller de l'avant alors qu'il n'a même pas évoqué son propre parcours. Simplement parce qu'ils partagent ce terrible fardeau, ils se comprennent sans se juger et rien que ça, Gong Yoo le ressent comme une sorte de libération.
Sur le chemin du retour, Gong Yoo se sent plus léger. Il s'en veut encore évidemment pour tout ce qu'il s'est passé et il sait que le chemin sera long pour lui. Pour la première fois depuis longtemps, il sent que la lumière n'est peut-être pas si loin. La maison est plongée dans le noir à l'exception d'une fenêtre d'où il peut entendre de l'extérieur jouer une chanson qu'il connait par cœur malgré tout : il reconnait la voix de son aîné Seungsik. Après avoir déposé ses affaires, il monte les quelques marches qui le séparent de Subin et frappe doucement à sa porte.
- Subinnie, je voulais simplement savoir si tout va bien, tu n'as besoin de rien ?
- Je vais bien papa, ne t'en fais pas pour moi.
Il lui répond sans même relever la tête de son bureau, il semble toujours affecté par leur altercation de la veille, Gong Yoo se rend alors compte à quel point il a dû décevoir ses garçons durant ces deux dernières années.
- Écoutes, je voudrais que tu saches que je vais faire de mon mieux, d'accord. Bonne nuit, mon fils...
Refermant soigneusement la porte derrière lui, Gong Yoo n'a pas eu la force de lui raconter, peut-être serait-il mieux si cela restait un secret pour le moment. Il a toujours appris à ses fils que les gestes valent mieux que des mots, alors il est probablement temps maintenant de mettre ses propres valeurs en application.
Comme chaque jour depuis quelque temps maintenant, Gong Yoo entre dans le bâtiment qu'il considère maintenant comme un havre de paix. Il se dirige sans hésitation vers Minji, qui est déjà là en train de préparer l'accueil du groupe. Comme toujours, elle lui sourit chaleureusement et aussitôt tout son être s'apaise. Il n'aura pas fallu longtemps à cette femme courageuse pour faire fondre la vieille carapace qui recouvrait son cœur. Grâce à elle, Gong Yoo fait des progrès de jour en jour. Il est heureux d'avoir trouvé une alliée sur son chemin vers la guérison.
- Tu es là ? Tiens, aide-moi s'il te plait, je dois déplacer cette table, mais elle refuse de bouger. Peut-être qu'à deux, on y arrivera !
Sa joie de vivre est contagieuse, il faut le reconnaître. Sans se faire prier, Gong Yoo attrape un côté de la table et emboîte le pas à Minji. Ils installent ensuite le réconfort quotidien qui est proposé par l'association. Cette fois, les habitués étaient invités à préparer eux-mêmes quelque chose pour le partager avec l'assemblée. Alors qu'il observe admiratif les desserts et les mignardises qui lui donnent plus envie les unes que les autres, Minji s'approche dans son dos. Posant une main sur son épaule, de son autre main, elle pointe un plateau du doigt.
- Regarde comme promis, je t'ai préparé les tartelettes dont je te parlais l'autre jour. Qu'en dis-tu ? Elles sont jolies, n'est-ce pas ?
- Je suis persuadé que tout le monde va se régaler grâce à toi, mais ne dis surtout pas que tu les as faites pour moi, je vais me faire des ennemis à force.
Gong Yoo lui adresse un sourire entendu et ils éclatent tous deux de rire comme des enfants. La gardienne des lieux arrive à ce moment-là, elle les regarde de loin et Gong Yoo ne peut s'empêcher de se sentir pris en faute. Cessant immédiatement de rire et s'écartant légèrement de Minji qui n'a pas l'air de comprendre pourquoi il s'est arrêté si brutalement. En relevant la tête, il se rend compte que beaucoup de monde est arrivé depuis tout à l'heure, il était tellement concentré sur Minji qu'il ne s'est aperçu de rien du tout. Il retourne donc à la hâte chercher les quelques affaires qui manquent avant d'aller s'installer sur une chaise libre.
Il écoute Minji raconter son parcours pour ce qui semble être la dixième fois, peut-être même plus, et comme la première fois, il est impressionné par ses mots. Sa façon de faire face à sa douleur et l'espoir qu'elle porte en elle le transportent d'émotion à chaque fois. Elle descend de l'estrade et vient prendre place près de lui, discrètement, il la regarde se pencher vers lui, elle veut sans doute lui dire quelques mots, alors il se penche à son tour.
- Je pense que tu devrais y aller aujourd'hui, Gong Yoo, tu m'as dit la dernière fois que tu te sentais prêt, alors vas-y. Tu n'es pas seul, je serai là tout le long, tu n'auras qu'à me regarder.
L'idée de monter sur cette estrade, devant les personnes réunies dans cette pièce, l'effraie toujours autant. Pourtant, c'est la vérité, il sent qu'il est prêt à franchir le cap. L'angoisse le saisit soudain, il regarde Minji désespérément en quête d'une aide salvatrice, il sait que dans son regard, il trouve toujours la paix. Celle-ci lui sourit et le pousse gentiment vers l'avant, l'encourageant en silence, Gong Yoo prend une grande inspiration et finit par rejoindre le petit espace au centre de la salle. Éclaircissant sa gorge, il prend la parole avec hésitation, sa voix tremble tout autant que ses mains, il ne cesse de se répéter qu'il peut y arriver, tout ceci, il le fait pour Subin et Seungsik.
- Bonjour à tous, je m'appelle Gong Yoo et il y a un peu plus de deux ans, j'ai perdu ma femme. Elle se rendait avec notre jeune fils au concert de notre aîné et s'est retrouvée dans un accident. Elle y a perdu la vie tandis que notre Subin s'est retrouvé paralysé. Après cela, je ne sais plus vraiment quand ça a commencé ni comment, tout ce dont je me souviens, c'est que je n'ai pas passé une seule journée sans boire depuis ce jour. J'ai dit des choses terribles à mes propres enfants, je les ai abandonnés quand ils avaient le plus besoin de moi. Désormais, j'ai bien peur de les avoir perdus à leur tour et ce n'est que justice au final... Si je suis venu ici, c'est pour leur montrer que je peux changer, quand je les aime et que je veux être présent pour eux à partir de maintenant.
Gong Yoo s'arrête, il n'a pas levé les yeux une seule fois durant son récit, il n'a pas voulu regarder Minji. Affronter son regard aurait été bien trop compliqué, elle qui n'a pas eu la chance d'être mère pendant que lui avait rejeté ses propres enfants, comment a-t-il pu être aussi égoïste ? Retournant sur son siège, honteux, sous les applaudissements de l'assemblée, il reprend sa place sans un mot.
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Alors que Gong Yoo s'assoit près d'elle, Minji remarque qu'il ne lève pas les yeux dans sa direction, ce qui l'inquiète malgré elle. Jusqu'à maintenant, ils n'avaient jamais évoqué son histoire. Minji voulait qu'il se sente prêt à affronter son passé avant de lui poser des questions. À présent, elle redoute de l'avoir peut-être poussé un peu trop vite à prendre la parole. Il semble profondément triste, ce n'était pas le but, bien sûr. Faire part de son parcours est une étape difficile la première fois. Ce n'est qu'en acceptant de le raconter encore et encore qu'on finit par vivre en paix avec le passé pour enfin accepter de vivre dans le présent.
- Gong Yoo, ça ne va pas ? Je suis désolée, je n'aurai pas dû te forcer la main. Ça va aller, n'est-ce pas ?
Elle n'obtient qu'un vague sourire comme réponse, son cœur se brise légèrement, bien qu'elle n'ose pas l'avouer, elle s'est attachée à cet homme timide qui semble retranché dans sa douleur. Au départ, elle l'a accueilli comme chaque nouvel arrivant, avec l'espoir d'aider quelqu'un comme elle a été aidée en venant ici. Mais au fil des jours qui passent, elle a commencé à attendre le moment où il passerait la porte, le regard perdu comme s'il avait blessé quelqu'un. Maintenant qu'elle sait ce qui lui est arrivé, elle a encore plus envie d'alléger sa peine, ne serait-ce qu'un peu...
Tout comme elle, il a subi la perte, tout comme elle, il a été injuste envers le monde, mais aujourd'hui, il est là et il essaie de s'en sortir. Minji le trouve si courageux, alors pourquoi son visage s'est-il ainsi fermé à ses sourires ? La séance se termine, Minji quitte sa place et ne peut que constater que Gong Yoo est déjà sur le point de partir, alors que d'habitude ils restent un moment à parler ensemble autour d'un café. Il n'a même pas pris le temps de goûter les tartelettes qu'elle avait faites rien que pour lui. Le désarroi l'envahit, quoi qu'il se passe, elle ne peut pas le laisser partir comme ça.
Partant à sa poursuite, elle le rattrape dans la rue, saisissant son poignet pour qu'il se retourne. Il tourne vers elle, un air plus surpris qu'autre chose, s'adoucissant légèrement lorsqu'il constate que c'est elle qui se tient devant lui.
- Gong Yoo, je... Euh... Excuse-moi pour tout à l'heure. Vraiment, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise...
Elle n'a pas le temps de finir sa phrase que Gong Yoo la stoppe dans son élan, une larme roule sur sa joue alors qu'il dégage son poignet de son emprise avec douceur. Son regard revient s'ancrer dans le sol à ses pieds, et comme précédemment une vague de tristesse prend possession de ses traits.
- Ce n'est pas à toi de t'excuser, voyons, écoute, si je suis parti si vite, c'est parce que je me sens honteux. Minji, tu t'es montrée si gentille avec moi, si bienveillante depuis le début et regarde-moi, je ne suis qu'un pauvre type qui n'a pas su garder l'amour de ses enfants. Comment pourrais-je te regarder après ça ? Quelle déception, je suis...
Minji s'attendait à tout sauf à ça. Alors c'est ce qu'il pense ?
- Je ne suis en rien déçue, Gong Yoo, pourquoi devrais-je l'être ? Ton histoire est terrible, tu as perdu la femme de ta vie, la mère de tes enfants, je ne sais même pas comment tu as réussi à te relever après ça. Bien que tu te sois égaré, aujourd'hui, tu es là, c'est tout ce qui compte à présent. Ton histoire n'appartient qu'à toi et il n'appartient qu'à toi également d'en changer le cours. Je ne suis personne pour juger ce qui est à toi. Tout ce que je souhaite, c'est que tu retrouves la paix sur le chemin.
D'une main, elle essuie les larmes qui ont coulé sur ses joues. Gong Yoo recule légèrement sous l'effet de surprise, mais ne se dégage pas : cette fois, il ancre son regard dans le sien. Elle peut entrevoir toute la peine et la souffrance qu'il ressent à l'intérieur. Cela a dû être si dur pour lui d'arriver jusqu'ici, elle en a conscience. Le voir dans cet état lui fait si mal, qu'elle repense à son propre parcours : faut-il vraiment vivre autant de malheurs dans une vie ? Comme souvent, elle se demande à quoi rime ces évènements, pourquoi ont-ils eu à traverser tout cela ? Cherchant une raison en vain, elle revient à Gong Yoo qui se trouve toujours devant elle. Peut-être que c'est ça la réponse qu'elle cherche tant...
- Je ne peux pas te laisser partir comme ça, tu es trop bouleversé pour conduire maintenant, est-ce que ça te dit qu'on aille marcher un peu, le temps est si plaisant aujourd'hui ?
* * *
Les voilà en chemin, côte à côte, vers une destination inconnue, à Gong Yoo qui se laisse simplement guider par Minji. Tout en arpentant les rues bruyantes à cette heure, il se demande encore ce qui l'a poussé à accepter l'invitation de celle-ci. Ce n'est pas son genre du tout, il préfère le confort de sa maison bien loin du regard des autres. Pourtant, lorsqu'il regarde Minji marcher en souriant, savourant la caresse du soleil sur son visage, il se sent incroyablement paisible. Lui aussi, l'espace de quelques secondes, ferme les yeux et se laisse envahir par la sensation de chaleur qui inonde son visage.
Il avait oublié que la vie pouvait être si simple et si douce, durant ces années d'errance au cœur de sa souffrance. Il ne peut que constater à quel point il avait juste oublié de vivre, comme si lui aussi était mort en même temps que sa femme. Le bras de Minji qui s'enroule autour du sien le fait revenir à la réalité. Ce contact devrait le déranger, néanmoins, plutôt que de se dégager, il resserre son bras à son tour. Ils décident de s'arrêter dans un petit café qu'ils croisent en chemin. Gong Yoo aide Minji à prendre place sur sa chaise, comme de vieux réflexes qui reviennent sans efforts, il passe leur commande auprès de la serveuse qui s'approche.
- Est-ce que tu voudrais bien m'en dire un peu plus sur ton histoire ?
La voix de Minji d'ordinaire si sûre d'elle, lui parvient timide et fuyante, lui qui a entendu l'histoire de cette femme des dizaines de fois dans les moindres détails. Peut-être devrait-il lui aussi en dire un peu plus, qui sait, il se sentira peut-être mieux après ?
- Oh et bien, il n'y a pas grand-chose à dire de plus, tu sais, après avoir perdu Mi-Cha, j'ai simplement cessé de vivre. J'ai commencé à boire et j'ai laissé mes garçons se débrouiller, reprochant même à Seungsik tout ce qu'il s'était passé... Je les ai rejetés autant que je souffrais et chaque fois que j'avais un moment de lucidité, je m'en voulais tellement que je reprenais simplement une bouteille...
Gong Yoo réalise à quel point il a été injuste avec Seungsik. Il n'a fait que s'en prendre à lui comme s'il était responsable de la mort de sa mère, alors qu'il en a terriblement souffert, lui aussi... Il revoit toutes les fois où son fils est venu lui rendre visite, il se rend compte que celui-ci ne vient jamais seul et que chaque fois Gong Yoo a tout gâché. Pire encore, il n'a même pas essayé de le comprendre lorsque celui-ci est venu avec son petit ami, faisant preuve d'un courage qu'il n'aurait jamais eu au cours de sa vie. Son fils, si jeune et pourtant si fort, qui continue de venir malgré tout ce que son père a pu lui dire. Lui qui a mis sa propre vie en suspens pour s'occuper de son frère alors que c'est lui qui aurait dû veiller sur eux...
La réalité le frappe si fort qu'il suffoque, est-il encore temps de faire quelque chose pour ça ? Et s'il était déjà trop tard, comment réussira-t-il à vivre en perdant aussi ses fils ? Sous la panique qui l'envahit, Gong Yoo sent une douce chaleur entourer sa main, son regard balaie la table, remontant son bras jusqu'à arriver à la raison de cette sensation sur sa peau. Minji a pris sa main dans la sienne, caressant délicatement du bout des doigts le dos de celle-ci, le regardant avec tendresse. Cette femme le bouleverse complètement, la pureté de son aura en est presque trop belle pour être vraie. Gong Yoo sans réfléchir davantage, serre la main de Minji en lui souriant, il n'a aucune idée de ce qu'il fait ni pourquoi il le fait. Tout ce qui importe à cet instant précis, c'est le bien-être qu'il ressent en son âme. Cette paix intérieure qu'il n'a plus connue depuis le départ de sa femme.
- Tu sais, je pense que rien n'est perdu avec tes fils. De la manière dont tu m'en parles, ils ont l'air d'être de bons garçons. Ils ont su s'entraider et restent à tes côtés malgré tout, je suis certaine que si tu le souhaites réellement, tu peux arranger les choses. Commence par t'excuser, ça n'a l'air de rien comme ça, mais c'est pourtant ce qui compte le plus, même s'ils ne te pardonnent pas tout de suite, ils verront que tu fais un pas vers eux. Je pense que c'est tout ce dont ils ont besoin actuellement. Ils ont juste besoin de leur père, tu sais, ils n'ont pas besoin que tu sois parfait, juste que tu sois présent.
Les mots de Minji font leur chemin dans son esprit alors qu'elle le raccompagne à sa voiture, comme à l'allée, elle a posé son bras sur le sien, marchant côte à côte tout en continuant de discuter joyeusement. La douceur de ce moment fait sourire Gong Yoo, il n'a pas été aussi heureux depuis si longtemps qu'il peine à se dire que tout ceci est bien en train de se produire. Alors qu'il se glisse dans son véhicule, il regarde Minji qui lui adresse un dernier signe de la main, puis prend la route en direction de chez lui. La journée a été forte en émotions, il a besoin de retrouver son espace et surtout, il voudrait passer voir quelqu'un.
La voiture s'arrête le long d'un trottoir, à quelques pas de là l'entrée du cimetière se profile dans l'obscurité. Gong Yoo n'était pas venu depuis longtemps, son état ne lui permettant pas d'aligner trois pas la plupart du temps, comment aurait-il pu se traîner jusqu'ici ? Il se souvient pourtant du chemin par cœur, même dans la nuit qui est désormais tombée, il avance au milieu des tombes jusqu'à arriver à hauteur de celle de Mi-Cha. Une douleur sourde l'envahit, il caresse délicatement le dessus de la stèle, s'agenouillant près d'elle.
- Bonsoir mon amour, ça fait longtemps, n'est-ce pas ? Pardonne-moi, tu veux... Je ne sais pas si tu es toujours là quelque part, j'espère simplement que tu es en paix. Je m'excuse de ne pas avoir veillé sur nos fils comme j'aurais dû le faire. Tu dois être déçue toi aussi, j'ai été stupide et égoïste, j'en suis désolé...
Les larmes roulent sur ses joues, il n'avait pas pleuré Mi-Cha depuis une éternité. Il n'avait plus la force pour cela, pourtant ce soir, il laisse aller sa peine et tout ce qu'il a pu noyer dans l'alcool ces dernières années. Comme un adieu qui n'en est pas vraiment un, il ouvre son cœur à celle qui a partagé sa vie durant tout ce temps, elle qui était sa meilleure amie, sa confidente, celle qu'il a aimée par-dessus tout.
- Je sais que je n'ai pas besoin de te le dire, ma tendre Mi-Cha, tu as toujours souhaité mon bonheur, alors je sais que tu serais probablement la première à m'encourager... Je ne sais pas vraiment où ce chemin va me mener, j'aimerais que tu puisses me guider encore un peu d'une manière ou d'une autre. J'ai encore besoin de toi à mes côtés, j'ai besoin que de savoir ce que tu penses de tout ça... Si tu pouvais me donner un signe, alors...
Gong Yoo s'arrête dans son élan, il sent son téléphone vibrer dans la poche de sa veste. De peur que ce soit Subin qui ait un problème, il décroche sans même regarder qui se trouve à l'autre bout du fil. La voix de Minji se fait entendre dans le combiné, Gong Yoo perdu regarde partout autour de lui, comment est-ce possible ? Ses yeux se posent alors sur la tombe de sa défunte épouse, serait-ce le signe qu'il a demandé ? Il sourit pour lui-même, sa main toujours en contact avec la stèle, un regard attendri vers la photo qui orne la pierre. Il savait qu'il pouvait compter sur elle pour l'aider lorsqu'il se sent perdu.
* * *
- Allo, Gong Yoo ? Je ne te réveille pas au moins ? Je suis désolée d'appeler à cette heure, je... À vrai dire, je m'inquiétais de savoir si tu étais bien rentré et je n'avais pas ton numéro, alors j'ai demandé à l'association, j'espère que tu ne m'en veux pas...
Minji se sent fébrile, elle se demande encore ce qui lui a pris de retourner à l'association aussi tard pour obtenir son numéro de téléphone. Lorsqu'elle a vu la voiture s'éloigner plus tôt dans la soirée, pour la première fois, son cœur s'est serré. Elle n'avait aucune envie de le voir partir, alors ce fut plus fort qu'elle. En quelques minutes, la voilà qui sonnait comme une folle au milieu de la nuit, jusqu'à ce que la porte s'ouvre sur le regard effaré de la doyenne. Après lui avoir assuré que tout allait bien, qu'elle avait juste besoin d'un numéro, elle est rentrée chez elle le plus vite possible. Puis après avoir fait les cent pas dans son appartement, elle s'est enfin décidée à appeler Gong Yoo.
Rien qu'entendre sa voix à l'autre bout la rassure et la remplie de joie. Comme une adolescente, elle passe nerveusement sa main dans ses cheveux. Après ce rendez-vous improvisé cette après-midi, elle n'arrive plus à nier l'évidence. Ce n'est pas un simple attachement qu'elle a envers cet homme, un nouveau sentiment a pris place dans son cœur sans qu'elle puisse l'éviter. Elle ne peut pourtant pas s'empêcher de se sentir coupable, Gong Yoo n'a définitivement pas fait le deuil de son épouse et elle sait qu'il y a peu de chances pour qu'il accepte de la voir en dehors des réunions de l'association. Cette idée bien ancrée à son esprit ne la fait pas reculer pour autant. Même si elle doit rester à ses côtés comme un simple soutien, elle le fera avec dévotion. Avoir la chance de tomber amoureuse à nouveau est déjà bien assez pour elle. Après ce que la vie lui a fait traverser, elle s'estime heureuse d'avoir encore la force de sentir son cœur battre pour quelqu'un.
- Tu ne me réveilles pas, non, justement, je pensais à toi. Est-ce que ça te dirait qu'on passe un moment ensemble après la réunion de demain ? J'aimerais te remercier pour le café d'aujourd'hui...
Son cœur s'emballe de manière incontrôlable, elle ne s'attendait pas à autant après ce coup de téléphone. Minji accepte avec plaisir avant de raccrocher, un large sourire illumine son visage. Elle respire profondément, laissant le bonheur l'envahir peu à peu. Ce soir, c'est le cœur léger qu'elle trouve le sommeil et pour la première fois depuis des années, aucun mauvais rêve ne viendra troubler son repos. Elle l'espère, c'est une nouvelle page qui se tourne pour elle. Peu importe le temps que cela prendra, elle a envie de mettre toute son énergie à voir Gong Yoo heureux à nouveau.
Lorsqu'elle se lève le lendemain matin, elle est surexcitée, plus que d'habitude. Elle prend le temps de se préparer, de ranger son petit appartement et d'effectuer sa routine quotidienne. La seule différence est qu'elle a cette fois l'impression d'avoir une vraie raison de sourire aujourd'hui. Elle parcourt avec une certaine impatience le chemin qui la mène à l'association, elle aperçoit alors Gong Yoo qui est déjà là. Elle constate que lui aussi s'est apprêté aujourd'hui. Elle ne peut qu'admirer cet homme, malgré les années qui sont passées sur son visage. Il a une élégance particulière et dans cette tenue, il est simplement à couper le souffle.
En quelques pas, elle le rejoint et tape gentiment sur son épaule pour lui signaler sa présence. Lorsqu'il se retourne vers elle en souriant, son cœur s'anime, la laissant elle-même stupéfaite de ce qu'elle ressent. Ensemble, ils franchissent la porte et se rendent auprès des autres bénévoles déjà en place. Certains leur adressent un sourire entendu. Depuis le temps qu'ils viennent ici, tout le monde ou presque a remarqué qu'ils étaient proches et des rumeurs ont même commencé à faire un bout de chemin au sein de l'association. Minji s'amuse de voir les regards converger dans leur direction pendant qu'ils marchent côte à côte. Elle ressent une certaine fierté de pouvoir se tenir près de lui ainsi, bien qu'ils ne soient pas réellement un couple.
Après la session du jour, Gong Yoo la guide vers un petit restaurant, perdu dans une impasse. S'il ne l'avait pas conduite ici, elle n'aurait probablement jamais vu qu'il existait un tel endroit à Séoul. Une fois la porte passée, l'intérieur ressemble à une immense serre, lumineuse, parsemée de plantes et de fleurs parcourant de jolies treilles en bois. Minji est subjuguée par la beauté des lieux, l'atmosphère est paisible, uniquement troublée par les notes d'un piano qui s'élève dans l'air ambiant. Une hôtesse les invite à rejoindre une petite table pour deux, dans le renfoncement de la pièce, elle passe ensuite déposer sur la table deux menus puis s'éclipse en silence.
- Gong Yoo cet endroit est merveilleux, comment as-tu trouvé un tel endroit ? Je suis heureuse de t'avoir invité à boire un café si ça me vaut de découvrir un tel lieu ensuite.
* * *
Les plats arrivent devant eux, tout semble absolument délicieux. Gong Yoo regarde Minji s'émerveiller du décor en souriant malgré lui. Il repense à ce qu'il s'est passé hier soir près de la stèle de sa femme. Lui qui attendait un signe, il pense qu'il a eu ce qu'il espérait. Il ne se sent pas moins coupable pour autant, il tente simplement de se dire que ça passera avec le temps. Pour le moment, il n'est question de rien d'autre que de passer un agréable moment en sa compagnie devant un bon repas. Comme sa guérison, il a décidé de prendre les choses au jour le jour, un pas après l'autre. Cette façon de faire l'a déjà mené jusqu'ici, il n'y a pas de raisons pour que ça ne fonctionne pas encore une fois.
Alors qu'ils attendent leur dessert, plongés dans une énième discussion, Gong Yoo voit la main de Minji près de la sienne sur la table. Il ressent l'envie irrésistible de la saisir dans la sienne, comme la veille lorsqu'elle avait attrapé sa main pour le réconforter, sauf que cette fois, il n'est pas question de réconfort, il veut simplement être à son contact. N'osant pas bouger, il finit par rassembler son courage et pose sa main sur la sienne. Minji s'arrête alors de parler, Gong Yoo qui pense avoir fait une erreur, retire sa main instantanément, ne sachant plus où se mettre.
- Je suis désolé, excuse-moi Minji, je ne voulais pas te brusquer, je...
Minji récupère alors sa main en lui souriant, et la repose sur la table en la tenant fermement. Gong Yoo baisse la tête dans un demi-sourire, rassuré et heureux en comprenant qu'il n'est pas le seul à se sentir bien lorsqu'ils sont ensemble. Ils finissent leur repas comme si tout était parfaitement à sa place, ne séparant leurs mains que lorsque cela est nécessaire. Les mots ne sont pas utiles, ils n'ont qu'à se regarder pour ressentir la profondeur du lien qui les unis à ce jour, Gong Yoo se sent en paix avec Minji c'est tout ce qui compte à présent.
Une fois le repas terminé, ils s'engagent à l'extérieur, prenant le temps de flâner dans les ruelles environnantes, main dans la main comme des adolescents. Après quelques minutes de marche, ils se rendent dans le parc qui se profile devant eux. Dans les allées ombragées, les arbres fleuris de chaque côté dégagent une odeur enivrante, ils s'arrêtent sur un banc faisant face à une immense fontaine. Dans le calme paisible de cette après-midi, ils restent ainsi sans un bruit, profitant simplement de la présence de l'autre. Minji a déposé sa tête sur son épaule et Gong Yoo se laisse distraire par le parfum de son shampoing mêlé aux effluves fleuries.
La douceur de vivre qu'il n'avait pas ressenti depuis une éternité est si plaisante qu'il en oublie le temps qui passe. Il doit pourtant revenir à la réalité, il va devoir laisser Minji rentrer chez elle puis reprendre la voiture pour rejoindre Subin. Celle-ci semble d'ailleurs endormie sur son épaule, il écarte doucement quelques mèches de cheveux sur son visage, ce qui la fait sourire. Bien loin de s'être assoupie, elle ouvre ses grands yeux et plonge son regard dans le sien. Ils se décident enfin à quitter le parc, marchant d'un pas lent vers la voiture de Gong Yoo. Aucun d'eux n'a envie que la journée se termine ainsi, pourtant il faudra pour le moment s'en contenter.
Cette fois, Minji dépose un baiser sur sa joue avant de le laisser partir. Il espère qu'un jour, ils feront ce trajet ensemble et qu'ils n'auront pas à se dire au revoir comme cela. Pour que ce soit possible, il va d'abord devoir affronter ses fils et même si ce sont de gentils garçons, il doute que la nouvelle soit si facile à accepter pour eux, ce qui est tout à fait normal. Il est persuadé cependant que comme elle a su le faire pour lui, Minji saura toucher leurs cœurs et se faire accepter dans leur famille.
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