Part one

Je ferme la porte d'un coup de pied rendu agile par l'habitude, et prends le temps de me déchausser avant de porter mon précieux fardeau dans le salon. Je n'essaye même pas d'être silencieux, parce que la petite tête blonde que je m'apprête à déposer sur mon canapé à le sommeil lourd, et que rien, à part son horloge interne, ne pourra le réveiller pour l'instant.

Je l'installe confortablement entre les coussins et dépose son doudou sur sa poitrine, avant de l'embrasser tendrement. Mon fils s'épuise autant qu'il m'épuise, et ça me fait le même effet tous les soirs : un élan de tendresse, inexplicablement lié à une mélancolie sourde qui ne se pointe qu'à cet instant-là, juste pour me rappeler sa présence, avant que je ne me reprenne pour vaquer à d'autres occupations.

Je traverse l'appartement dans un silence apaisant, et, après avoir entendu une vingtaine d'enfants brailler toute la journée, c'est de ça dont j'ai besoin : ce calme absolu, le temps pour moi de tourner la page de cette nouvelle journée d'école, d'arriver à rentrer chez moi, de sortir du boulot. Parce que, même si dans les faits ça fait une demi-heure que j'ai quitté mon lieu de travail, j'ai besoin de temps pour retrouver ma vie de père célibataire, besoin de quelques minutes supplémentaires pour me reconnecter à Louis, et cesser d'être Maître Louis, que l'on interpelle toute la journée pour savoir où coller une feuille d'exercice, que l'on sollicite pour refaire des lacets, que l'on fusille du regard lorsqu'il donne des devoirs.

J'aime ça, j'aime mon métier, et j'aime mon fils, évidemment, mais réussir à conjuguer mes deux vies sans flancher s'avère plus compliqué qu'il n'y paraît. Alors j'ai besoin de ce sas, cet entre-deux que me procure la fatigue de Freddie, ce moment rien qu'à moi lorsqu'on rentre de l'école et qu'il s'endort dans la voiture, cette petite heure où je peux lentement laisser tomber le costume de professeur qui me colle à la peau pour revêtir celui de papa, dans lequel je suis beaucoup moins doué, avouons-le.

Et ma journée a été particulièrement éprouvante aujourd'hui. On approche de la fin de l'année, le soleil échauffe aussi bien les salles de classe que l'excitation des élèves et les récrés sont de plus en plus sources de problèmes entre élèves. Heureusement ce sont souvent des disputes futiles ou des bobos insignifiants, mais ça reste pesant. Et les notifications de passage ne nous aident pas à maintenir le calme : chacun sait désormais qu'on lui propose de passer dans la classe supérieure, alors que nous ne sommes que début mai et qu'il reste encore six semaines d'école... Allez les maintenir concentrés avec ça !

L'eau chaude de la douche s'abat sur moi et je souffle, enfin. C'est une sorte de rituel, une bonne douche pour se débarrasser de la journée et ensuite, je serai pleinement le père de Freddie, mon attention lui revenant entièrement, mes pensées toutes dirigées vers lui, jusqu'à ce que je le couche plus tard dans la soirée et que le boulot reprenne ses droits, mon ordinateur comme meilleur ami et mes clopes comme exutoire...

_________

De @MedAboutYou

A @TommoTheTease

Je veux te « revoir »


C'est fou comme quatre mots de rien du tout peuvent foutre une journée en l'air... Ça doit être la dixième fois que je relis ce mail. Rien que quatre mots, clairs et nets, on ne peut plus explicites, rien d'insultant ou de dérangeant en soit... et pourtant !

Freddie me sort de la contemplation de mon portable en baragouinant à côté de moi.

- Et si tu sortais ton pouce de ta bouche, tu crois pas que ça serait mieux ?, je l'interroge en rigolant doucement. Oui, il a cinq ans et il suce encore son pouce, un problème avec ça ?

- J'ai dit « Moi je voudrais bien avoir des jambes super rapides comme Flèche »

Sa réflexion m'amuse, je ne doute pas une seconde qu'il mettrait ses pouvoirs à profit pour nous écraser au foot, les mecs et moi, parce que c'est une passion que je lui ai transmise, et nous essayons de jouer tous les week-ends avec mes potes, même si ces derniers temps nos boulots et nos vies respectives nous ont un peu éloignés les uns des autres.

Pour passer plus facilement la défense de Calvin ?

Il fronce les sourcils et je comprends qu'on n'est pas sur la même longueur d'ondes.

- Non, pour rattraper Lux dans la cours !

Mon éclat de rire le fait rigoler, il faut dire que la petite blonde est un phénomène, et qu'elle court sacrément vite pour échapper aux garçons qui l'embêtent.

- Et si tu la laissais tranquille plutôt, non ? Je suis sûr que si tu arrêtais de lui courir après tout le temps elle accepterait de jouer avec toi...

- Mais on joue au loup ! Et les garçons, ils attrapent les filles, c'est le jeu.

- Et pourquoi ça serait toujours aux garçons d'attraper les filles ? T'as pas envie de changer un peu pour une fois ?

Son front se plisse un peu comme il réfléchit, le pouce à nouveau dans la bouche.

- Ben... non ! C'est toujours comme ça, c'est toujours les garçons qui attrapent !

Ah, j'oubliais les sacro-saintes règles des cours de récréation : on ne change pas les règles, et surtout pas dans un jeu qui mélange les filles et les garçons ! Des fois qu'on apprendrait à ces charmants futurs machos sexistes qu'une fille peut jouer au foot aussi, comme elle peut porter du bleu et mettre une raclée à un garçon un peu trop chiant... J'aime travailler dans une petite école rurale, comme j'aime élever mon fils dans une petite ville, mais parfois, les mentalités étriquées d'ici me pèsent. Et je ne me gène pas pour inculquer à mon fils de vraies valeurs, les miennes... il est temps que les règles changent...

- Fais-moi plaisir bonhomme : demain, tu proposes un loup où ce sont les filles qui attrapent.

Il me regarde avec une moue contrariée, je ne suis pas sûr de l'avoir convaincu, mais il acquiesce en haussant les épaules parce qu'il me fait confiance. Et certainement aussi parce qu'il se voit déjà me reprocher son initiative demain soir lorsque tous ses copains se seront insurgés.

Je reporte mon regard sur l'écran de mon téléphone alors que Freddie se retourne vers la télé en se recalant contre moi, et ma main s'enfouit par réflexe dans ses mèches blondes que je décoiffe allègrement.

Je veux te « revoir »

Oui, il est temps que les règles changent...

_________

Je referme la porte derrière moi en grimaçant, et prends le temps de m'habituer à l'obscurité qui m'entoure, alors que des frissons remontent ma colonne vertébrale. Ça m'a fait le même effet la première fois que je me suis retrouvé dans cette salle, privé d'un de mes sens. Bientôt, de petites diodes vont m'indiquer la porte que je dois pousser pour rencontrer celui que le site m'a choisi, bien que cette fois, ce soit lui qui m'ait choisi, et pas le logiciel d'IntoTheDark.fr.

Je ne l'ai jamais « vu ».

J'ai senti son cou, j'ai caressé sa peau, j'ai embrassé ses lèvres, j'ai possédé son corps, je l'ai entendu gémir son plaisir l'espace d'une nuit, il y a quelques semaines déjà... Mais je ne l'ai jamais vu. C'est exactement ce qui m'a attiré sur ce site : la possibilité de rencontrer des gens qui ne pourront pas me reconnaître dans la rue, au supermarché ou pire, au portail de l'école.

Je suis enseignant, père et célibataire. C'est déjà assez louche pour certains parents, qui se posent des questions, et n'hésitent pas à prêcher le faux pour savoir le vrai, mais rajouter à ça que j'aime – aussi – les hommes provoquerait une émeute, et probablement un sursaut de réactions de gens bien pensants, qui ne voudraient plus me voir approcher leurs chers petits... Alors la possibilité de rencontrer quelqu'un, de manière tout à fait anonyme, juste quelques heures pour évacuer la frustration et le désir de sentir un corps masculin contre le mien, c'est tout à fait ce dont j'avais besoin.

Je ne sais rien de lui, mis à part qu'il s'appelle Edward (et encore, pourquoi prendrait-il la peine de me donner son vrai prénom, puisque, moi, je ne le fais pas?), et qu'il aime lui aussi jouer selon ces règles. Nous n'avons passé qu'une nuit ensemble, une nuit inoubliable, et pas uniquement parce que c'était la première fois que je savais que je ne risquais rien à me laisser aller.

Mais très vite après ce moment, j'ai reçu un message privé de sa part, par l'intermédiaire du site. Et nous avons commencé à correspondre, sans jamais rien dévoiler de trop personnel, et sans jamais interroger l'autre, comme si d'un commun accord, nous souhaitions garder notre anonymat.

J'ai découvert qu'on ne s'entendait pas bien uniquement sexuellement, nous avons parlé de musique, de cinéma, de sport... et il n'y a bien que sur le foot que nous ne sommes pas d'accord ! Je ne sais pas ce qu'il fait dans la vie, même si j'en ai déduit d'après l'heure où il m'écrit qu'il a des horaires assez souples, je ne sais pas où il habite mais je sais qu'il n'est pas originaire d'ici parce qu'il m'a avoué passer ses week-ends à faire des balades avec sa mère et sa sœur pour découvrir les trésors de notre région. J'ai deviné qu'il ne devait pas être bien plus vieux que moi, et j'ai constaté qu'il était par contre bien plus grand, même si nous avons passé plus de temps ensemble allongés que debouts...

Et toutes ces conversations, qui taisent l'essentiel, nous ont amenés à ce moment, sur sa demande. Parce que même si j'en mourais d'envie, jamais je n'aurais osé le lui proposer. Trois ans de célibat m'ont rendu fragile, et j'ai besoin de plus que des câlins tendres de mon fils ou des accolades amicales de mes amis, il ne me faudrait pas grand-chose pour m'attacher.

Or, je ne peux pas. Pas avec Freddie. Je vois bien déjà que je frôle la ligne rouge avec Harry, mon collègue, je n'ai pas besoin du grain de sable qui viendra enrayer la machine...

La main sur la porte qui s'est dévoilée, je secoue la tête ; ce n'est pas le moment de penser au mec qui me retourne la tête au boulot, mais plutôt à celui qui va me retourner le cerveau dans quelques minutes. Alors je souffle une dernière fois, pour évacuer la tension dans mes épaules, à défaut de pouvoir encore évacuer celle qui siège plus bas - ça, ce sera son boulot - et pousse le panneau de bois.

Tout est sombre dans la pièce, aucun reflet, aucune lumière d'aucune sorte, mais je sais qu'il est déjà là au souffle discret que j'entends en plus du mien. Je laisse glisser ma veste en jean au sol, et je balance mes Vans d'un coup de pied pour m'approcher du lit qui trône au centre de la pièce. Mes yeux s'étant un peu habitué j'en distingue les contours, comme le corps qui est assis dessus. Il attend que j'arrive, et je sais qu'il ne dira pas un mot, parce qu'on n'est pas là pour parler, ni lui ni moi, et que l'obscurité nous permet d'éviter la gêne et d'aller à l'essentiel.

C'est pour ça que je ne perds pas de temps, une fois monté sur le lit, pour l'approcher et l'attirer à moi d'une main sur sa nuque avant de fondre sur sa bouche. Il répond aussitôt à mon baiser exigeant et sa bouche ne tarde pas à s'ouvrir pour que nos langues se rencontrent. Ses mains sur mes hanches m'enjoignent à l'enjamber et il me fait asseoir sur lui, m'appuyant contre son bassin pour me faire sentir à quel point il en a envie.

Sa peau est douce sous mes paumes qui encerclent ses joues, il s'est rasé avant de venir, au contraire de moi, et ça me plaît de savoir que ma jeune barbe laissera des marques sur sa peau, bien après notre rencontre. Nous nous séparons juste le temps qu'il fasse passer mon tee-shirt par-dessus ma tête et ses mains partent à la découverte de mon dos, tandis que les miennes défont les boutons de sa chemise. Ça a beau être purement sexuel entre nous, nos mains prennent le temps de découvrir le corps de l'autre, je ne sais pas faire autrement de toute façon. Je n'ai jamais tiré un coup vite fait sans profiter du corps qui m'est offert pour quelques instants, j'ai besoin de sentir les muscles rouler sous mes doigts, la peau se couvrir de chair de poule sous mon souffle chaud, la tension monter inexorablement jusqu'au moment où mon partenaire m'en demandera plus.

D'un mouvement de hanche, Edward, puisque c'est comme ça qu'il veut que je l'appelle, m'allonge sur le matelas et son corps surplombe le mien alors que j'écarte les jambes pour qu'il se glisse entre elles. Nos sexes entrent enfin en contact, et nous gémissons de concert dans la bouche de l'autre.

Il me rend fou à se frotter contre moi alors que ses mains laissent des traînées brûlantes sur mon torse et mon ventre, et je ne sais pas si j'ai envie de lui, ou juste envie de m'envoyer en l'air, mais le résultat sera le même, et même s'il n'est qu'un moyen d'arriver à l'orgasme pour moi, il a l'air complètement d'accord avec ça.

Je sens enfin ses doigts se presser contre la ceinture de mon jean et celui-ci n'est bientôt plus qu'un souvenir alors que sa bouche quitte la mienne en descendant lentement dans mon cou. Sa langue chaude trace des arabesques sur mon torse et ma respiration se fait irrégulière quand je comprends où l'emmène son expédition le long de mon corps. Un halètement m'échappe lorsqu'il referme les lèvres autour de mon érection et je plonge les mains dans ses cheveux, foutant le bordel dans ses boucles pour m'accrocher à quelque chose. Il m'a déjà montré à quel point il peut être doué avec sa bouche, et je le sens sourire autour de moi d'entendre, et sentir, l'effet qu'il me fait, à défaut de le voir.

J'adore vraiment ça, cette intimité avec un mec que je ne vois pas, qui n'est peut-être même pas à mon goût physiquement pour ce que j'en sais, qui ne me pose aucune question, qui n'attend rien de moi si ce n'est le plaisir que je lui procurerai cette nuit. Ça et le fait que mes sensations soient décuplées par l'absence de visibilité, c'est ça qui fait du concept IntoTheDark le meilleur site de rencontre que je connaisse.

On remplit un questionnaire en ligne, on fournit nos résultats d'analyses même, qui sont examinés avant que notre inscription ne soit validée, et on profite d'un entretien téléphonique avec l'un des administrateurs du site pour qu'il soit sûr de nos motivations. Il ne s'agit pas d'entrer ici sous un faux prétexte pour aller répandre à l'extérieur les noms de ceux qui profitent de ces pièces : nous sommes peu nombreux, et nous tenons à notre anonymat entre ces murs. Mais nous avons la possibilité de contacter une personne que nous avons rencontrée ici si le besoin s'en fait sentir, en adressant une demande aux administrateurs. C'est ce qu'a fait l'homme qui joue actuellement de sa langue sur mon sexe pour me revoir ici aujourd'hui, et je m'emploierai à le remercier correctement pour ça dans quelques minutes.

Pour l'heure, je tire un peu plus sur ses mèches pour qu'il arrête ses délicieuses attention, même si on a toute la nuit pour nous, je ne veux pas risquer de l'écourter en éjaculant maintenant.

Ma queue quitte sa bouche dans un bruit indécent et il remonte contre mon corps pour m'embrasser, un sourire contre mes lèvres.

- Tu es beaucoup trop habillé, je chuchote contre sa bouche en m'attaquant à son jean, et il me répond en ricanant doucement.

Nous avons pris l'habitude, si l'on peut dire alors que ce n'est que notre deuxième rencontre, de ne pas briser le silence autrement qu'en gémissements et chuchotements. Et c'est peut-être ce qui rend ça aussi excitant, plus encore que le fait de coucher avec un inconnu, car si je le rencontrai demain dans la rue, je ne le reconnaîtrai pas, je ne me retournerai pas au son de sa voix que je croirai reconnaître, je ne m'attarderai pas sur son corps dont les courbes me rappelleront nos étreintes. Il reste ce mystère que je ne cherche pas à percer, celui qui alimentera mes prochains fantasmes sous les traits que je lui inventerai.

Je le fais basculer sur le lit pour me retrouver au-dessus de lui et entreprends de lui enlever le dernier rempart entre ma peau et la sienne, mais, comme la dernière fois, son putain de jean trop serré me donne du fil à retordre, et ça le fait pouffer doucement. C'est peut-être ça, le seul indice qui me permettrait de le retrouver en dehors de ce bâtiment, si j'en avais vraiment envie : ses putains de jeans skinny !

Ces gloussements se transforment bien vite en gémissements lorsque mes lèvres tracent les contours de son sexe, et je me délecte du goût de sa peau et de la lourdeur de sa queue sur ma langue. Il n'y a eu personne depuis lui, et ça m'avait manqué...

_________

- J'en connais un qui s'est envoyé en l'air, hier !

Je ricane en récupérant mon plat dans le micro-ondes : rien n'échappe à Aurélie !

- J'en déduis que d'habitude j'ai l'air mal-baisé... Merci !

- Ouh ! Mais il ne dément pas, en plus !

A quoi bon ? De toutes façons, je la connais assez pour savoir qu'elle ne lâchera pas l'affaire, si elle veut savoir, elle sait. Rien ne lui résiste. Je lève les yeux au ciel devant son comportement de gamine et m'installe, à ses côtés, à table.

- Alors ? Quelqu'un a enfin réussi à atteindre ton pantalon ?

Le coup d'épaule assorti du regard avide qu'elle me lance me ferait presque rougir... presque, parce que depuis le temps, je suis habitué.

Heureusement, l'arrivée du reste de mes collègues me dispense de répondre, mais je comprends bien à son air espiègle qu'on n'en restera pas là, elle et moi. Et la connaissant, elle est bien capable de relancer le sujet une fois tout le monde installé autour de nous. Ils prennent place, et je leur offre un sourire au fur et à mesure que l'on se souhaite un bon appétit. Mon défi du jour - qui est en fait mon défi de l'année - est de ne pas bloquer sur mon collègue, qui s'installe en face de moi.

Harry. Mon cauchemar.

Pas qu'il soit désagréable ou méchant, non, bien au contraire. Il est charmant, gentil, il a un humour aussi barré que le mien... et il est beau comme un dieu. Grand, brun aux yeux verts. J'ai craqué.

Mais c'est mon collègue. C'est un homme. Et c'est le maître de mon fils.

Trop d'obstacles pour que ce soit possible.

Alors je me contente de le regarder – en tentant de rester discret – de plaisanter avec lui, de rire à ses blagues nulles, et de le chambrer un peu, quand on est à l'école ; arrivé chez moi, c'est une autre histoire...

- Bon, alors Louis ? On veut savoir nous !

J'ai déjà dit à quel point elle me saoule ? Non ? Ben c'est fait !

Je souffle en relevant la tête de mon assiette : tous les regards sont braqués sur moi, dont celui, bien trop vert, de mon pêché mignon.

- Savoir quoi ?

Non, pitié ne rentrez pas dans son jeu !

- Louis s'est envoyé en l'air cette nuit, alors on veut savoir avec qui !

Ça y est, elle a réussi à allumer la petite flamme de la curiosité et leurs regards ne sont plus seulement intrigués, mais carrément avides d'en savoir plus.

Le premier à se détourner face à mon silence est Harry, qui reprend son repas tranquillement. Depuis un an qu'on se côtoie, on a tous l'habitude des frasques d'Aurélie, et si habituellement nous rions et détaillons ensemble nos vies sexuelles – quasi inexistante pour ma part - sans honte, aujourd'hui ça me dérange un peu.

- Et tu ne sauras pas.

Des ricanements s'élèvent, parce que l'on sait tous très bien à quel point elle est têtue, et je ne vois pas très bien comment me sortir de là.

- Parce que c'était si mauvais que ça ?, reprend-elle d'une voix ingénue avec un petit sourire en coin, que j'aime bien en temps normal mais que j'ai très envie de lui arracher à cet instant. Parce que l'entendre dénigrer ma soirée m'énerve, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi, et, même si je n'ai pas envie de m'étaler sur mes histoires de cul, je ne veux pas la laisser salir cette nuit.

- Bien au contraire, dis-je sans la regarder, mâchoires serrées.

- Alors, dis-nous au moins si elle était bonne !

Je grince des dents avec la furieuse envie de lui répondre que oui, IL était génial, un putain de bon coup qui m'a fait jouir trois fois. Mais je me tais, parce que pas un ici ne sait que j'ai ces penchants- , et je me contente de la fusiller du regard, en espérant qu'elle comprenne toute seule qu'elle doit changer de sujet. Malheureusement, ils mangent tous religieusement pour une fois, et aucune conversation n'émerge en marge de la nôtre.

- Oh, allez quoi ! Tu peux bien nous dire si elle était blonde au moins ? Ou brune ? Oh attend ! A moins que ce ne soit un blond...

Nous y voilà ! Elle l'a dit uniquement pour me faire réagir, je le sais, je la connais maintenant. Je sens l'ambiance s'alourdir d'un coup autour de la table, et je scrute chacun de mes collègues : fourchettes suspendues, regards incrédules, rougeurs sur les joues... Sont-ils choqués qu'elle ait osé poser cette question, ou que ça puisse être le cas, que j'aie effectivement passé la nuit avec un blond ?

Je ricane amèrement en pensant que je serai de toute manière bien en peine de répondre, parce que je ne l'ai pas vu : de quoi alimenter leur hébétude pour quelques temps supplémentaires...

- Et même si c'était le cas ? Si j'avais vraiment passé la nuit avec un homme... ça serait grave ?, la provoqué-je, mes yeux fermement ancrés dans les siens.

Et ce que j'y vois me détend immédiatement : il n'y a aucune trace de dégoût, ou encore de moquerie, comme il pouvait y en avoir il y a cinq minutes. Non, là, je perçois autre chose, un je-ne-sais-quoi qui dénoue un à un les muscles de mes épaules, une lueur qui relâche les traits de mon visage, une compréhension qui trouve un écho dans ma poitrine.

- Pas du tout, chéri, souffle-t-elle calmement. Du moment que tu arrives ici avec le sourire, tu peux bien coucher avec qui tu veux, je m'en contrefous.

Elle assortie sa réplique d'un sourire tendre et je fonds. Elle est exubérante, grande gueule et rentre-dedans, mais c'est une fille en or, et je l'admets volontiers, même si on n'est pas toujours d'accord.

- Ça veut donc bien dire que tu étais avec un beau mâle cette nuit ?, tente-t-elle malgré tout, et j'en viens presque à regretter mes dernières pensées un peu trop charitables envers sa personne !

- Ça veut dire que ça ne te regarde absolument pas, et que je te prie de t'occuper de ton cul.

J'ai même pas envie de démentir en fait, ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent, ils ont l'esprit assez ouvert pour que les sujets de nos discussions autour de cette table leur aient fait comprendre que je ne supportais aucune forme de discrimination. Alors ils prendront de cet échange ce qu'ils voudront, je n'ai pas à me justifier, et ils n'ont pas à m'y pousser.

Ma voisine m'envoie un nouveau coup d'épaule avec un clin d'oeil, et j'y vois une façon de me demander pardon – mais un petit pardon, hein, parce que n'oublions pas que cette fille a un égo démesuré ! - auquel je réponds par un sourire en coin, un qui atteint mes yeux cette fois.

Mais quand je les détourne pour les reposer sur l'assistance, ils ont déjà repris leur repas, commençant même à parler d'autres choses entre eux... tous, sauf Harry. Lui, il me fixe, en mâchant tranquillement, l'air songeur. Et je comprends que je ne m'en sortirai peut-être pas aussi bien avec lui qu'avec Aurélie.

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De @MEdAboutYou

A @TommoTheTease

Merci pour cette nuit, c'est toujours un plaisir de te rencontrer (et ce au propre comme au figuré), comme ça l'est de discuter avec toi.

Tu trouverais ça déplacé si je te disais que j'ai très envie de te « revoir » ?

Est-ce que nos échanges m'ont fait apprécier cette nuit différemment ? Peut-être... mais dans ce cas, j'ai la furieuse envie de te demander de continuer.

Partant ?


De @TommoTheTease

A @MEdAboutYou

Le plaisir est partagé, crois-moi.

Je ne sais pas trop quoi penser de tout ça... Est-ce que ça ne va pas vite faire « trop » ? Je suis sur le site pour un tas de (bonnes) raisons, la première étant que je ne veux pas être (re)connu. J'adore discuter avec toi, j'adore partager ma nuit avec toi, mais je ne te donnerai rien de plus. N'est-ce pas égoïste de te répondre que je suis partant dans ces conditions-là ? Je ne voudrais pas que tu espères plus, parce que ça n'arrivera pas. Et si tu voulais cesser toute correspondance en sachant cela... je comprendrais.


De @MEdAboutYou

A @TommoTheTease

Je connaissais les règles du jeu, et j'ai signé quand même la première fois. Je ne suis pas à la recherche d'un homme pour partager ma vie, ma situation m'en empêche (là-dessus aussi on se rejoint), mais j'apprécie vraiment partager mon lit avec toi... Et c'est toujours trop court au final. Parce que sitôt passé la porte, il n'y a plus rien. Pas un nom, pas un visage, juste des souvenirs, des sensations. Et c'est tellement peu mais tellement bon en même temps...

Ma proposition tient toujours.

Réfléchis-y, s'il-te-plaît.


De @TommoTheTease

A @MEdAboutYou

Pourquoi moi ?


De @MEdAboutYou

A @TommoTheTease

Tu veux vraiment que je fasse l'éloge de tes qualités au pieu ?


De @TommoTheTease

A @MEdAboutYou

Non !

Je veux dire, pourquoi tu veux me revoir, moi ? Pourquoi ne pas te contenter de nouveaux pseudos, surtout si tu ne cherches pas d'attache. Ça s'apparente quand même pas mal à une relation ce que tu me proposes...


De @MEdAboutYou

A @TommoTheTease

Peut-être parce que justement on pourrait avoir tous les avantages d'une relation, sans les inconvénients... Le plaisir, le corps de l'autre, sans rien attendre d'autre de lui que ça. Je ne suis pas doué pour être en couple, et c'est très compliqué pour moi de l'être aux vues de ma sexualité... Ce qu'on a, c'est tout ce à quoi je peux prétendre sans y laisser des plumes.


De @TommoTheTease

A @MedAboutYou

Tu n'es pas out ?


De @MEdAboutYou

A @TommoTheTease

Si, vis-à-vis de ma famille et des gens qui comptent... je n'ai aucun problème avec mon homosexualité, mais j'ai un métier qui ne me permet pas de l'afficher publiquement. Et je ne rentrerai pas plus dans les détails, parce que ça serait contraire à nos « règles ».


De @TommoTheTease

A @MedAboutYou

On se ressemble plus encore que tu ne le crois.

Et j'ai vraiment envie de te dire oui.


De @MEdAboutYou

A @TommoTheTease

Fais-le !


De @TommoTheTease

A @MedAboutYo

Ok !

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- Pffffffff...., je souffle, une main sur la nuque en essayant de dénouer les muscles de mon cou. Je viens de laisser mes élèves sortir et ça fait du bien, ils ont été particulièrement remuant aujourd'hui, et je suis bien content que ce soit une petite journée.

- Dure journée ?

Je rouvre les yeux en souriant, sa voix est exactement comme lui : un appel au viol. Et je suis absolument ravi qu'il ne puisse pas lire dans mes pensées, parce que depuis le temps que je fantasme sur lui – oui, n'ayons pas peur des mots - il me prendrait pour un taré !

- T'as pas idée... Ils ont été sympas les tiens ?

Harry s'avance un peu plus dans ma classe pour venir s'asseoir sur une des tables récemment libérée.

- Ça a été, ouais... Faut dire que je les ai calmés en les menaçant de supprimer le goûter d'anniversaire de Ninon, alors...

- Malin ! Mais moi j'ai aucun anniversaire au mois de juin, donc aucun moyen de pression...

Harry rit de bon coeur tandis que je m'assois à ses côtés. J'adore ce moment : quand la journée se termine pour nous et qu'on discute tous les deux, ça ne dure que peu de temps, parce qu'on a tous les deux une classe à ranger, et qu'on ne s'attarde ni l'un ni l'autre le soir à l'école, mais c'est très sympa.

- Dis-moi... Freddie va bien en ce moment ?

Ah ! C'est là qu'on aborde ce qu'il y a de moins sympa : mon fils et l'école. Parce qu'avoir un père enseignant ne fait pas de lui un parfait élève, bon en classe, poli, respectueux et sage... loin de là ! Disons qu'il a dû tirer au sort pour choisir ses qualités d'élèves, et après être tombé sur « bon en classe », il a choisi de ne pas retenter le sort...

- Il me semble oui... Qu'est-ce qu'il a encore fait ?

Oui, j'ai l'habitude. Il bouge, il ne tient pas assis à sa place, il parle tout le temps, il commente tout, il fait des blagues... alors ce n'est pas la première fois qu'Harry me pose des questions, comme ses collègues de maternelle l'ont fait avant lui. Et je me souviens vaguement avoir entendu Harry s'énerver aujourd'hui, l'espace de quelques minutes...

- Non, il n'a rien fait, ne t'inquiète pas. Mais je l'ai entendu parler à Théo...

Ok. Rien d'alarmant en somme, une discussion entre gamin de moyenne section n'est pas vraiment le summum de la psychanalyse, mais je suis curieux de savoir ce qui a alerté mon collègue dans le discours de Freddie.

- Il disait qu'il était triste d'être tout seul avec toi... mais que depuis peu tu avais trouvé une chérie puisque tu le laissais de plus en plus souvent chez sa grand-mère la nuit...

Je ne sais pas ce qui m'embête le plus là-dedans. Que mon fils ait vu juste ou qu'il me case automatiquement avec une femme... En même temps, même avec la meilleure ouverture d'esprit au monde, c'est peut-être compliqué d'envisager son papa avec un autre homme quand ce n'est pas la norme qu'il voit chaque jour à la sortie de l'école.

- Grillé par mon fils de 5 ans... Ça craint pour mes capacités à dissimuler ma vie privée, non ?

Je tente un peu d'humour, parce que je n'ai pas forcément envie de me cacher, pas de lui en tout cas, après tout nous sommes collègues, et il ne se passera jamais rien entre nous, alors je n'ai rien à perdre à lui dire que je vois quelqu'un.

- Il a vu juste ?, me demande-t-il doucement, comme s'il savait très bien que cette conversation devait rester secrète. Nous n'oublions jamais qu'Aurélie peut débouler dans nos classes à tout moment...

- Ouais... je vois effectivement quelqu'un. Mais ça n'est pas voué à devenir officiel ou quoi... C'est juste... un plan cul, en fait.

- Tu devrais en parler à Freddie...

Mon incrédulité doit se voir sur mon visage parce qu'il se reprend aussitôt :

- Non, je veux dire, tu devrais lui expliquer que tu rencontres quelqu'un pour t'amuser, passer du temps avec cette personne, mais que ce ne sera jamais une « nouvelle maman » pour lui, si c'est bien le cas.

- C'est ce qu'il pense ?, demandé-je, atterré.

- J'ai bien peur que oui, Louis. Il n'attend que ça, parce que sa vraie maman « ne veut plus de lui », reprend-il avec douceur en mimant les guillemets avec les doigts.

Wow ! Si je m'attendais à ça ! Il va effectivement falloir que je parle à mon fils si ça tourne autant dans sa petite tête blonde...

- Ça fait 3 ans que j'en ai la garde exclusive...

- Louis, t'es pas obligé de m'en parler si tu veux pas...

- Si, tu comprendras sûrement mieux mon fils après ça...

Et moi, mais je me retiens de l'ajouter, et je poursuis tranquillement, cette histoire ne me met plus autant en colère que quelques années auparavant.

- C'était un accident... la conception de Freddie je veux dire. Une fille que j'avais rencontré en boîte lors d'une soirée étudiante. On est sorti ensemble quelques mois, ça devait pas durer on le savait tous les deux. Mais ça a merdé un moment donné et elle s'est retrouvé enceinte. Alors on a essayé, on s'est installé ensemble, on a fait des projets... Mais quand Freddie est né, elle n'a pas supporté de devoir décommander l'esthéticienne pour s'en occuper, de ne pouvoir assister aux soirées étudiantes de sa promo parce qu'elle était chargée de famille, ou de devoir acheter des couches au lieu d'aller au restaurant. Elle a quand même tenu deux ans, pendant lesquels elle a vraiment essayé, mais elle a fini par abandonner ses droits parentaux et elle est partie.

Le silence suit ma déclaration, mais je ne peux pas dire que je suis habitué à ce genre de réaction puisque je ne parle jamais de ça. Mes proches savent ce qui s'est passé, nous n'en parlons pas, et je ne m'épanche jamais sur ce côté-là de ma vie.

- Et tu n'as eu personne dans ta vie depuis ?

- Si bien sûr, mais personne que je n'ai présenté, quelques rencontres, et encore... avec un enfant en bas-âge c'est pas facile d'être disponible...

- Qu'est-ce qui a changé alors ? Pour que ton fils s'en soit rendu compte ?

Wow ! Par quoi commencer ? Je le laisse plus souvent à ma mère pour la nuit, je dors mieux, je passe plus de temps sur mon portable... et je souris plus aussi, dixit ma mère.

- Je crois que j'ai juste enfin accepté l'idée que père et homme célibataire n'étaient pas incompatibles...

Je reporte mon regard sur lui, après avoir consciencieusement évité ses yeux jusque-là, mais il est plus intrigué par ce que je lui dis que choqué ou compatissant, et ça fait du bien.

- Tu as rencontré quelqu'un ?

Sa question est innocente... parce que ça ne peut pas être le signe d'un quelconque intérêt, n'est-ce pas ? Autre que celui d'un collègue pour un autre collègue - ou d'un ami, au point où on en est. Alors parce que je sais que mes (maigres) espoirs sont illusoires, et parce que c'est facile de lui parler, je me confie, encore un peu.

- Je vois quelqu'un, oui.

Son regard s'assombrit quelque peu, et il détourne un instant les yeux, en expirant un peu bruyamment, me semble-t-il, alors je me sens le devoir de me justifier.

- Mais ça ne restera qu'une aventure. C'est pour ça que je n'en parle pas à Freddie. Ce... Cette personne qui occupe certaines de mes nuits... elle ne veut rien d'officiel non plus... et ça me convient... je veux dire, avec le boulot, les rumeurs, et mon fils, ça serait vraiment difficile à gérer...

Le silence s'installe un peu suite à ma déclaration, mais il ne me regarde toujours pas, semblant réfléchir en détaillant le mur qui nous fait face et tous les affichages que j'y ai accrochés.

- Freddie ne sera jamais une gène, tu sais. Il est adorable ton gamin, on ne peut que l'apprécier.

Sa remarque me fait sourire.

- Oh ! Ce n'est pas dans ce sens-là que je m'inquiète. Je veux juste éviter qu'il s'attache à quelqu'un et qu'il soit déçu si ma relation ne dure pas. Après, la personne qui voudrait construire quelque chose avec moi devra me prendre avec lui, c'est un package, tu vois, un genre de promo : 2 pour le prix d'1 !

Son rire me prend de court, mais il a l'avantage de détendre un peu l'atmosphère que mes confidences avaient rendu un peu lourde.

- C'que tu peux être con !, me balance-t-il en riant toujours, assorti d'un coup d'épaule.

- A ton service, réponds-je en mimant une révérence.

Et fort heureusement, la discussion repart sur un sujet plus léger, bien que beaucoup plus barbant : le remplissage des livrets scolaires.

_________

De @MEdAboutYou

A @TommoTheTease

Trop d'inscrits mercredi, le site n'a plus de salle de libre...


Merde ! Deux mois qu'on se voit, c'est la première fois que ça nous arrive. Ça tombait pourtant super bien pour moi : le lendemain je pars tôt en sortie de fin d'année avec mes élèves, donc ma mère garde Freddie pour la nuit, et l'emmène à l'école le lendemain, pas la peine d'inventer une excuse foireuse pour une fois. Et puis j'avais vraiment envie de le voir... enfin, de le « voir », je me comprends...

Je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur cette mauvaise nouvelle qu'un autre mail arrive.


De @MEdAboutYou

A @TommoTheTease

Jeudi ? Vendredi ? N'importe quel autre jour ?


Ok, je suis pas le seul à vouloir ce rendez-vous apparemment. Mais jeudi soir impossible, je rentre tard de la sortie, et je peux pas laisser Freddie deux soirs de suite. Ou plutôt, je ne veux pas. De plus, je refuse de demander dans la même semaine un deuxième service à ma mère, elle me presse déjà de questions, avec plus ou moins de délicatesse à chaque fois, je n'ai pas envie de finir par capituler et lui balancer que son fils chéri s'envoie en l'air avec un mec qu'il n'a jamais vu, et qu'il adore ça.


De @TommoTheTease

A @MedAboutYo

Je peux pas jeudi, ça c'est certain. Et je peux pas vraiment me libérer deux soirs dans la semaine, c'est compliqué...


Putain, j'avais vraiment envie de cette soirée !

- Louis ? Ça va ?

Aurélie me tire de la contemplation de mon portable, et je réalise que j'ai un peu laissé filtrer mon énervement.

- Ouais, rien de grave... réponds-je en passant une main lasse dans mes cheveux, que je porte un peu trop longs d'ailleurs. Mais j'ai déjà pas le temps de me libérer pour baiser, c'est pas pour aller chez le coiffeur !

- On dirait pas, reprend-elle en reposant sa tasse de café sur la table. C'est la seule à en boire après le repas, et Harry et moi sommes les seuls à nous attarder à ses côtés pour son petit rituel, chacun sur nos téléphones pendant qu'elle nous fait la conversation. Allez, tu sais bien que tu peux tout dire à tata Aurélie !

En suis-je vraiment réduit à quémander l'aide de mon amie pour assouvir mes pulsions ? Un coup d'oeil à mon portable, où me nargue le dernier mail « d'Eward » me renseigne immédiatement. Et pourquoi pas après tout ?

- Ok, j'ai besoin que tu me rendes un service, mais sans poser aucune question.

Mon air sérieux la dissuade de faire la moindre plaisanterie et les traits de son visage se tendent : elle doit s'attendre au pire, la pauvre.

- Dis-moi.

- J'ai besoin de quelqu'un pour garder Freddie une nuit la semaine prochaine.

Ses épaules se relâchent et elle souffle bruyamment en me mettant une claque sur l'arrière du crâne.

- Putain, t'es con ! J'ai cru qu'il y avait un mort au moins ! Ben y a pas de problème mon poulet, ça dépend juste du jour...

- Moi je peux aussi en début de semaine, au cas où...

Je remercie Harry du regard, mais justement, moi, c'est la fin de semaine que je veux.

- Ça serait pour vendredi soir.

Harry esquisse une grimace contrite comme pour s'excuser de ne pas être dispo et retourne au fil d'actualité du réseau social qu'il est en train de consulter, si j'en juge par ses mouvements répétitifs du pouce sur l'écran.

- Ouais, pas de problème pour vendredi soir. Tu m'aurais dit mercredi c'était mort, mais vendredi j'ai rien.

- Mercredi il est chez ma mère, vu qu'on part à l'aube le lendemain.

Un bruit sourd de ferraille nous fait tourner la tête en même temps vers Harry. Il nous fixe, l'air hébété, les deux pieds bien au sol, de même que les quatre pieds de la chaise sur laquelle il se balançait allègrement il y a moins d'une minute. C'est ça le fracas qu'on vient d'entendre apparemment.

- Désolé... j'ai... failli tomber...

Il a l'air plus sonné que désolé, et pourtant il a évité la chute. Faut croire qu'il a le coeur fragile le petit !

- Depuis le temps que je te dis de pas te balancer... réponds-je en grommelant un peu, tandis que je rédige un court message pour Ed.


De @TommoTheTease

A @MedAboutYo

Je suis dispo vendredi soir si ça te dit toujours.


Le message à peine envoyé, je me lève, soulagé et passe un bras autour du cou de la seconde femme de ma vie avant de lui plaquer un très gros baiser sur la joue, pour la remercier. Une sonnerie se fait entendre et machinalement nous jetons tous les deux un œil à nos portables, avant de comprendre que c'est une notification pour Harry.

Nous l'observons tous deux alors qu'il se mord férocement la lèvre en fixant son portable, une expression indéchiffrable sur le visage. Et Aurélie met des mots sur ce qui me traverse l'esprit à cet instant.

- Les affaires reprennent, on dirait...

_________

Il veut me voir.

Je me suis rendu compte que quelque chose clochait, je l'ai senti, exactement comme j'ai senti ses baisers qui se faisaient plus langoureux, ses mains qui se faisaient plus douces, ses bras qui se faisaient plus protecteurs... Quelque chose a changé, mais je ne sais pas pourquoi.

Nous étions tellement sur la même longueur d'onde lui et moi, la situation nous convenait tellement bien... A moins que je me sois bercé d'illusions dès le début et qu'elle n'ait convenu qu'à moi en fin de compte.

Je mentirais si je disais que je n'ai pas envie de le rencontrer, évidemment. Je l'ai tellement imaginé... je l'ai tellement idéalisé, que je ne sais même pas si je ne serai pas déçu de le voir après tout ce temps passé à le fantasmer.

Mais la question ne se pose pas : c'est hors de question. Pas alors que je risque autant. Et je ne sais pas comment refuser, alors ça fait trois jours qu'il attend un mail, qui ne vient toujours pas.

Et comme si, par un fait exprès, au moment où ça ne va pas trop côté vie privée, voilà que ça ne va pas au boulot non plus ! Bon, le manque de sommeil ne doit pas y être étranger non plus, mais j'ai l'impression que les gamins sont exécrables, et au niveau de l'équipe on est tous tellement crevés qu'on en devient désagréables... Surtout moi !

- Hey, ça va ?

Même lui marche sur des œufs avec moi... et pourtant, si j'ai bien envie de me jeter sur lui ce n'est pas pour le frapper !

- Ouais... juste fatigué, réponds-je dans un soupir, en reposant mon portable sur mon bureau après avoir passé cinq bonnes minutes à le fixer comme un désespéré.

Je relève la tête pour le voir slalomer entre les tables de mes élèves avant de s'asseoir sur l'une d'elle, la plus proche de mon bureau, et je ne peux m'empêcher de l'admirer. Même après avoir constaté ses qualités indéniables d'enseignant, je me dis qu'il a quand même raté une grande carrière dans le mannequinat. Ce type est magnifique.

- Je peux être franc ?, reprend-il, son regard pénétrant plongé dans le mien. Tu n'as pas vraiment l'air d'aller bien.

Et ça a le mérite de me faire rire.

- Ok, merci de me dire que j'ai une sale gueule, réponds-je en me laissant aller contre le dossier de ma chaise de bureau, le sourire aux lèvres devant celui qu'il arbore à son tour.

- Tu sais qu'il n'y a pas que « Tata Aurélie » à qui tu peux te confier, hein... Je peux aussi être « tonton Harry » si tu veux...

Je ne peux m'empêcher de pouffer à sa remarque et les mots sortent avant même que j'ai le temps d'y réfléchir.

- Et tu veux pas que je t'appelle « daddy » aussi non ?

Bon, à en juger par l'air espiègle qu'il arbore maintenant, on a les mêmes références...

- Si ça peut te faire plaisir...

Ok, temps mort ! Depuis quand il joue avec moi ? J'ai l'impression d'avoir loupé un épisode, là, à l'entente de cette voix chaude et du ton plein de sous-entendus qu'il a utilisés. Mais il doit se rendre compte de mon trouble parce qu'il reprend, d'une voix plus égale et sans sous-entendu douteux cette fois :

- Alors, qu'est-ce qui t'arrive ?

Je suis partagé. J'ai envie d'en parler, bien sûr, parce que ça fait presque 2 mois que ça dure et après avoir ressassé toute cette histoire dans ma propre tête pendant des heures, j'aurais bien besoin de m'en libérer un peu... voire d'avoir un avis extérieur... Mais le sien ! Lui raconter, à lui, que 1) je couche avec un mec, 2) que je n'ai jamais vu, 3) depuis presque 2 mois, 4) qu'il veut me rencontrer et 5) que je flippe complètement à cette idée... alors que parallèlement je craque pour lui, comme un putain d'ado !

Je sais pas ce que j'ai fait dans mes vies antérieures mais j'ai vraiment dû merder pour me retrouver dans ce pétrin !

- C'est ton plan cul ?

Le laisser trouver tout seul en jouant aux devinettes... tentant, mais pathétique !

- Ouais, si on veut... J'ai... Putain, c'est compliqué...

- Louis, j'ai 27 ans, je suis plus un gamin, j'ai des amis assez particuliers, et j'ai certainement déjà entendu pire que ce que tu t'apprêtes à me confier... de quoi as-tu peur ?

- Je sais pas, je souffle, me massant nerveusement la nuque en essayant d'éviter son regard vert perçant. C'est pas facile, bon sang... tu voudrais que je te parle d'un truc que j'ai moi-même du mal à comprendre alors que moi je connais rien de toi. Tu dis jamais rien, tu esquives les questions, tu bottes en touches à chaque fois qu'on essaye de percer ta carapace...

- Raison de plus pour me parler, je ne dirai jamais rien.

- C'est pas si facile...

- Je suis gay.

Si le ton était un peu monté malgré moi, mes propos s'apparentant plus à des reproches qu'autre chose, ses trois petits mots, à peine plus fort qu'un murmure, me clouent littéralement le bec.

- Ça te rassure assez, ça ? J'aime les hommes, je sors avec des hommes, je couche avec eux... Est-ce que ça change le regard que tu portes sur moi maintenant, de le savoir ?

Le silence s'éternise, pas que je réfléchisse vraiment à la question, parce que oui, bien sûr que ça change le regard que je porterai sur lui maintenant. Si avant je le regardais avec envie, tout en me convainquant que ça n'engageait à rien puisqu'il ne serait jamais intéressé, ça va être bien pire à partir d'aujourd'hui ! Et, bon sang, j'avais pas besoin qu'il vienne mettre plus le merdier à l'intérieur de ma tête !

Mais je ne peux décemment pas lui avouer ça. De deux maux, choisissons le moindre.

- Non. Tu es toujours Harry Styles, mon collègue et le maître de mon fils. Qui t'adore soit dit en passant.

Et je me retiens d'ajouter que son père est dans le même cas.

- Ok, répond-il en expirant bruyamment, comme s'il avait vraiment attendu ma réponse, et eu peur de l'entendre. Donc, maintenant que les choses sont un peu moins obscures pour toi, qu'est-ce qui te bouffe autant la vie ?

Je pourrais faire l'enfoiré et botter en touche à mon tour, ou lui balancer un pseudo-secret merdique sans rapport avec ce qui me préoccupe vraiment... Mais il a été trop honnête pour que je me le permette, il me fait suffisamment confiance pour me confier ce qui, si ça se savait en dehors de l'école, lui attirerait les foudres de pas mal de monde, à moi d'en être digne et de ne pas me défiler.

- Tu... te souviens de mon « plan cul » comme tu l'appelles ?

Un signe de tête me répond et je lui sais grès de ne pas m'interrompre, parce qu'il n'est pas dit que j'aurais le courage de reprendre le court de mon récit si c'était le cas.

- Il se trouve que ça marche plutôt bien.. depuis plusieurs semaines maintenant... mais je ne l'ai jamais vu.

Je marque une pause et l'observe attentivement comme il assimile mes dernières paroles. Il fronce un peu les sourcils, intrigué, mais me mime une fermeture éclair devant sa bouche avant de me faire signe de continuer. Message reçu, je continue.

- On s'est rencontré sur un site internet, qui propose des rencontres dans le noir complet... On a chacun accroché sur le profil de l'autre, on s'est « rencontré » sans se voir, et on a couché ensemble. Parce qu'on était là pour ça à la base.

Toujours aucun mot de mon interlocuteur, qui me regarde tranquillement, comme si je lui racontais un des contes pour enfants qu'il aime faire découvrir à ses élèves chaque mois. Il s'est même mis à l'aise sur la table, assis en tailleur, les coudes sur les genoux, le menton dans les mains, et les yeux braqués sur moi. Mais malgré la pression, je dois continuer, ça n'aurait pas de sens d'arrêter mon récit maintenant, surtout si je veux de l'aide.

- Mais ça ne s'est pas arrêté à cette première nuit. On a commencé à s'écrire régulièrement, à discuter de tout, de rien... mais jamais de ce qui était important : je ne connais pas son nom, sa profession, son âge, son adresse... et lui non plus.

Et j'ai beau avoir l'impression d'avoir fait l'annonce du siècle, je ne vois qu'un petit sourire en coin prendre place sur ses lèvres, sans qu'aucun mot ne les ait encore franchies...

- C'est un homme, Harry, précisé-je, histoire d'être sûr qu'il n'a pas loupé l'info que je viens de laisser fuiter.

Il pouffe enfin, et sa réaction, bien qu'elle me rassure un peu, n'est pas vraiment celle que j'attendais. Il arbore un petit sourire énigmatique et ses yeux brillent d'amusement. Mais à quoi m'attendais-je vraiment ?

- J'avais compris, Louis.

Et je comprends implicitement ce qu'il ne dira pas : ça ne change rien. Parce que ça ne le choque pas, évidemment que non. Alors je reprends, une énième fois, le coeur un peu plus léger, les épaules un peu moins courbées.

- On se voit régulièrement, toujours par l'intermédiaire du site, et c'est toujours génial, vraiment, avoue-je en rougissant quelque peu. Mais quelque chose a changé récemment... Il veut qu'on se rencontre...

- Et ça t'effraie ?

J'arrête d'essayer d'éviter ses yeux pour lui répondre, après avoir expiré un bon coup : on minimise toujours trop l'effet du stress sur le corps humain, mais j'ai vraiment l'impression d'avoir mené un combat digne de Mike Tyson.

- Bien sûr que ça m'effraie ! On en sait rien l'un sur l'autre. J'ai un fils, pour qui c'est déjà assez difficile sans rajouter un hypothétique beau-père dans l'équation. Sans parler des parents, des collègues. De ma mère.

- Elle ne sait pas que tu fréquentes des hommes ?

- Si, elle a toujours su. La première d'ailleurs. Mais c'est plus compliqué, depuis la mère de Freddie, elle me protège un peu trop, tu vois. Je ne lui ai jamais présenté qu'une seule personne, et c'est elle qui a dû recoller les morceaux de moi qu'une autre avait cassés. C'était déjà une mère possessive avant... C'est bien pire depuis Briana.

- Tu m'étonnes, avec un prénom comme ça !

Oh, le con ! Je lui signifie mon indignation en lui envoyant un coup de poing dans l'épaule alors qu'il se marre, et ça a le mérite de me faire rire à mon tour, dissipant enfin la tension que j'avais involontairement fait naître dans la pièce avec mes peurs de me confier à lui, visiblement irrationnelles.

- Bon, et toi, qu'est ce que tu veux dans tout ça ? Toi, Louis. Pas ta mère, pas Freddie, pas les gens autour. Toi.

La question me coupe le souffle un instant. Oui, qu'est-ce que je veux, vraiment ?

Ça fait plusieurs jours que je me refuse à répondre à cette question. Parce que la réponse est évidente pour moi...

Je veux tout.

Je veux garder ma situation, mes amis, ma famille, mon rôle de papa-poule, le respect des parents de mes élèves, leur confiance aussi... Mais je veux aussi voir où tout ça peut nous mener. Parce que, malgré tous mes beaux discours, je me suis déjà attaché à cet homme.

Harry me sort de mes réflexions en se levant doucement, détendant ses grandes jambes qui doivent le faire souffrir d'être resté dans cette position qui n'a rien de confortable, lissant les plis de son jean alors qu'il se remet debout pour enfin relever la tête et me regarder, un sourire énigmatique au bord des lèvres comme il s'approche un peu plus de moi, avant de souffler doucement :

- La réponse à cette question t'indiquera quoi faire...

Puis il se détourne, me laissant gamberger, toujours incapable d'émettre un son pendant qu'il traverse ma classe en sens inverse, avant de s'arrêter sur le seuil de la porte.

- Mais si j'étais toi... je lui laisserai une chance. Tu pourrais être surpris...

C'était quoi ça ? Avant que je ne me remette de ses mots qui s'impriment tout juste en moi, il a déjà quitté ma classe, et je suis seul, perdu dans un embrouillamini d'interrogations, et pas un début de réponse censée à l'horizon. 

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