Cas n°2 : Sékou

"Je mordille mon stylo. Réfléchir, il faut réfléchir. Il faut que je trouve des idées pour ma rédaction en français. Je regarde désespérément ma feuille où est écrit la consigne :

Décrire un souvenir heureux que vous avez vécu. Utiliser au moins trois adjectifs épithète et quatre adjectifs attribut. 

Si seulement j'avais de beaux souvenirs..Les seuls souvenirs que je garde, ce sont les regards de jugement des enfants à l'école primaire. Et dire que je me plaignais quand je voyais les autres bambins me dévisager comme si j'étais une bête de foire ! Aujourd'hui, c'est bien pire..Je sais ce que je vis : du harcèlement. Evidemment, j'en ai parlé. Evidemment, je me suis plains. Ils ont simplement réprimandé les harceleurs et les ont prié de ne pas recommencer. Evidemment que ça continue. A quoi ça sert de dénoncer si personne ne fait rien ?! Ils nous implorent d'en parler mais quand on le fait, ils ferment les yeux ! J'esquisse un sourire. J'ai trouvé un souvenir plus ou moins joyeux : la fois où je suis allé la première fois dans un fast food ! C'était super bon et les gens s'en fichaient de ma couleur de peau ! Ma maman m'a toujours dit que les autres se moquaient de moi parce qu'ils étaient jaloux. Jaloux de ma peau chocolat ? Mais franchement ?! Je ne comprends pas leurs motivations..Je suis bon élève, je suis gentil, j'aide les autres. Alors pourquoi c'est moi, la cible ? Leur cible favorite..J'ai entendu parlé d'une certaine Mathilde en 4e, qui se faisait harcelée parce qu'elle aime les filles. Apparement, elle sort avec une certaine Laurianne maintenant. Même si je suis content pour elle, j'aimerais aussi que ça s'arrête. J'aimerais que tout s'arrête. J'aimerais mourir. Mais j'ai trop peur de sauter du bâtiment de mon immeuble. Il faudrait que je meure dans mon sommeil. J'ai toujours détesté le sang, je ne me mutile donc pas. Je suis un gentil garçon, je cause de problèmes à personne. La prof nous annonce qu'il nous reste que 15 minutes pour finaliser. Elle nous conseille de perfectionner notre brouillon puis de tout recopier. Ouais, ils nous conseillent. Mais ils s'en fichent si on le fait. Ou alors, ils sont mécontents quand on le fait. Ca dépend. J'écris rapidement mon entrée dans le fast food, je décris les bonnes odeurs qui ont envahi mes narines. Je m'applique vraiment. Je me concentre : si je veux être bon élève, il faut que je me concentre. Je sens une règle me taper dans le dos. Je l'ignore. A quoi bon ? Il faut que je termine cette fichue rédaction ! Je sens quelque chose de pointu s'enfoncer dans mon dos. Je me retourne, un peu perplexe. Je vais simplement leur dire d'arrêter et je continuerai ma rédaction. Il ne faut pas que la prof me voit !"

C'est eux. Ce sont ceux qui me harcèlent. Ce sont eux qui me frappent, qui m'insultent, qui me mencacent, qui m'incitent à mourir. J'ai envie de me retourner et les ignorer. Malheureusement, c'est impossible. La fille derrière moi me sourit d'un air narquois et elle chuchote d'une voix moqueuse et cruelle :

- Salut le singe, t'en as pas marre d'être aussi foncé ? 

- Tais toi, Sophie, j'ai envie de travailler, répliquai-je en me retournant.

Ce qui est évidemment vrai.

- Nop, j'en ai pas fini avec toi, le chocolat noir de merde.

- Pourquoi tu fais ça ? lui demandai-je, impatient de savoir la réponse.

Elle hausse les épaules et mâche son chewing gum.

- Parce que t'es renoi. Et les renois, c'est nul. T'as jamais pensé à faire du white washing ? Genre, comme Mickael Jackson. Tu serais mieux en blanc, sérieux.

- Non, j'aime bien ma couleur de peau, chuchotai-je, peu sûr de moi.

Oui, j'aime ma couleur de peau, mais le autres non.

- Et puis, c'est quoi ton prénom de merde : Sékou ? Pourquoi pas Kirikou tant qu'on y est !

- J'aime bien mon prénom : il signifie grand guerrier, soufflai-je, un peu inquiet. 

Ca se passe un peu mieux que d'habitude. Ca veut dire qu'à la récré, ça va barder..

- Mais frère, ton prénom, il est éclatax. T'aurais pas pu t'appeler genre Théo ? Chais pas, ton prénom, c'est d'la merde. 

- Je m'en fiche de ton avis, Sophie.

Je me retourne. Elle me fout un coup de pied dans le mollet. Je pivote et la regarde d'un air exaspéré. Elle a croisé les bras et me dévisage, comme les enfants à l'école primaire.

- Frère, à la récré, t'es mort. J'té préviens, tu vas crever. Toi et ta famille de merde, restez en Afrique, on a pas besoin de vous. Vous êtes plus noirs que le chocolat Milka, sérieux !

- Tu es énervante, tu sais ?

- Et toi, t'as une grosse teub.

- Pardon ? m'exclamai-je un peu trop fprt.

- Sékou ? Un problème ? me lance la prof, un peu perplexe.

- Euh, non, aucun, navré..m'excusai-je, mort de honte. 

Je peux le dire : je suis mort. Je vais crever à la récré.

La sonnerie retentit. Les autres élèves poussent des soupirs de soulagement. Mais pas moi. Parce que je vais en récré. Et je vais mourir."

" Je range mon cahier dans mon sac et ferme ma trousse. Je m'apprête à la ranger dans mon sac à dos mais je vois qu'elle a disparu. Sophie l'a prise et s'amuse à faire des passes avec un garçon que je ne connnais pas. Puis elle l'a fout par terre et saute dessus. Je la regarde faire, impassible. Maman va me tuer. Elle va me redire cette même phrase : Sékou, tu es en 3e ! Arrête de casser tes affaires! Je sais qu'elle va dire ça. Je ramasse ma trousse en vitesse pendant que Sophie échange des mots avec le garçon. Je la jette dans mon cartable et le boucle. Je vois que Sophie m'observe et elle m'ordonne de la suivre. Je n'ai pas la choix. Je sais que c'est potentiellement la dernière fois que je vois ma prof. Ca m'attriste un peu. Je lâche un au revoir faible et je sors de la classe. Sophie m'envoie son poing dans ma nuque. Je m'effondre au sol. Son coup était d'une violence..Je sens le vomi me parcourir l'oessophage et je me prépare à dégueuler. Sophie éclate de rire. Son rire est sadique mais joyeux. Elle aime me faire du mal. Elle adore me voir comme ça. J'entends des gens arriver en courant vers nous. Peut être vont-ils arrêter Sophie ! Non..ils se mettent à rire et un m'imite. Sophie appuie son pied sur mon crâne. Je me sens mal.

- Alors, on fait moins le malin, sale nègre !

Un garçon m'envoie son pied dans le nez et je sens le sang me brûler les narines. Je ne veux pas mourir..Une fille éclate de rire et crache au sur mon pull. 

- Vas-y, Sophie, t'as pas dit qu'il a une grosse teub ? lance un gars du groupe.

- Bah j'crois, ils en ont tous une grosse, les renoi ! confirme Sophie en se jetant à son cou.

Ils s'embrassent langoureusement. Dégeu..Le mec passe sa main sous le t shirt de Sophie qui sourit et enroule sa jambe autour de sa taille. Je vais dégueuler. Je crache. Des tâches roûgeatres sortent de ma bouche et une fille sursaute, dégoûtée.

- Dégeuu ! Regarde! Le singe a craché du sang ! se moque le mec qui embrassait Sophie tout à l'heure. 

- Baah, c'est dégeulasse !! s'écrie une autre fille en sautillant dur place.

- Ouais, c'est dégeu ! finit par confirmer Sophie, les mecs, faut qu'on s'tire, les pions vont débarquer ! 

- Attends, je fais un dernier truc ! pouffe méchamment un mec en s'approchant de moi."

"Il se déchaîne : son poing part dans mon visage, puis dans mon ventre. Il me fout deux coups de pieds dans les jambes et envoie valser sa jambe dans ma partie intime. Je ressens une douleur horrible et je ferme les yeux. Attendre. Je vais attendre qu'on me retrouve. Je me plie en deux. Ils s'enfuient et me laisse seul, dans le couloir. Je sais que personne ne va me trouver avant la fin de la récré. Et je n'en pas peu content. J'en suis ravi. Ils sont sûrement culpabiliser. J'entends des gens arriver vers moi et une douleur envahit mon ventre : on m'a foutu un coup de pied. Je sens quelqu'un s'asseoir sur mon torse et la personne m'étouffe. Elle approche sa main de mon cou et m'étrangle. Sa poigne est ferme, et je n'arrive plus à respirer. A l'aide..Je sens les larmes monter : je vais pleurer ! Je ne veux pas laisser paraître mes émotions..Je lève les yeux vers mon agresseur et je remarque immédiatement ses cheveux blonds : c'est Sophie. Elle éclate de rire et me crache sur le nez. La bave coule jusqu'à mes lèvres. Dégeu..Elle se penche et m'embrasse. QUOI ? Mais elle est folle ! Je l'aime pas ! Je la repousse, à l'aide des dernières forces qu'il me reste. Elle est vraiment tarée..Me harceler comme ça puis m'embrasser alors qu'elle a déjà un copain ? Quelle timbrée..Elle se redresse et m'envoie son poing dans la gueule. 

- Sale renoi de merde. Va dans le zoo, chez les singes de ton genre. Personne ne t'aime, t'es con, moche, même si ta teub semble énorme, t'es vraiment qu'un sale négro.

Elle finit par m'écraser la tête de ses bottines et me donne un dernier coup de pied puis détale. Elle a peur. Peur qu'on la découvre. J'esquisse un petit sourire. Je tousse et crache du sang. Je crois qu'il est trop tard pour aller à l'hôpital. Je ne vais pas mourir, si ? Je tente de me relever et je m'effondre. Je me tiens le ventre, la respiration saccadée. C'est bizarre, j'ai l'impression que je vais mourir. Je porte ma main à mon visage et essuie le sang qui me coule du nez. Ca me fait penser à ma série préférée : Stranger Things. On dirait Eleven. Cette pensée me fait sourire. Je n'aurais jamais l'occasion de voir la saison 5, et ça me désole. J'entends quelqu'un sursauter et arriver vers moi. Cette fois, c'est ma professeur de musique. Elle se penche sur moi et elle équarquille les yeux. Je la regarde avec un air désolé. Elle me prend sous l'aisselle et m'aide à marcher. Je laisse traîner mes pieds au sol, impuissant. Elle m'emmène dans l'ascenseur qui descend à l'étage de l'infirmerie. Elle me pose doucement au sol et court voir l'infirmière qui sort quelques secondes plus tard. Elle s'agenouille devant moi et me demande doucement qui m'a fait ça. Je lui murmure doucement la vérité :

- Mes harceleurs. Ce sont les mêmes. Sophie..

- On va les menacer ! me promet l'infirmière en m'emmenant rapidement dans l'infirmerie."

"Je souris. Parce que c'est faux. Je sais que je vais m'en sortir avec de grosses blessures. La vie scolaire va se sentir coupable. Il vont convoquer mes harceleurs. Qui s'excuseront, comme d'habitude. Puis ils vont recommencer. Tout va recommencer." 

"Et cette fois, je ne vais pas m'en sortir."


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