Chapitre XVI

Clara s'arrêta brusquement au milieu du couloir, se demandant si elle avait vraiment bien vu ce qu'elle pensait. Elle cligna des yeux un instant et retourna sur ses pas, son regard tourné à sa gauche. La porte de la salle de monsieur Hantz était ouverte et il se trouvait assis sur sa chaise, une bouteille d'alcool en main, posé sur le bureau. Elle ne comprenait pas. Remarquant le passage des lycéens devant sa porte, elle prit peur pour lui et sans réfléchir elle se retrouva dans la salle, la porte fermée derrière elle. Il ne fallait qu'aucun lycéen ne le voit, il pourrait perdre sa place, et elle savait elle même à quel point c'était un admirable professeur. Il donnait l'envie d'écouter les cours, il donnait l'envie de travailler, on voyait peu de professeurs comme celui-ci de nos jours, elle s'en rendait bien compte. Après un instant de silence, il tourna son visage vers Clara mais resta silencieux. Il n'avait pas la même expression faciale qu'auparavant. Il y a quelques jours de cela, il semblait heureux, il expliquait toujours son cours avec le sourire, faisant de grands gestes avec ses bras pour captiver l'attention des élèves, mais là, les traits de son visage étaient plus présents que d'habitude. Il semblait fatigué. Ses cheveux étaient de même coiffés en bataille, il n'avait surement pas pris le temps de se les coiffer avant d'arriver au lycée. Le week-end de Clara s'était bien passé, il fallait maintenant que le début de sa semaine commence ainsi. Celui qui l'avait aidé avait maintenant besoin d'aide. De son aide.

-Vous devriez poser sa monsieur.

Il fixa sa bouteille un instant, souffla, et approchait la bouteille de ses lèvres, mais Clara ne pouvait pas le laisser faire, alors elle se précipita sur lui et attrapa de même la bouteille dans ses mains. Il resta immobile, sans même la repousser. Il semblait n'avoir aucune réaction. Son regard restait fixé sur la bouteille.

-Lâche ça s'il te plaît Clara.

-Non, je ne la lâcherais pas.

Il souffla de nouveau et lâcha prise. Il laissa tomber sa tête sur le bureau, son front collé contre le rebord. Elle posa la bouteille sur la table de derrière et prit place sur la table, près de la bouteille. Elle l'observait. Il semblait si différent.

-Qu'est-ce qu'il se passe monsieur ?

Il resta son front collé contre le rebord du bureau, immobile. Il n'allait pas répondre, c'était évident. Comment Clara pouvait-elle croire que le professeur allait lui raconter sa vie, allait lui raconter ses problèmes ? Elle savait que c'était peu probable, mais elle voulait l'aider, l'aider comme lui l'avait fait.

-Monsieur, reprit-elle. Monsieur c'est une mauvaise idée de boire pendant que vous êtes dans l'enceinte de ce lycée. Certains lycéens pourraient se faire le plaisir de signaler ce que vous faites et vous pourriez être renvoyé.

-Qu'ils le fassent ! Répliqua t-il en se redressant et levant les bras au ciel. Je n'en ai plus rien à faire.

Elle ne savait comment réellement l'aider, ni quoi lui dire pour lui donner conscience de ses actes, il n'était pas lui même à ce moment présent, le professeur vigilant et attentif devait refaire surface, seul lui pouvait le faire reprendre le droit chemin.

-Je n'ai jamais été quelqu'un qui donnait de bons conseils. Je veux dire, personne ne les écoutait, alors je suppose qu'ils n'ont jamais été très intéressants. Mais là, maintenant, ce que je sais c'est que cet acte pourrait vous couter votre carrière.

Il regardait la bouteille placée près de la jeune fille.

-Je ne sais pas pour quelle raison vous avez décidé de vous bourrer la figure dans l'enceinte du lycée, mais vous devriez abandonner l'idée de recommencer.

Il ferma les yeux et inspira lentement avant de placer son visage entre ses deux mains, les coudes posés sur le bureau. Il se frotta les yeux et resta silencieux. Elle avait raison, mais il supposait que sa raison était assez justifiée pour pouvoir boire entre les cours quelques gorgées dans sa bouteille qu'il avait acheté le matin même et qui était déjà vidée de la moitié.

-J'ai une bonne raison Clara, finit-il par dire en s'ébouriffant les cheveux nerveusement. J'ai une bonne raison, peu importe ce que pourront dire les autres professeurs. J'en ai rien à faire. J'ai une bonne raison, répéta t-il.

Elle resta immobile face à lui, ne le lâchant pas des yeux et observait chacun de ses moindres gestes.

-Vous m'avez toujours aidé, vous m'avez conseillé de ne pas baisser les bras. Alors maintenant c'est à vous d'écouter vos propres conseils.

-Clara... expira t-il. Parfois la vie nous montre que nous avions tord.

-Comment ça ? Vous insinuez que vos conseils ne vous sont pas applicables ?

Il se leva lentement de sa chaise, la contourna et se dirigea vers Clara, la bouteille en ligne de mire. Il se tenait à son bureau pour ne pas s'écrouler sur le sol, il lui semblait que si le bureau disparaissait d'un instant à l'autre il se serait écroulé sur le sol. Il devenait ivre. Elle sauta de la table et prit la bouteille dans sa main.

-Vous devriez vous asseoir monsieur, vous n'allez pas tenir debout longtemps.

Plus elle reculait de quelques pas et plus il avançait vers elle, se tenant fermement aux tables qu'il passait.

-Vous avez perdu quelqu'un ?

Il s'arrêta brusquement, ses mains posés sur le rebord de la table à sa gauche. Il resta immobile. Sa respiration était coupée depuis cinq bonnes secondes maintenant. Le temps semblait si long. Mais il se laissa soudainement tomber sur les fesses. Il enfouit son visage entre ses mains et resta silencieux. Elle avait sans doute touché dans le mille. Elle ferma soigneusement le bouchon de la bouteille et la plaça au fond de son sac qu'elle posa sur une table avant de prendre place en tailleur, en face de son professeur de littérature. Sa respiration parvenait jusqu'à ses oreilles, il semblait avoir du mal à respirer convenablement.

-Qui avez-vous perdu ?

Il gigota sa tête de gauche à droite, il avait tant de mal à se confier, alors qu'il demandait sans cesse à ses élèves de se confier si ils en ressentaient le besoin.

-Un de vos parents ?

Il hocha la tête que non avant de replacer son visage entre ses mains. Il bredouilla quelque chose, mais le son était imperceptible, elle ne comprenait pas, elle lui demanda alors de répéter.

-Ma fiancée, finit-il par répéter.

Il la regarda enfin dans les yeux. Ses yeux marrons clairs semblaient plus clairs que d'habitude, ils brillaient. Il était sur le point de pleurer, de relâcher toute la pression, mais il se contenait, il ne voulait pas être dans un tel état devant l'une de ses élèves.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Un rire nerveux sortit du plus profond de son ventre.

-Elle s'en est allée avec un autre.

Clara le fixa, les yeux grands écarquillés.

-Oui, tu peux me regarder comme ça, reprit-il en observant Clara. Elle est partie avec le voisin. Qu'est-ce que j'aurais pu y faire moi ? Haussa t-il la voix soudainement en faisant de grands gestes avec ses bras. Il était plus beau, plus riche, et plus présent surtout ! A quoi bon vivre quand l'être que l'on aime s'en va durant la nuit ? Hein Clara, a quoi bon vivre ? Il fit de nouveau tomber son visage entre ses mains tout en tremblant. Ma vie est foutue.

Clara haussa la tête en entendant la sonnerie retentir. Les élèves allaient débarqués d'une minute à l'autre, en aucun cas ils devaient voir monsieur Hantz ainsi. Elle se releva alors rapidement, plaça son sac sur son dos et tendit sa main vers son professeur.

-Monsieur, rentrez chez vous.

-Quoi ? Répondit-il en levant son regard vers elle. Non, j'ai un cours à faire et...

-Monsieur vous devez rentrer pour vous reposer, le coupa t-elle d'un ton gentil.

Il la regarda un instant puis attrapa sa main, manqua de s'écrouler de nouveau sur le sol, mais prit appui sur une table pour enfin se retrouver debout. Il avait du mal à tenir debout, elle l'aida alors à s'asseoir sur sa chaise.

-Je dois aller en cours. Mais promettez moi que vous allez ranger vos affaires et que vous allez rentrer chez vous, s'il vous plaît.

Il laissa tomber son visage sur son bureau brusquement.

-Monsieur. Elle répéta. Monsieur je vous en prie, faites-le.

Il se redressa sur sa chaise, sa tête lui tournait, et un mal de tête lui pressait le crâne. Il acquiesça de la tête en attrapant l'un de ses cahiers qui tomba sur le sol par mégarde. Il se pencha lentement en se maintenant contre son bureau et l'attrapa pour le placer au fond de son sac. Un rire nerveux se fit entendre. Ses nerfs lâchaient, il devait rentrer.

-Va en cours Clara, dit-il en riant nerveusement. Le destin veut que les rôles soient échangés. Aujourd'hui tu m'aides, et demain je t'aiderais. Les rôles tournent. Va en cours, ne t'en fait pas pour moi, ria t-il de nouveau, je vais rentrer, finit-il par dire en posant sa tête sur le bureau, je vais rentrer.

Elle le regarda un instant, le cœur serré. Elle ne voulait pas le laisser, là, maintenant, mais si elle arrivait de nouveau en retard en cours elle allait être collée, et pas seulement une heure, le proviseur l'avait même menacé d'exclusion. Elle ouvrit une fenêtre pour faire évacuer l'odeur de l'alcool, lui accorda un dernier regard avant de passer la porte et de sprinter jusqu'à sa salle.

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