Chapitre XLIII - Partie 2

Jordi restait silencieux. Son fond d'écran de téléphone avait toujours été le même depuis qu'il avait pris la jeune fille en photo. Dès la première fois il était tombé amoureux d'elle. Il l'avait vu si différente des autres, il savait qu'aucune fille n'arriverait à sa cheville, c'était évident. Malgré l'amour qu'il lui portait, il devait dorénavant continuer de vivre sans elle, pourtant il ne pouvait l'envisager... Monsieur Hantz descendit lentement les marches de l'estrade maintenu par la sous-directrice du lycée qui avait très bien compris que si elle ne l'aidait pas il s'écroulerait.

Tout était si clair dans sa tête, le jeune homme revivait chaque moment encore et encore. Il s'en voulait tellement. En la voyant glisser et chuter, il s'était précipité sur la rambarde et avait sauté à son tour dans l'eau. La chute fut terrible, il s'était enfoncé à plusieurs mètres de profondeur et était immédiatement remonté à la surface. Mais voilà, ça n'était pas le cas de sa petite-amie. Il avait replongé dans l'eau, inspecté les fonds, elle avait été introuvable. Il avait crié son prénom en pleure, il avait nagé, plongé encore et encore, mais il l'avait perdu. Il se remettait dorénavant en cause. Et si il avait sauté avant ? Et si il l'avait directement poursuivit lorsqu'elle avait quitté le lycée ? Et si ce stupide pari n'avait existé ? Il ne voyait plus pourquoi il devait se battre à présent. Sa vie était brisée, sa vie sans Clara allait être si fade, si amère, si...normale.

Le directeur se trouvait sur l'estrade à son tour. Jordi ne fit attention au premier abord à son discours, plongé dans ses pensées. Le directeur se disait ensuite amèrement triste. Un remord le rongeait depuis qu'il avait appris ce qu'il s'était passé. A mainte reprise il avait entendu des rumeurs sur le fait que l'une des élèves du lycée se faisait harceler, à mainte reprise il aurait pu intervenir, mais il n'avait rien fait. Il avait accusé Clara d'avoir cassé une fenêtre au lycée alors que Jordi était venu pour assurer que c'était Anthony et non elle. La punition avait été relevée, mais il ne s'était excusé par fierté, il n'avait même pas puni Anthony. Comme tous, cet homme avait été spectateur. Il avait laissé Clara s'enfoncer au fil des jours sans éprouver la moindre peine, le moindre gène, remord. Sa femme le disait changé depuis quelques jours, et c'était vrai. Il n'osait plus se regarder dans le miroir. Il se dégouttait. Plus jeune, il s'était promis de faire la loi, d'aider les élèves en difficulté, mais en vieillissant, il avait laisser tomber l'idée, il l'avait même oublié, il n'avait plus le temps pour ça. Seul son salaire le faisait se lever chaque matin. En réalité il ne se reconnaissait plus maintenant. Après son discours, il prit place près d'une dame de l'intendance qui n'avait aucune idée de qui pouvait bien être Clara.

Jordi passa un vif coup d'œil dans la totalité de la salle. Elle était bondée. Pourquoi étaient-ils tous là ? Pourquoi n'avaient-ils pas tous été là lorsqu'elle se sentait mal ? Pourquoi réagissaient-ils trop tard ? Lorsque Jordi reporta son attention sur l'estrade, il vit un homme en treillis militaire placé devant le micro, au centre de la scène. Le dos droit, le képi dans l'une de ses mains, les cheveux coupés au millimètre près, il observait chacun des regards portés sur lui. Tous semblaient attristés, mais aucun n'éprouvait de grands remords, il le ressentait. Tous se demandaient qui il pouvait bien être. Il se racla alors la gorge. Il n'avait jamais réussi à exprimer ses sentiments. La guerre lui avait appris à refouler ses sentiments, ses peurs comme ses faiblesses. Mais aujourd'hui, il devait s'exprimer, dire quelque chose en l'honneur de Clara.

-Eh bien, commença t-il d'une voix grave et dure. J'aurais aimé venir dans cette ville pour revoir ma fille que je n'avais vu depuis sept ans au lieu de... Il posa son regard sur monsieur Hantz assit au premier rang, un mouchoir en boule dans sa main. Au lieu de venir pour son décès. Je n'ai aucune envie de peser mes mots aujourd'hui devant vous. Il porta son regard sur l'ensemble de la salle. Je vous considère comme tous coupables. Vous n'avez pas pesé vos mots en harcelant ma fille. Aucun de vous ne l'a aidé. Vous êtes des morveux, des abrutis. Vous vous croyez tout permis sous prétexte que vous êtes plus beaux, plus riches, car vous avez le dernier iPhone, le dernier appareil photo. Mais sachez que cela ne vous représente en rien. Ce sont des biens matériels, rien de cela ne jouera en faveur pour votre avenir. Vous mettez des photos sur les réseaux sociaux, vous voulez montrer ce que vous faites, ce que vous venez d'acheter, vous voulez montrer intentionnellement que votre vie est meilleure que celles des autres.

Il s'approcha du micro.

-Pourquoi ne postez-vous pas de photos lorsque vous faites les courses, lorsque vous êtes en repas de famille ou encore lorsque vous vous ennuyez, allongé sur votre lit ? Tout simplement parce que cette vie, vous l'avez tous. Vous voulez juste montrer aux autres une vie qui n'est pas la votre. C'est en observant votre génération que je suis fier et honoré de ne pas être comme vous. Je ne suis pas devant un écran, je ne suis pas en train de me prendre en photo à chaque moment de la journée, non, je sers ma patrie, je me bats pour ma patrie. Il arrêta enfin son regard sur celui de Jordi sans pour autant savoir qu'il avait été le petit-ami de sa fille. Vous les jeunes, vous n'avez pas servi la patrie. Vous avez enfoncé Clara, vous l'avez détruite, et aujourd'hui, elle n'est plus là.

L'homme posa son regard sur un jeune homme châtain de quatorze ans qui se trouvait être en larmes.

-Vous n'avez pas seulement brisé une vie, reprit-il. Vous en avez détruit d'autres. Vous avez détruit la mienne, mais vous avez aussi détruit celle de... Il se racla la gorge nerveusement. Celle de son frère.

Jordi écarquilla les yeux, Monsieur Hantz resta la respiration coupée. Il avait du se tromper. Tous deux étaient sûrs que Clara était fille unique.

-Vous vivez dans une génération virtuelle, vous ne vous aidez plus, vous ne vous regardez plus et vous ne vous aimez plus. Vous vous jugez sans cesse sans même vous connaître. Votre seul but est d'être meilleur que l'autre. C'est tellement pathétique.

Il se racla de nouveau la gorge.

-Je finirais par remercier le peu de personnes qui ont essayer d'aider Clara si il y en a. J'ai une grande et profonde estime pour vous.

Et sans même saluer la salle, il se dirigea vers les escaliers, les descendit rapidement pour rejoindre son fils en pleure qui ne comprenait pas comment sa sœur qu'il n'avait jamais vu avait pu être autant détestée durant ces dernières années.



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