Chapitre XLIII - Partie 1

Monsieur Hantz monta les marches de l'estrade et se dirigea lentement, tête baissée, vers le micro qui l'attendait en plein milieu de la scène. Placé devant le micro, il leva lentement la tête pour observer la salle remplie de monde. Certains visages lui était familier, certains étaient ses élèves, d'autres non. Jamais il n'avait eu une aussi imposante boule au bas du ventre. Des frissons lui parcouraient le corps, il cherchait désespérément dans la salle le visage de son ancienne élève pour lui prouver que tout cela n'avait réellement eu lieu, que tout cela n'était qu'un cauchemar qui allait rapidement prendre fin. Mais il ne le vit pas. Seul restait le portrait de Clara qui avait été placé sur un grand chevalet à droite du micro. Elle souriait. Jamais il n'avait pu avoir la chance de la voir sourire ainsi, jamais il n'avait pu la faire sourire comme cela. Son visage illuminé remontait quelque peu le morale de monsieur Hantz, mais cette photo le dégouttait de même. En réalité cela faisait bien des mois, bien des années qu'elle n'arrivait plus à sourire, à être heureuse. Il cru soudainement devenir fou. Il entendait son timbre de voix. Cette fine voix. Cette fine voix qu'il entendait peu auparavant, mais qui résonnait désormais dans son esprit. Inconsciemment il avait tout mémorisé d'elle. Son visage, sa voix, la tristesse qui était tant représentée au fond de ses yeux lorsque l'on prenait le temps de l'observer.

Il sentit petit à petit son corps trembler. Il ne voulait pas s'anéantir devant une aussi grande foule. Ça n'était pas que c'était la honte, au diable la honte ! Il savait juste que Clara n'aurait souhaité le voir ainsi, elle aurait souhaité le voir fort durant cette épreuve, il devait l'honorer, le faire pour elle. Monsieur Hantz passa rapidement sa main sur sa joue droite pour effacer la toute première larme de la journée qui venait de couler le long de sa barbe de quelques jours. Il s'éloigna un instant du micro en fermant les yeux pour reprendre sa respiration, il se racla la gorge et s'avança de quelques pas pour ajuster le micro à sa taille. La salle se trouvait dans un silence profond, un silence presque gênant, déconcertant. Ils agissaient comme autrefois, ils se taisaient. Il ne pu s'empêcher de balayer son regard sur les premiers rangs. Jamais il ne les avaient vu parler avec Clara. Combien de personnes présentes dans la salle la connaissait réellement ? Combien de personnes avaient tentés de l'aider ? Surement peu. Après une grande respiration, il passa sa main dans la poche intérieure de sa veste et en sorti une feuille de papier blanc pliée en quatre qu'il déplia lentement. Monsieur Hantz se massa la gorge un instant, se racla une seconde fois la gorge et observa sa feuille.

-Je suis Monsieur Hantz, commença t-il à dire. Je suis... Il se stoppa. J'étais le professeur de littérature de Clara.

Il leva son regard de la feuille, déstabilisé par la faute qu'il venait de commettre et paralysé par le silence de la salle.

-J'aimerais pouvoir dire que je connais certains d'entre vous comme ayant été des amis proches de Clara, mais malheureusement ça n'est pas le cas. Il reprit lentement sa respiration et décida de ramasser la feuille blanche qu'il avait déplié auparavant. Un discours provenant du cœur valait bien plus qu'un discours lu sur un papier. Il voulait se montrer le plus honnête possible. Il ne devait pas avoir peur des mots. Il devait parler avec son cœur et rien qu'avec son cœur. La rage ne devait pas prendre le dessus.

-Je n'ai pas l'attention de vous faire un discours moralisateur, je n'ai pas l'attention de vous dire que vous êtes tous autant coupables les uns que les autres, car vous le savez tous déjà aussi bien que moi. Il se passa la main dans les cheveux un instant. A vrai dire je ne sais pas pourquoi je suis là, devant vous, aujourd'hui.

Il était vrai qu'il avait accepté de donner un discours en l'honneur de Clara, son élève, mais aujourd'hui il se rendait compte qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il devait dire. Il ne savait pas ce que l'on attendait précisément de lui. Il fixait désormais certains visages du premier rang avec insistance. Aucun n'était venu l'aider, aucun.

-Cela fait trois jours, reprit-il d'une voix tremblante en prenant son inspiration. Trois jours que Clara a disparu et je me sens toujours aussi déboussolé. A vrai dire j'espère depuis le premier jour de sa disparition recevoir un appel me disant qu'elle a été retrouvée et qu'elle se porte bien malgré la chute. Mais plus le temps passe et plus cette idée s'éloigne. Je me rends compte, petit à petit, qu'elle ne reviendra probablement jamais Il s'arrêta. Dans exactement huit jours noël sera célébré. Durant ce jour, nous pourrons voir dans les foyers des enfants sourire, pleurer de joie, être heureux. Et pendant que tous ces enfants, ces adultes seront heureux, moi je penserais à Clara qui ne peut vivre ce merveilleux moment. Et sincèrement, je penserais à cette jeune fille parti trop tôt à chaque moment de ma vie. Il soupira. Clara était une jeune fille incomprise. Jamais je ne l'ai vu sourire comme sur la photo qui se trouve à mes côtés, jamais je ne l'ai vu se faire aider par des personnes de sa classe, jamais. Je trouve ça... Il s'arrêta en hochant la tête d'agacement. Je trouve ça tout simplement désolant qu'au XXI ème siècle les mentalités soient ainsi. Je ne peux m'empêcher de vous observer, tous, ici dans cette salle, et aucun d'entre vous n'est venu l'aider. Je sais que souvent, lorsqu'une mort intervient, on ne peut s'empêcher de complimenter la personne décédée, on ne peut s'empêcher de recouvrir cette personne de belles phrases comme si elle avait été parfaite. Et Clara n'y échappera pas. Non elle n'y échappera pas car elle était réellement quelqu'un de bien. En aucun cas je suis obligé de la complimenter comme je le fais, mais c'était une jeune fille extraordinaire. Il balaya la salle des yeux. Elle était très ambitieuse. Elle restait elle même. Malgré ce qu'elle subissait au lycée, malgré qu'elle se soit fait battre par sa tante chez qui elle vivait, elle gardait l'œil ouvert et aidait ceux qui en avaient besoin. Et je me sens en partie concerner car, moi elle a su m'aider. Je voulais tout laisser tomber, je tombais peu à peu dans un précipice infernal, et elle m'a tendu sa main. Elle n'était pas obligée, elle aurait pu faire comme mes collègues, comme mes élèves, ignorer. Mais non, elle m'a tendu sa main. J'ai pu reprendre le dessus grâce à elle, sortir de ce précipice... mais moi...

Il s'arrêta. Les yeux brillants et les lèves sèches, il respira lentement.

-Mais moi j'ai échoué, reprit-il la voix tremblante. J'ai échoué à mon devoir. Je n'ai pas su l'aider convenablement. Et aujourd'hui. Il glissa furtivement sa main droite le long de ses joues pour effacer les larmes qui se multipliaient le long de son visage. Aujourd'hui je suis là, devant vous, et non elle.

Il posa subitement sa main sur sa bouche de douleur. C'était si dur. Ses dents se serrant les unes contre les autres, il ferma les yeux un moment. Il n'avait pas le droit de craquer devant tout le monde, non, il n'avait pas le droit ! Il prit une grande inspiration.

-Je sais que tout ça ne la fera pas revenir... Mais je vous en supplie, mettez un terme au harcèlement. Vous devez comprendre que le harcèlement conduit au suicide ! Que le harcèlement écorche profondément, blesse, détruit ! Il rouvrit ses paupières, laissant apparaître des yeux rouges de colère, des yeux rouges de tristesse et de dégout. Ne restez pas les bras ballants, ne restez pas témoins, agissez ! Aidez ! Que ça soit du harcèlement moral, du harcèlement verbal ou encore du harcèlement physique, ne laissez pas passer les choses. Parlez-en ! Bougez ! Je sais très bien que vous avez peur des représailles, que l'on parle sur vous, mais des millions de vies sont en jeu ! Vous pouvez aider les jeunes, vous pouvez sauver des vies !

Soudainement la grande porte en bois massif de la salle s'ouvrit. Un brin de lumière pénétra dans la salle sous les yeux attentifs des personnes présentes, et Jordi apparu. Il referma discrètement la porte derrière lui alors que tous rapportèrent leur attention sur le jeune professeur. Le jeune homme prit place sur la deuxième rangée de la gauche, ôta son chapeau noir qu'il posa sur ses cuisses et porta son attention sur le professeur. Aucun d'eux ne purent savoir ce que ces regards échangés représentaient. Ils représentaient aussi bien tout, la tristesse, la pensée partagée sur la jeune fille disparu que le malaise.

-Nous ne parlons pas assez des personnes harcelées, nous ne les aidons pas assez, reprit-il en insistant son regard dans celui de Jordi. Moi vivant, je ferais mon possible pour arrêter ça. Je serais toujours là pour ceux qui en ont besoin. Vos parents ne vous écoutent pas ? Je suis là ! Vous n'osez en parler à vos parents ? A vos amis ? Je suis là ! Jamais, je dis bien jamais, je ne laisserais quelqu'un sans aide.

Monsieur Hantz tourna son regard vers la photographie de Clara qui se trouvait à quelques mètres de lui. Son cœur se serra. Fermant les yeux, il se rendit compte à quel point la salle était plongée dans un silence total. Il se rappela du jour où elle l'avait aidé lorsqu'il était accroc à l'alcool, le jour il l'avait trouvé dans les toilettes des filles, la main en sang. Il se rappela du moment où il avait découvert l'état de son dos, de ses bras auprès de Jordi. Tout cela n'avait été qu'accumulation sur accumulation. Elle avait du se sentir si...seule. Lorsqu'il rouvrit ses yeux, son regard se posa sur celui d'un homme placé au premier rang, habillé en treillis militaire, un képi placé sur ses cuisses.

-Votre fille a été brave. Votre fille restera à jamais gravé dans ma mémoire. Elle est un exemple à suivre, personne n'aurait pu résister autant qu'elle l'a fait. Clara m'a tant aidé et je... Sa voix dérapa. Il inspira longuement, les yeux rouges et les larmes dévalant ses joues. Je n'ai pas réussi.

Il recula de quelques pas, sa main droite cachant son visage. C'était beaucoup trop dur, elle lui manquait terriblement. Il n'arrivait à se rendre compte du fait qu'il n'allait plus jamais la voir, qu'elle n'était plus là, que sa respiration s'était arrêtée, que son cœur avait cessé de battre, qu'elle n'était dorénavant plus de ce monde. Sa chaise de cours placée derrière sa table restera à jamais vide. Sa mâchoire se crispa. Clara aurait souhaité le voir heureux, il le savait.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top