S : Sapin

Je ne vois pas comment je peux écarquiller les yeux plus qu'ils ne le sont déjà. Je l'ai entendu dans ma tête. Cette voix, celle d'Aedan, a envahi mes pensées pendant l'espace d'un instant. Ce n'est pas possible, j'ai dû rêver.

Je dois avoir regardé trop de séries ou lu trop de livres... Mais le clin d'œil qu'il me fait, alors même qu'il est encore en train de monopoliser la bouche de Marie, me fait clairement comprendre que cela s'est réellement produit. Je n'en reviens pas.

Je détourne enfin le regard de cet inconnu, en maillot de bain noir, qui me pourrie la vie depuis hier, pour sourire chaleureusement aux deux beaux garçons qui se rapprochent de nous. Felipe pose son bras sur mes épaules, comme il avait pour habitude de faire l'année dernière. Les yeux se rivent sur nous... Seigneur.

— Vous avez vu ? demande Felipe.

— Que vous êtes vraiment trop mignons tous les deux ? Oh ça oui. Pourquoi vous avez rompu déjà ? lance Jane.

Peppe et moi nous figeons d'un coup. On ouvre la bouche en même temps, sans savoir quoi dire, c'est un sujet un peu tabou. Je tourne la tête vers Chloé et lui vers Amadeo. Ils ont l'air tous les deux extrêmement gênés par cette situation... comme nous d'ailleurs.

Sérieux, Jane n'en manque pas une. Elle adore créer des histoires là où de base il n'y en a pas. Oui, je suis sortie avec Felipe. Avant de partir pour l'Italie où j'allais faire mon stage de première année, on avait déjà commencé à se fréquenter. On se tournait autour depuis quelques mois et finalement il avait fait le premier pas. Il était tout timide ce jour-là, malgré son allure habituelle de garçon invulnérable.

Sachant que j'adore parler italien, et sa famille étant originaire de là-bas, il m'avait donné le numéro de sa cousine Fortuna. Elle habite à Palerme, en Sicile. On a tout de suite bien accroché et sa famille m'a vite trouvé un stage. En même temps, ils ont pas mal de contacts... Normal après tout quand tu fais partie d'une famille de mafieux mondialement connu.

À l'époque, il m'était difficile de savoir ce que Felipe pensait. Ses yeux étaient une vraie forteresse... Résultat de la dureté de sa famille et des obstacles qu'il a traversé. Mais, aujourd'hui je le connais par cœur. Il ne peut plus rien me cacher.

— Cela ne te regarde en rien Jane, commencé-je. Mais il y a des choses qui se sont passés qui ont fait que j'ai préféré que l'on en reste là...

Felipe enlève son bras de mes épaules et je plonge mon regard dans le sien. Il baisse rapidement la tête, mais j'ai eu le temps de voir une profonde tristesse dans ses yeux. Je passe ma main sur sa joue et le force à me regarder.

Après une seconde où j'ai vu défilé ce que l'on a vécu l'été dernier, je le prends dans mes bras. Il me serre contre lui, comme s'il avait besoin de ce contact plus que tout. Je m'écarte enfin, et vois les regards affectueux de mes amies posés sur nous.

— C'est quand même génial que vous soyez resté aussi proche, intervient Safira.

— Oui... conclu Peppe avec un mince sourire.

Jane fait la moue, le fait qu'elle n'est pas réussi son coup doit la miner... Ça commence à bien faire, il faudra que j'aie une discussion avec elle.

Amadeo glisse sa main dans l'eau, me tirant de mes pensées où je commençais déjà à établir des plans de vengeances, et attrape la mienne. Je me tourne et le regarde. Ses yeux analysent mon visage pour voir si ce qui vient de se passer m'a affecté, mais je lui adresse mon sourire le plus tendre.

Il semble satisfait, je ne pense pas qu'il soit jaloux de ma relation avec Felipe. Il sait ce que l'on a traversé et le fait que Peppe était avec moi avant que je ne le connaisse doit sûrement balayer ce sentiment. Néanmoins, ils sont meilleurs amis, et c'est souvent délicat...

— Au fait vous deux, vous n'avez pas oublié de me dire quelque chose !? dis-je en regardant tour à tour Amadeo et Felipe.

— Euh... bafouille Felipe.

— D-De quoi tu parles ? bégaie Amadeo.

— De votre course de motos, insinué-je en passant un doigt sur le torse d'Amadeo.

Il a de légères marques violettes au niveau des côtes, je les avais déjà remarquées hier soir. Il soutient mon regard, il se retient de grimacer, je le sais. Je plisse les yeux, amusée par son comportement de petit garçon qui nie avoir fait une bêtise, et appuie un peu plus fort. Après quelques secondes sa bouche se pince et il attrape mon poignet.

— Ahah j'en étais sûre !! m'écrié-je satisfaite.

Ils font la paire. Quand l'un fait une course, l'autre est toujours dans le coup.

— Ça va c'est bon tu as gagné... dit-il en me lançant de l'eau à la figure. Hier après-midi je n'avais pas d'intervention alors on a participé à une course.

— Mec t'es sérieux !? s'indigne Felipe.

— Désolé mais tu es le mieux placé pour savoir que je ne peux pas lui résister, on en a déjà parlé... tente-t-il de lui chuchoter.

Mes joues s'empourprent d'un coup. Ils parlent de moi quand ils ne sont que tous les deux ? Qu'est-ce qu'ils peuvent bien se dire ?

— C'est gênant... glisse Chloé.

— Mais non, moi j'adore, s'émerveille Lara. Ils sont trop beaux.

— Je vous entend, répliqué-je.

~

Quelques heures après, on sort du couloir. Je ferme la marche, la serviette autour du corps, et suis les filles en direction de nos chambres. Au moment de prendre le virage à gauche pour aller dans celle que je partage avec Lara, un bruit à l'autre bout du couloir attire mon attention.

« Suis-moi, maintenant. »

Encore cette voix dans ma tête. Je me retourne et vois Aedan près du hall. Instinctivement, je le suis. Satisfait, il sourit dangereusement, et sort de l'internat. J'avance lentement, comme si quelque chose de plus fort que moi me guidait. Je fais tomber ma serviette, mais cela n'a pas d'importance, il faut que je le suive. Les filles m'appellent, au loin, mais je n'y fais pas attention et passe la porte de Louloudi.

Une légère brise effleure mon visage, me sortant de ma transe. Mes yeux s'habituent peu à peu à l'obscurité de la nuit, tranchant avec la lumière qu'il y avait dans le couloir. La pleine lune brille au-dessus de moi, m'aidant à distinguer les formes des arbres. Je regarde partout, mais je ne le trouve pas. Où a-t-il bien pu passer !?

« Devant toi. »

Et oui, il est là, à quelques mètres. Il m'adresse un bref regard avant de se mettre à courir. Je me lance à sa poursuite, comme si mon corps agissait en dehors de ma volonté. Dans un état de semi-hypnose, je le suis dans la forêt de sapins qui entourent notre école.

Il se déplace avec une désinvolture phénoménale, et court incroyablement vite. Avant de comprendre ce qu'il se passe, je me rapproche de plus en plus de lui. Mes cheveux ondulent face au vent et les paysages passent rapidement devant mes yeux.

Je cours avec aisance, sans douleurs à ma jambe blessée, ni essoufflement... Ce n'est pas normal. Pour quelqu'un de peu sportive, je suis excessivement rapide. Il se passe quelque chose, je le ressens au plus profond de moi...

Pendant le bref instant où j'étais dans mes pensées, il en a profité pour se volatiliser. Je regarde autour de moi en ralentissant. J'ai toujours aimé la nuit, mais l'atmosphère émanant du domaine me fait frissonner. On se croirait tout droit sorti d'un cauchemar.

J'entends les filles appeler mon prénom au loin. Je continu dans la direction opposée, bien décidée à le retrouver. J'avance dans les profondeurs de la nuit et après quelques pas, entre dans une clairière que je n'avais jamais vu en un an de passé ici. Elle dégage quelque chose de dangereux, ou bien serait-ce moi ? Je ne me sens pas comme d'habitude...

L'herbe, qui a commencé à s'imprégner de la rosée du matin, chatouille mes pieds, et la légère brise me fait frissonner. J'esquisse une grimace et frotte mes bras pour tenter de me réchauffer. Puis je passe ma main sur mon visage, excédée par mon comportement impulsif.

Quelle gourde je fais aussi, courir après un mec, sûrement nocif, à deux heures du mat, en maillot de bain, pieds nus... Je suis blonde mais quand même, je ne peux pas être aussi stupide !

Je me fige. Une sensation pénètre ma peau, parcourt mon corps, et fait écho à mes sens. Je le ressens, il est là. Apparaissant dans mon dos, Aedan se rapproche un peu plus et passe sa tête par-dessus mon épaule. Une longue seconde s'écoule, avant que son souffle chaud passe près de mon cou.

— Je t'ai fait peur ? susurre-t-il.

— Pas une seconde, répondis-je agressive.

— Tu aurais quand même pu t'habiller, tu vas attraper froid, dit Aedan en s'écartant.

Je ne lui réponds pas. Il a raison et je le sais. Surtout que lui a pris le temps de se rhabiller avant de sortir de la salle cachée.

— Tu t'intéresses subitement à Marie... Pourquoi ? questionné-je.

Les rayons de la lune se reflètent dans ses yeux sombres et un sourire diabolique se dessine sur son visage.

— Tu es jalouse ?

Une brûlure pique mon cœur. Touché.

— Non pas du tout, juste c'était... soudain, trouvé-je à dire.

Si j'avais pu me regarder, j'aurais sûrement vu une pauvre nouille ridicule aux joues aussi rouge que son maillot de bain.

— Tu veux savoir pourquoi je l'ai embrassé ?

Je hoche vivement la tête, curieuse. Il rit, amusé.

 Est-ce que tu connais l'Épine du Christ ? continu-t-il.

— Oui, c'est une fleur médicinale, mais sa sève est très toxique, notamment au niveau de la peau, dis-je en relevant un sourcil.

— J'en avais mis sur mes lèvres...

— Et ?

— Elle va se réveiller demain avec une bouche horrib... n'arrive-t-il à terminer car il part dans un fou rire.

Je prends petit à petit conscience de ce qu'il vient de dire. Sa sève, il en a mis sur sa bouche, puis l'a embrassé... Pourquoi s'amuserait-il à faire ça !?

— Seigneur, Jésus, Mary Poppins... Ses lèvres vont être gonflées, rouges et elle peut même avoir des cloques ! Tu es fou !? m'emporté-je.

— De toi seulement. Et puis elle le mérite, elle a été odieuse avec toi, argumente-t-il.

— C'est vrai... Mais il va t'arriver la même chose sombre crétin, lancé-je.

— Non, j'ai pris mes précautions.

Je laisse échapper un soupire exagéré, il m'énerve. Il fait comme si l'on se connaissait depuis je ne sais combien de temps, et c'est l'impression que j'ai en étant face à lui... Tout ça, c'est réellement bizarre, ça ne présage rien de bon.

— Tu veux que je te dise quelque chose ? dit-il en regardant ma bouche. Elle embrasse mieux que toi.

— Pardon !? Je ne t'ai jamais embrassé, m'offusqué-je.

— Oh que si, et plus d'une fois, ajoute-t-il. D'ailleurs, tu étais tellement sauvage pendant nos parties de jambes en l'air...

J'enfonce mes ongles dans mes paumes et serre mes points. J'y met tellement de rage que mes phalanges sont blanches et mes doigts deviennent rouges. Je m'empêche de le frapper, alors que ce n'est pas l'envie qui me manque.

Mes joues virent au cramoisi. Comment ose-t-il dire des choses pareilles !? Moi, l'avoir embrassé ? Et même pire, avoir couché avec lui ?? Et puis quoi encore. Quelle blague... Je ferme les yeux, la douleur ne m'empêchant de desserrer le point, et lève le bras.

— Julie ?

J'entrouvre les yeux, étonnée. Je m'approche d'Amadeo et m'effondre dans son cou.

— Qu'est-ce que tu fais dans la forêt en maillot de bain ? demande-t-il inquiet.

— Il est où !? Tu ne l'as pas vu ? paniqué-je.

— Qui ?

— Aedan, il était là il y a une seconde...

Amadeo attrape mes fesses et me colle à lui. Il remonte ses mains le long de mon dos pour finir par agripper ma nuque. Il plaque ses lèvres sur les miennes et entame un baiser fougueux qu'il coupe après une longue minute.

— J'ai menti, j'avais oublié la sensation de ta bouche sur la mienne, tu embrasses largement mieux qu'elle.

Je rouvre les yeux, que j'avais fermé pendant notre baiser, et le regarde, incrédule. Il sourit diaboliquement et mon visage se décompose. Amadeo est en train de se métamorphoser en Aedan.

— Julie !!! hurlent des voix mélangées de garçons et de filles.

Mes amis ne sont plus très loin, je les entends se rapprocher. Je ne peux pas leur répondre, je suis bien trop en colère contre Aedan pour faire autre chose que de le fusiller du regard.

— Tu ne vas pas me dire que cela ne t'a pas plu ? me défit-il.

— T-Tu... bégaye-je de colère. Tu es trop con !

Je hurle à plein poumons. Mon visage me brûle et je n'ai plus du tout froid. Je lance mon point en direction de sa figure, mais il le rattrape dans sa paume. Ma colère se décuple. Je lui envoie cette fois-ci ma jambe en plein dans les côtes. Il ne l'avait pas vu venir celle-là.

— Tu veux te battre ? dit-il amusé.

— Oui ! Je veux te mettre une raclée sale enfoiré !!

— Très bien, s'exclame-t-il en haussant les épaules. Cela va peut-être raviver tes souvenirs.

— Juste... Ta gueule ! hurlé-je de plus belle.

Il rit et je lui donne une baffe. Il plisse les yeux, il commence à s'énerver lui aussi. Ce n'est pas trop tôt.

— Tu veux jouer à ça ? Allons-y.

Sur ces bonnes paroles, il me donne un coup de poing dans le ventre. Je tombe au sol, le souffle coupé.

— Je ne suis pas un tendre, tu devais t'en douter, se vante-t-il.

Je me relève, plante mes yeux dans les siens, et me met en position de défense.

— Ça tombe bien, je ne le suis pas non plus.

Il sourit, moqueur, et fonce sur moi. Je l'évite par la gauche et le pousse. Il tombe au sol et m'attrape la cheville, me faisant tomber à mon tour. Je rampe pour m'écarter de lui, mais il tire sur ma jambe une nouvelle fois. Je m'agrippe à l'herbe, me retourne, et lui lance une motte au visage. Il grogne et me relâche pour se frotter les yeux.

Je me relève et après quelques secondes, Aedan aussi. Je lui envoie mon pied dans le ventre, et après l'impact, il attrape ma cheville, me faisant voler quelques mètres plus loin. Je grogne avant d'hurler de rage.

— Alors ma belle, tes souvenirs reviennent ?

— Quels souvenirs !? questionné-je sans baisser d'un ton.

— Ceux de ton passé, de ta vie d'avant, de toi et moi... dit-il de plus en plus bas.

— Il n'y a pas de « toi et moi » d'accord !? m'égosillé-je.

Il ferme les yeux et lève la tête. Il inspire profondément puis se volatilise. Il réapparait devant moi moins d'une seconde plus tard. Il pose ses mains sur mes épaules et me regarde droit dans les yeux.

« Il faut que tu te souviennes ! »

— Sors de ma tête ! haleté-je en le repoussant.

Je suis fatiguée de lui, de cette situation, de ses mensonges. Ses paroles sont un venin qui s'insinue en moi et que mes cellules tentent de combattre. Toutefois, et s'il y avait une part de vérité dans ce qu'il dit ? Pourquoi me manquerait-il des souvenirs ?

— Stop... Stop... STOP !! m'écrié-je jusqu'à ne plus avoir de souffle.

À la suite de ces mots, une déflagration projette Aedan au sol. Il se relève immédiatement et sourit, satisfait de ce qu'il a déclenché. Ma colère s'accentue, troublant ma vue au point que je n'arrive plus à distinguer les rangées de sapins autour de moi.

Mes pieds quittent le sol, mes cheveux se soulèvent, et un halo de lumière émane de ma peau. J'ai l'impression que du feu coule dans mes veines et qu'une bourrasque s'élève dans ma tête, quand soudain, un tourbillon d'eau se forme autour de moi, faisant baisser ma température qui grimpait en flèche. Je tends les bras et adopte la position du Christ. J'inspire profondément et tente de rassembler mes pensées.

— C'est ça que je veux chérie ! m'encourage Aedan.

Des lianes sortent de la terre. Elles s'enroulent autour de mes jambes, et me ramènent brusquement sur le sol. J'atterrie, un genou et un poing, frappant la parcelle d'herbe gorgée d'eau. Je relève la tête et croise les yeux d'Amadeo et des filles à l'entrée de la clairière. Tout autour de moi est détruit. Leur bouche est grande ouverte, et le reflet de mes yeux dans les leurs, me fait pâlir. Une lumière bleue fluorescente en émane.

— Mais bordel. Qu'est-ce que c'est que toute cette histoire ? dis-je essoufflée avant de m'évanouir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top