Killer #8

Je pressai le pas. Il faisait sombre dehors, les lampadaires ne s'étaient pas encore éteints. Le soleil tardait de plus en plus à se lever mais ce n'était pas ça qui laissait l'hiver se faire sentir. C'était le souvenir de ces journées d'enfance à rester sous la neige et à cracher de la fumée tout comme un dragon. Mais je n'aimais pas la neige dorénavant. À mon plus grand bonheur, ce n'était pas ce qui occupait la plus grande partie de mon esprit et la neige ne risquait pas de se montrer avec pareilles conditions climatiques.

J'arrivai plus qu'en avance devant le portail familier et n'attendais pas une seconde avant d'y entrer. J'allais me réfugier aux toilettes, ayant de trop longues minutes à tuer avant le début des cours. Une fois à l'intérieur, je dévoilai enfin mes mains meurtries à l'air ambiant.

"Putain, j'sens plus mes doigts…" Marmonnai-je dans ma barbe inexistante.

Je n'avais pas souvenir d'être aussi frileux par le passé. Même mon souffle n'était pas suffisant pour réchauffer le bout de mes doigts teintés de rose. Heureusement que les vacances n'allaient plus tarder, je me voyais mal continuer à sortir aussi tôt dehors et à devoir affronter un froid aussi glacial.

Je n'avais aucune raison de venir si tôt, je ne savais même pas s'il allait se pointer aujourd'hui. Mais il me devait bien des explications et j'avais tellement peu dormi à cause de ça que je ne pouvais faire autrement que de me dépêcher de venir afin d'apaiser mes pensées agitées. Nightmare et sa mauvaise manie à ignorer son portable… Je devais aussi lui demander des précisions pour Color en plus d'explications supplémentaires sur sa disparition.

Dès que mes mains furent moins endolories, je sortis mon téléphone de ma poche et contactai Cross. Il était généralement le premier à arriver, se faisant jeter devant l'école par son père bien avant que le portail ouvre ses portes. D'habitude, ça lui vaut des railleries, mais dans cette situation, je ne pouvais que remercier le fait que son père le dépose encore à l'école. Aucune réponse à mes appels. Qui pourrait bien me répondre à cette heure-ci… Soudain, une évidence surgit dans mon esprit. Il m'avait répondu, même si ce n'était pas vraiment lui, mais ça avait décroché, en pleine bagarre donc il risquait de répondre maintenant aussi.

"Ouais, allô ?" Entendis-je à l'autre bout du fil par-dessus un bruit de fond.

"Oh putain, oui ! Je t'aime, mec. C'était sûr t'allais répondre !" Mon ton sonna plus désespéré que je ne l'étais réellement. "Quand t'arrives ? Je crève de froid et les toilettes sont vraiment à chier."

"Fresh, il reste combien d'arrêts ?" La voix était plus lointaine, se mêlant un peu plus au bruit ambiant. "J'suis là dans un arrêt. Tu me laisses pas respirer, à peine je reviens à l'école que tu m'harcèles au tel. Mais tu sais…" Je ne pus pas entendre ce qu'il disait, la voix robotique stridente du bus annonça l'arrêt près de l'école. "... ou quoi ?" Ria-t-il sans que je puisse comprendre pour quelles raisons.

"J'ai putain de rien compris. Aboule juste aux toilettes des gars le plus vite possible." Et sans attendre plus longtemps, je raccrochai sans écouter ce qu'il avait à répondre.

Mes mains tremblaient, c'était naturellement avec difficultés que je rangeai mon portable dans ma poche et que mes mains suivirent celui-ci. Habituellement, je lui aurais demandé de se répéter mais j'avais besoin de me réchauffer avant que mes doigts, trop faibles dû au froid, ne lâchent prise et entraînent mon bien le plus coûteux vers une chute assurée. Je ne sentais plus mes pieds non plus, rendant encore plus détestable l'idée de sortir de cette pièce. Il ne faisait guère plus chaud dans les toilettes, mais c'était plus simple mentalement de combattre le froid ici.

La porte s'ouvrit. Je levais les yeux, rencontrant les yeux bicolores qui me faisaient face. Il me fixa avec exaspération. Je remarquai le léger mouvement de ses lèvres qu'il semblait essayer de contenir. Je pensais simplement ne plus porter attention à ses tocs avec l'habitude mais on dirait qu'il n'y avait pas que ça...

"Qu'est-ce que tu fous là ? Pourquoi tu m'as appelé comme si c'était une question de vie ou de mort ?" Son regard s'adoucit alors qu'il scrutait l'entièreté de ma stature. "Mec, si tu voyais ton visage ! Heureusement que t'as pas appelé Dust, il t'aurait allumé."

"Ta gueule." Lançai-je dans un soupir, reconnaissant malgré moi que son propos était valide. "T'as pas vu Nightmare ? Ce connard a ignoré mes messages, j'ai envie de lui péter les dents."

"Une certaine personne m'a presque supplié de venir ici donc, non, j'ai pas croisé Nightmare. Par contre, au lieu de t'énerver dans ton coin comme ça, tu devrais plutôt mieux t'habiller avant de sortir de chez-toi." Commenta le plus grand en s'approchant du mur sur lequel je m'appuyais avec un sourire amusé. "Il y a un nouveau mot qui est de plus en plus utilisé de nos jours, je sais pas si tu connais les "relevés météorologiques" ? C'est putain de passionnant, vraiment." Hein ? En réalité, Error s'approchait pour la première fois de moi. "Tu devrais jeter un coup d'œil. C'est partout : à la télé, sur Internet. C'est encore plus intéressant quand c'est pour choisir ta tenue de la journée."

"Ha. Ha. Très drôle." Répondis-je avec dédain sans ajouter un mot de plus, le fixant en essayant de comprendre son comportement. Il enleva sa grosse écharpe bleu foncé. Je ne pouvais détacher mes yeux de son cou qui n'avait rien de particulier mais que je ne voyais que rarement exposé.

Sans écharpe, il a l'air encore plus grand que d'habitude… Je déglutis bruyamment jusqu'à ce que je détournai le regard en l'entendant reprendre la parole.

"Mets ça avant que tu finisses gelé, du con." Les marques sous ses joues s'étaient-elles toujours ainsi déformées en une courbe lorsqu'il souriait ?

"Heu… Merci ?" Je pris précautionneusement l'écharpe alors que mes mains me faisaient encore souffrir puis l'enroulai autour de mon cou. "T'es sûr que t'es pas trop proche avec ta maladie au nom chiant là ?" J'enfuis mon visage dans le tissu chaleureux ainsi que mes mains.

"L'haptophobie. J'y avais pas pensé mais si tu te voyais dans la glace, tu comprendrais pourquoi ton état me laisse même pas penser que tu pourrais potentiellement poser un doigt sur moi, Killer."

"Ouais, bref." Balayai-je, voulant changer de sujet. "Ton écharpe est super grande. Ah ! Mais tu disais quoi au tel tout à l'heure ?"

Il me regarda en grimaçant, ne semblant pas se rappeler l'évènement auquel je me référai. Sans que j'eus le temps de clarifier ma question, son visage se détendit tandis qu'un long "Aaah" inspiré échappa ses lèvres. Il balaya sa main devant moi en regardant l'endroit qui nous entourait.

"Ça ? C'était rien d'important." Je le fixai, m'apprêtant à lui demander d'assouvir ma curiosité malgré tout. "Je me foutais juste de ta gueule." Annonça-t-il avec un sourire espiègle en croisant mon regard.

"Ouais bah laisse tomber dans ce cas." Bien que ma réponse se voulait de nature désinvolte et nonchalante, je pris la peine de sortir une de mes mains de la chaleur de l'écharpe afin de lui brandir mon majeur.

Contre toute attente, je pus noter un bref moment de soulagement se lire sur son visage avant qu'il ne penche sa tête en arrière et éclate de rire. Je demeurai confus premièrement mais je souris vite incontrôlablement derrière le tissu bleu qui couvrait mes lèvres étirées.

Et comme si les astres s'étaient alignés, attendant le déroulement de ce moment précis avant de nous séparer, la sonnerie retentit et ne suffisait cependant pas à étouffer son rire jovial. Je râlai intérieurement à l'idée de devoir être au contact du froid extérieur mais ses pensées passèrent vite en arrière-plan alors que je traversai la porte, suivant mon ami. Nous pressions le pas afin de parvenir au bâtiment dans les temps. Je remarquai qu'Error remonta légèrement son col roulé rouge.

"T'as quoi comme cours ?" Me questionna-t-il lorsque nous étions encore à quelques pas de la chaleur intérieure des couloirs du lycée.

"Géographie avec Horror." Répondis-je en le voyant tenir ouverte à mon attention la porte.

"Bah bonne chance ! On se voit en sport !"

Et il s'en alla sans attendre. Pris au dépourvu, je restai sur place un court instant. Me trouvant sur le passage d'autres élèves, je me dirigeai vers mon local sans en dire plus. Après tout, il n'aura pas besoin de son écharpe en classe. Je la lui rendrai quand on se reverra.

Je pénétrais la salle de classe et vis tout de suite Horror installé au premier rang. N'ayant pas trop le choix parmi les places libres, je m'installai derrière lui. Il se contorsionna pour pouvoir me regarder et pointa du doigt le vêtement que j'avais emprunté.

"Qu'est-ce que tu fous avec ça ?" Il leva les sourcils pendant que je sortai mes affaires.

"Error m'a conseillé de vérifier la météo." Expliquai-je sans réfléchir avant de bloquer le tissu en dessous de mon menton et ainsi de mettre le bas de mon visage au contact de l'air ambiant.

La professeure fit son entrée, ne laissant pas l'occasion à Horror de rajouter quoique ce soit mais je pouvais bien voir à son expression qu'il n'avait pas totalement compris ma réponse. Je la trouvais pourtant logique, ça ne nécessitait pas de faire 600 liens pour comprendre où je voulais en venir.

Et c'est après de longues minutes, beaucoup trop longues pour la place que prendra réellement la géographie dans ma vie, que tous les élèves se levèrent d'un bond et nous nous retrouvions pour la plupart à prendre le même chemin vers les vestiaires en face de la salle de sport.

Quelle idée que de mettre une poignée d'adolescent dans une pièce pour qu'ils se changent aux yeux de tous et laissent leurs affaires dans cette même pièce. Les évaluer sur leurs capacités physiques tous ensemble aussi n'était pas la manière la plus productive de procéder.

"Tu sais, t'as pas besoin d'afficher cette expression chaque lundi à la même heure ? Ça changera rien au fait qu'on aura éducation physique dans tous les cas." Me fit remarquer Horror en continuant de marcher à mes côtés.

"Ouais, sécher ou me péter une jambe serait plus simple que d'avoir à tirer la tronche chaque semaine." Ajoutai-je en exagérant encore plus mon expression de lassitude, saupoudrant le tout d'un long et fort soupir d'abandon.

"Cache surtout pas ta joie, Killer." Mon comportement semblait contagieux, pauvre Horror.

Dust nous rejoignit en accourant afin de nous rattraper. Comment le savais-je ? Tout le monde le saurait en voyant Horror s'abaisser suite à un coup à l'arrière du genou alors qu'on avait pu entendre, les deux secondes précédant ce moment, des bruits de pas lointain répétés incessamment qui se faisaient de plus en plus fort.

Je savais avant même de tourner la tête qui était l'auteur de ses actes, il était le seul à vouloir faire une telle chose à Horror, celui-ci retenait par ailleurs un cri ou peut-être même un juron de ce que je pouvais en déduire de ses lèvres pincées.

"POUAH ! La honte ! J'ai même pas mis de force et voilà qu'à ton grand âge, t'es à deux doigts de te mordre le poing. Oh la putain de fillette." Je n'écoutais pas plus les provocations de cet insolant ou les réponses de sa victime, mon attention se portant sur plus intéressant.

Les jumeaux discutaient au loin, bien derrière les autres élèves. Ce qui attira mon attention n'était pas l'air agacé de Nightmare qui était en total désaccord avec la détresse qui se lisait sur le visage de Dream, ni le fait que je voyais Dream seulement en regardant en arrière alors qu'il avait traversé quelques secondes avant moi la porte du local de géographie. Non, ce n'était pas pour ces raisons. Je continuais à suivre les deux abrutis qui n'en rataient jamais une pour se disputer tout en tordant mon cou simplement pour garder un œil sur cet échange enflammé. Nightmare était donc de retour aujourd'hui et à en croire l'entrain qui se lisait dans sa gestuelle et la force qu'il déployait pour se défaire de la poigne de Dream sur son bras, il se portait plutôt bien pour quelqu'un qui avait visité l'hôpital.

J'arrangeai l'écharpe autour de mon cou et regardai de nouveau face à moi, l'échange entre les deux frères avait pris fin. Dans les vestiaires, le brouhaha des élèves envahissait le petit endroit. Error était ratatiné dans un coin, les autres élèves mettant une certaine distance avec lui alors qu'il laçait ses chaussures. Je me frayai un chemin jusqu'à lui. Je lui adressai la parole en premier tandis qu'en arrière-plan je pouvais entendre certains garçons hausser le ton, exigeant qu'on ferme la porte.

"Putain, tu t'habilles v'là vite !" Constatai-je en comparant intérieurement au moment auquel je sortais habituellement des vestiaires.

"Ouais, le plus vite je sors et le mieux mon monde se porte." Il se redressa, ajustant son T-shirt.

"Dis plutôt que tu surkiffes ce cours. Ah et tiens." Je retirai hâtivement le tissu couvrant mon cou, laissant toute la chaleur emmagasinée s'échapper et la lui présentai entre mes deux mains.

J'avais pu remarquer dans mon angle mort Nightmare. Je tournai la tête vivement, le cherchant à travers l'amas d'élèves qui se changeaient sans plus attendre.

"Tu pouvais me la rendre demain, mais merci." Annonça-t-il en faisant disparaître le poids de mes mains. Je fixai mes mains puis lui, il regardait aux alentours tout comme je le faisais quelques secondes auparavant.

"Non, le soleil est levé depuis un moment donc je devrais pas avoir aussi froid." Répondis-je, la hâte se faisant sentir dans mon débit.

Il rangea son écharpe aux côtés du reste de ses habits et je le laissai se rendre dans la salle de sport. Je me délestai de ma frêle veste que passai sur mon bras avant de trouver un coin pas trop occupé et d'y poser mon sac à dos. Je scannais les environs. Je n'avais aucune intention de me changer et attendais en m'appuyant contre le mur. La plupart étaient au beau milieu de leur changement, étant déjà dévêtus et s'apprêtant à s'accoutrer de la tenue adéquate. En remarquant que certains sortaient déjà, je m'abaissai pour retirer mes chaussures de manière lente et désintéressée, ne prenant aucun plaisir à la tâche. De mon sac, je sortis mes vêtements et dans ce même sac, je fourrai ma veste.

Si je voulais être à temps au cours et éviter un tour de terrain, je devais commencer à me changer sans plus attendre. Enfin, dix secondes en plus ne feront pas de mal, je pense…

1...
2...
3...
4...
5...

Je me mis à tourner entre mes pouces le bas de mon sweatshirt, mon angoisse montant grandement à l'idée de me changer mais aussi d'arriver en retard.

6...
7...

Et merde !

Je retirai mon sweatshirt, faisant maintenant face au mur. Puis mon T-shirt et… Mon regard passa par-dessus mon épaule et je comptai à vue d'œil les personnes restantes. Environ 5... J'enfilai mon T-shirt de sport et mon gilet avant de baisser mon pantalon. Non, 3 : la porte venait de se fermer et j'avais pu entendre deux voix qui discutaient d'un jeu vidéo tendance s'éteindre au même moment. J'enfilai mon jogging un peu trop large et serrai de toutes mes forces le fil autour de ma taille avant de couvrir celui-ci avec le bas de mon haut. C'est en me dirigeant, pressé, en dehors de la pièce que je me chaussai à la hâte en sautant d'un pied à l'autre selon le pied étant habillé.

Je me faufilai entre les autres élèves, me voulant discret alors que la professeure venait de commencer les présences à mon plus grand soulagement. Elle annonça le programme de la séance de sa voix portante et ferme qui ne ratait jamais à me faire penser à une cheffe d'armée.

"Okay, les mauviettes ! Dernier cours avant les congés, mais pas des moindres ! Donc vous montrez plus d'énergie ou ça va barder !!" Bien que son caractère assuré était impressionnant, elle n'avait pas besoin de gueuler à tout-va… "Le premier qui se plaint fera trois tours de terrain. Aujourd'hui, acrosport ! Ne le prenez pas à la légère, vous serez évalué après les congés sur ça mais on y reviendra à la fin du cours. Je vais déjà vous mettre en activité afin de voir vos bases, vous avez pas intérêt à me décevoir parce que vous êtes tous capables de faire ce qui sera demandé. On se relâche pas !!" Décidant enfin de s'arrêter dans son monologue, elle forma des duos sous les complaintes, qu'elle tut sans difficulté, des élèves mécontents.

Certains groupes attirèrent plus mon attention que d'autres. Les notant dans un coin de ma tête sans même l'avoir voulu, je rejoignis d'un pas lent mon binôme qui n'était d'autre que le prince de la morosité qui par ailleurs avait l'air bien agacé. Devrais-je peut-être promouvoir son surnom au prince de la négativité, tout pue la tristesse, la colère et bien plus à un rayon de trois mètres autour de lui.

"Je sens que tu vas t'énerver, mais c'est pas comme si j'en avais quelque chose à foutre donc je vais te le dire maintenant. J'ai jamais fait d'acrosport de toute ma vie." Je souris en le fixant.

"Fais chier !" Il posa sa main sur son front en baissant la tête. Un gloussement étouffé mais peu discret se faisait entendre quelques mètres plus loin dans la salle : Error, assit sur un banc, se marrait et ne se retint guère même lorsque nos regards se croisèrent.

"Je trouve ta réaction bien exagérée, là." Répondis-je à mon partenaire en me retenant de faire un doigt au pitre plus loin et décidant sagement de porter mon attention sur Nightmare.

"De tous, de tous les cours où il a fallu que je me retrouve avec toi, c'est celui où t'es encore plus con que mes pieds."

"T'as déjà fait de l'acrosport peut-être, toi ?" Je croisai mes bras sur mon torse, détournant le regard sans vouloir admettre que ce commentaire m'avait vexé, mais ma molle répartie montrait bien plus mon sentiment oppressé que des mots ne le feraient.

"Oui." Il me fixa, je le fixai en retour. Ce mot et le silence l'accompagnant suffisaient amplement à me faire sentir vulnérable sous une telle froideur, faisant monter en moi une émotion que je ne connaissais que trop bien.

Nous continuâmes à nous regarder dans le blanc des yeux — enfin pour son cas, c'était le blanc DES yeux, je regardai davantage des cheveux et le blanc d'un œil — et les secondes s'étiraient dans le temps. Nightmare me dévisagea et je fus le premier à fuir le regard de l'autre. Pourquoi à chaque fois que je suis plus ou moins seul avec lui, mon embarras ne cesse de monter ? Le pire étant que je n'avais pas de raisons de l'être cette fois-ci, je n'avais juste pas pu supporter ses yeux me fixant aussi longtemps sans que je puisse comprendre pourquoi ils se posaient sur moi sans s'en détourner. Ou peut-être que, comme s'il avait la capacité de lire mes propres pensées, j'avais été embarrassé de la précision à laquelle son expression avait changé, se concordant à la perfection avec des pensées que je n'aurais pas voulues qu'il entende. Du moins pas de ma part, il aurait détesté entendre ça. 

"Bref, heu… Apprends-moi au moins les bases au lieu de te la péter." Je détestai constater mon ton fuyard qui s'ajouta à mon niveau de voix plus bas qu'à l'habitude. Heureusement, Nightmare se mit vite au travail sans ajouter un mot.

Il m'avait expliqué que le mieux pour moi était d'être voltigeur. J'acceptai mon destin après avoir échoué à tenir alors que Nightmare avait seulement appuyé son pied sur mon dos. Je n'aimais pas l'idée d'uniquement suivre les instructions de Nightmare mais la panoplie de choix qui s'offraient à moi était plutôt restreinte.

"Hé !! Regarde ! J'y suis !!" M'exclamai-je plein de joie pendant que je tenais sur les épaules de Nightmare qui, lui, se tenait à moitié debout.

"On est tombé six ou huit fois, j'ai perdu le compte, et c'est notre cinquième figure mais voilà que t'es content que maintenant. T'as pris tout autant de temps à monter sur mes épaules la première fois qu'à tenir droit sur mon dos en équilibre tout à l'heure. J'suis juste soulagé qu'on soit débarrassé de cette figure." Se plaignit le plus vieux, ne se donnant aucun répit pour reprendre son souffle. Mais je ne pouvais m'empêcher de rire silencieusement alors que je me concentrai pour réussir à descendre sans casse.

"Dis ce que tu veux, mais l'image de toi qui sais pas comment t'y prendre pour immobiliser mes pieds sur tes épaules restera à jamais un souvenir que je chérirai. C'est pas tous les jours que je trouve une raison de me foutre de ta gueule." Et rater, à force de faire l'insolent, je tombai en plein sur mon postérieur.

Nightmare ne se fit pas prier et se redressa sans attendre. Je le regardai régler son T-shirt alors que je demeurai à même le sol dans son dos. Il avait beau être rabat-joie, je savais qu'il comprenait au moins d'où provenait ma joie et qu'elle était justifiée. Il compatissait d'une manière ou d'une autre ou sinon il aurait fait un commentaire sur l'absurdité ou l'inutilité de la fierté que j'éprouvais : Nightmare aime avoir raison et avoir le dernier mot, donc il n'aurait pas laissé passer cette chance en or.

Nous avions à peine entamé la prochaine figure qui se trouvait dans la liste fournie par madame Undyne qu'elle nous convoqua pour clôturer le cours. J'écoutai d'une oreille distraite ce qu'elle nous expliquait. Je me sentais tout retourner, j'entendais les mots mais mon cerveau n'était en capacité de traiter que des bribes d'information. Mon corps était lourd ou était-ce ma tête qui l'était ?

Les autres élèves se dirigeaient vers un même endroit. Je devrais les suivre, je devais aussi me changer après tout. Et c'est ce que je fis, je marchai d'un pas lent à travers la foule. Ma tête va exploser. Qui avait bien pu y mettre des tonnes de plomb sans que je m'en aperçoive ? Mes jambes bougeaient j'en suis certain mais étais-je effectivement en train de marcher ? Tout était confus. Je vis dans mon champ de vision la frontière entre le gymnase et les couloirs moroses du lycée.

"Qu'est-ce que t'as consommé de chelou pour être comme ça ? Killer, avance." Suggéra… Suggéra le, le, celui qui… Oh putain, ma tête !

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