Killer #3

Alors que j'avançai en traînant des pieds, je me surpris à trouver ce moment bien calme. Non pas que le calme me dérange, mais c'est inhabituel et déroutant dans un aussi grand lycée. Je regardais Nightmare qui marchait sans se soucier de quoi que ce soit. Était-ce seulement une étrange impression ou les couloirs étaient-ils réellement déserts ?

J'ouvris ma bouche en accélérant le pas afin d'être au niveau de Nightmare. Mais je fus percuté avant que je ne puisse prononcer un piètre mot. Je tombai sans avoir pu amortir ma chute. L'élève m'ayant bousculé s'excusa activement avant de continuer sa course frénétique. Il avait hâtivement articulé une excuse que je ne pus entendre clairement étant donné la distance qui nous séparait. Avec Nightmare, nous nous regardâmes d'un air confus. Tout ce que j'avais pu comprendre était qu'il devait avertir un professeur.

"Nique sa race…" Jurai-je tout en passant ma main sur mon dos endolori.

"C'est affligeant à quel point il est couillon." Pesta Nightmare bien que le jeune homme ne pouvait guère l'entendre.

Alors que je m'étais remis de la stupeur due à ma chute, je m'abandonnai à regarder mes alentours. Je vis une prise intéressante. Sans même envisager le fait que j'aurais pu me trouver face à un dilemme, j'attrapai sa cheville et la tirai vers moi-même. À mon plus grand regret, rien ne bougea. Je regardai l'hôte du tissu que j'agrippai dans ma main. Il me regarda d'un air presque moqueur.

"T'as vraiment aucune force en fait, c'en est presque inquiétant, Killer." Et voilà qu'on se retrouvait de nouveau dans cette situation, cet adolescent me prenant de haut comme s'il savait tout mieux que tout le monde, comme s'il était impossible de l'atteindre.

Bien que mon agacement grandissait en moi, je lui souris. Mais j'avais totalement agi par mimétisme, ne voulant pas laisser un lamentable vaurien se sentir pousser des ailes. Je déteste cet air qu'il a de constamment tout prendre de haut, de ne donner de l'attention qu'à ce qui l'amuse. Il veut paraître tellement impassible, montrer qu'il ne ressentait rien et ne pouvait jamais être atteint par quoique ce soit. J'avais étrangement envie de casser cette façade qu'il maintenait fermement, mais je ne pouvais comprendre pourquoi, si ce n'est pour être capable de ressentir un certain triomphe en cassant son mensonge constant.

"Dommage, j'aurais tenté." Le provoquais-je de par mon ton, mais aussi de par mon regard appuyé et insistant.

Il dégagea sa jambe de mon emprise et je m'empressai de me relever. Il était déjà en train de reprendre sa marche pressée. Je le rattrapai en trottinant pour un instant et en gardant un rythme soutenu à ses côtés. Mon dos me faisait souffrir mais la douleur risquait de passer bien vite, du moins c'était ce dont j'étais convaincu puisque ce n'était qu'une piètre chute.

"Tu sais même pas soutenir mon regard plus de deux minutes, c'est un peu honteux à ton grand âge." Tentais-je une nouvelle fois d'obtenir une réaction de sa part.

C'était vain. Son regard ne vacilla même pas. J'avais beau me plaindre des interactions avec les autres, aussi chaotiques soient-elles, je les trouvais quelque peu thérapeutiques en un sens. Celles avec Nightmare étaient... ennuyeuses. Enfin, c'est principalement lui qui l'était alors que je faisais bien plus d'efforts que lui en ce qui concerne le divertissement.

"Tu savais que t'étais d'un ch-." Commençais-je avant de me faire interrompre.

"T'aurais de la monnaie ?" Me demanda le plus grand d'une platité surprenante.

N'avait-il pas remarqué que je lui parlais ? S'il voulait causer, il aurait dû le faire plus tôt. Pourquoi me couper la parole pour quelque chose d'aussi insignifiant que ça ? Ça pouvait attendre.

"Ouais." Acquiesçais-je en contenant mon irritation.

Je lui tendis une pièce de deux alors que mes pensées étaient en pleine ébullition à cause de son insolence. En plus d'être déplaisant, il se permettait d'être impoli. Je sais que je n'avais pas souvent eu l'occasion d'être seul à seul avec Nightmare, mais il ne m'avait jamais paru autant désagréable auparavant. Et voilà qu'il ne me rendait que quelques pièces n'équivalant même la valeur de la mienne en échange. Non mais si seulement il…

"Je te rendrai la différence demain." M'assura-t-il en se concentrant sur la machine en face de lui.

Je le fixais alors qu'il avait l'air en pleine réflexion. Même penser en paix, je ne peux plus le faire. Là aussi, il doit me couper dans mon idée, impossible d'aller jusqu'au bout des choses avec lui.

"Je m'en fous. Garde le reste."

Ce n'est pas comme si ces quelques centimes allaient changer quelque chose à ma vie. Pas du tout ! Je n'avais aucune envie de savoir que quelqu'un me devait une somme, aussi ridicule soit-elle. Tant que ça puisse le faire taire. Vivement le moment où on retrouvera les autres. L'atmosphère est à couper au couteau entre nous. Ce n'est pas du tout reposant d'être en sa compagnie.

Mais alors que j'avais le regard tourné vers plus intéressant que Nightmare, je reçus un léger coup sur la tête. Il n'allait quand-même pas recommencé ? Pourquoi faire le fier à ne pas répondre à ma précédente provocation pour me malmener seulement quelques minutes plus tard ? Je me retournai vivement, n'ayant pas la tête pour ce genre de gamineries. Mais c'est en lui faisant face que mon corps se figea alors que je le regardai d'un air totalement incrédule.

"Quoi ?" Dîmes-nous à l'unisson mais pour ma part avec tupéfaction et pour la sienne avec confusion.

"Pourquoi tu me tends ça ?" Surenchéris-je aussitôt.

"Tu voulais pas que je te rembourse et je veux pas t'être redevable. Au moins, là, ça nous arrange nous deux."

Alors que sa proposition se faisait insistante, je pris le sachet en main. Mais je n'étais pas encore conscient de la situation et je me retrouvais perdu à fixer ce cookie qui se trouvait entre mes demains. Comment était-ce arrivé ?

"Si tu pouvais arrêter de le regarder avec des yeux de merlan frit et juste le manger, ce serait apprécié." Me fit remarquer Nightmare alors qu'il reprit son chemin.

Je restai confus sur place, clignant plusieurs fois des yeux comme si j'avais pu imaginer cette interaction. Mais non, je pouvais bel et bien sentir le lisse et fragile plastique dans mes mains. Mais n'ayant aucunement le temps d'être égaré, je me repris et me mis aussi en marche avant de perdre de vue le garçon qui m'accompagnait à travers les couloirs du lycée.

Alors que je traînais le pas tout en gardant Nightmare à porter de vue, je ne pouvais m'empêcher de chipoter distraitement l'emballage entre mes mains. Ça ne prouvait qu'une fois de plus l'existence bien réelle de ce biscuit. Les raisons pour lesquelles je doutais de son existence étaient tant nombreuses que je n'avais pas la capacité d'étouffer ces doutes. Ça me paraissait si irréel, mais le crissement du plastique et la sensation de celui-ci ne faisait que prouver le contraire. J'avais réellement ce cookie entre mes mains. Je ressentais cependant une étrange légèreté à cette affirmation positive, comme un soulagement mais qui dans ce cas n'apparaissait que suite à très peu de tracas. Les plis de l'emballage causés par mes propres mouvements allaient en parfaite harmonie avec ce sentiment agréable.

"Putain." Maugréa-t-il en m'arrachant le biscuit des mains. Il le délesta de son emballage puis me le tendit. "C'était pas compliqué."

"Merci." Articulai-je, candide, en saisissant son présent.

Il ne me répondit pas, mais ce n'était pas nécessaire : perdu dans mes pensées, je ne l'écoutais déjà plus. J'approchai le biscuit de ma bouche, sentant son contact sur mes lèvres hésitantes. Juste cette fois, je mordis sur le bord du cookie. La portion que j'en avais retirée était dérisoire mais l'intensité du goût était tout autre. Oui, juste cette fois, je mordis de nouveau dedans mais ce croc-ci à pleines dents. C'est goûtu et chaque bouchée l'était encore plus. Et en moins d'une minute, j'avais dévoré la friandise.

Nous marchâmes en silence, ayant pour seule compagnie le bruit léger de nos pas et par moment le son lointain de conversations animées. Mais le silence était apaisant. Une fois de plus, il n'était pas dérangeant d'une quelconque manière et je n'arrivai pas à savoir comment toute absence de conversation pouvait être aussi plaisant. Mais je ne cherchai pas à trouver une réponse à ce questionnement.

Et c'est en voyant les toilettes que je revins à moi-même, un moi qui étais bien plus présent au quotidien et qui ne pouvait s'empêcher de contrôler d'une main de fer celui-ci.

"Je vais aux toilettes." Prévins-je avant de m'y engouffrer.

C'est lorsque la sonnerie retentit, annonçant la reprise des cours, que je pris conscience de mes actes. Cette fois-ci, ne répétant pas deux fois la même erreur, j'avais fermé la cabine.

C'est pour ça que je ne fais jamais de promesses, même à moi-même. Peu sont celles que j'ai réellement tenues.

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