8

Alors que le temps de midi s'annonce, je n'ai qu'une envie : Me barrer d'ici. Presque toute la matinée, des étudiants dont j'ignorais même l'existence étaient venus me parler de l'accident. Et pas de questions comme « Alors comment te sens-tu ? ». Non, c'était plus du genre « C'est toi la meuf qui s'est fait renverser ? » Ou des blagues débiles de niveaux préscolaire « Tu connais l'histoire de Paf le chien ? En fait c'est un chien qui se fait renverser par une auto et PAF le chien » Le tout accompagné de rires bien gras et lourds.

D'habitude, je serais rentrée chez moi, ou j'aurais été me balader pour échapper à cette obligation scolaire. Mais... J'ai trop la flemme, j'ai peur de tomber sur mon géniteur. Je suis démoralisée et mon passage chez Matthew ce matin n'a rien arrangé, que du contraire.

Quand j'y réfléchis bien, je me dis que lui et moi sommes trop opposés. Moi je m'en fous de mes études. Je ne sais même pas ce que je veux faire plus tard alors que lui ne vit que pour ça. Mais qui de nos jours ne se lève que pour étudier ? Pour réussir ? PERSONNE. Et surtout pas des jeunes de notre âge. Sauf Matthew, évidemment.

Je me couche dans l'herbe du parc après avoir englouti mon paquet de Knacki et ferme les yeux. Le soleil réchauffe mes bras nus, mon visage. Je me mets alors à imaginer les raisons qui font que Matthew soit un gros coincé du cul. Il est travesti et c'est pour cela qu'il ne me montre que son côté sérieux ? Nonnn. Je pouffe à ma propre connerie en imaginant mon voisin sexy avec une perruque blonde et des collants résilles. Il n'est pas gay comme ma fellation l'a sérieusement excité. Peut-être que je ne lui plais pas autant qu'il le dit. Sinon, il m'aurait déjà fait de plus grosses avances qu'un simple baiser... Ou bien est-ce un truc en rapport avec ses parents ? Je ne les ai jamais vus, ou du moins je ne m'en rappelle pas. Peut-être sont-ils méchants ? Peut-être le battent-ils ? Non, c'est absurde. La seule certitude que j'ai est qu'il faut que je l'évite. Il ne veut pas d'amour. Et moi j'en veux, j'en ai réellement besoin. Depuis maintenant plus de deux mois, je n'en reçois plus et ça me manque. J'ai besoin qu'on me prenne dans les bras, qu'on me fasse ressentir des choses autres que de la tristesse et de la colère. J'ai envie de me sentir encore aimer par au moins une seule personne.

Lui et moi c'est une mauvaise idée, je vais le nier, ignorer ses messages. Ce sera dur mais c'est nécessaire. Je ne veux pas qu'il brise mon cœur déjà bien fêlé.

*****

Il est dix-huit heures trente quand je passe le pas de la porte. La maison est étrangement calme pour un lundi soir. Je dépose mon sac de cours dans l'entrée, en bas de l'escalier et me dirige vers la cuisine. Vide. J'hausse les épaules, ouvre le placard et prends un verre avant de le remplir d'eau du robinet.

-Bonsoir Laure.

Je sursaute ce qui me fait lâcher mon verre dans l'évier. Celui-ci se brise sous le choc et je me retourne vers mon père. Il est appuyé dans l'embrassure de la porte, les bras croisés et l'air féroce sur le visage.

-Nicole n'est pas là ?

Faites qu'elle soit là. Faites qu'elle soit là. Faites qu'elle soit là.

-Réunion des parents à l'école, répond-t'-il froidement.

Il regarde sa montre avant de s'approcher de moi.

-Une heure entre père et fille, sourit-il dangereusement. C'est formidable.

Alors qu'il avance vers moi, je recule. Mon cœur s'emballe dans ma poitrine. Je sais très bien ce qu'il va faire et même si je suis habituée, j'ai la trouille. Il retrousse doucement les manches de sa chemise, son regard ne quitte pas le mien.

-Je...Faut que j'aille étudier...J'ai une interro importante demain matin...

Je suis interrompue dans mes pensées, dans mes paroles par son poing qui atterrit sur ma joue. Mon dos heurte le meuble derrière moi, ma tête vacille, mes oreilles bourdonnent immédiatement.

Je retiens mon souffle, me préparant au prochain coup. Il tombe rapidement sur ma tempe, me faisant basculer au sol. Je me recroqueville, le souffle coupé tandis que cet homme censé m'aimer m'assène de coups de pieds dans le ventre, le dos, les côtes.

Quand il a décidé que j'avais assez morflé, il se penche sur moi en écartant les cheveux qui couvrent mon visage.

-Je t'avais prévenue Laure. Je t'avais promis même.

Je ne réponds rien, j'en suis incapable. Le goût ferreux du sang envahit ma bouche, je n'oserais même pas cracher alors je l'avale en grimaçant. Les insultes déferlent de sa gueule, il m'hurle dessus mais je ne veux pas l'entendre alors je plisse fort les yeux en me répétant le seul mantra que je connaisse par cœur :

Ne pleure pas, ne pleure pas, ne pleure pas, ne pleure pas, ne pleure pas, ne pleure pas...

Quand il finit par s'éloigner, je reste encore quelques minutes sur le carrelage de la cuisine. Je n'ose pas bouger, je sais que la douleur me fera craquer et je ne veux plus me morfondre à cause de lui. Je me l'interdis comme Matthew s'interdit à l'amour.

J'entends l'eau de la douche couler et je sais qu'il se lave de mon sang sur ses mains. Je le hais, je voudrais qu'il crève. Je ne veux plus jamais le voir, je ne veux plus jamais qu'il me touche.

Quand il revient, c'est vêtu de son pyjama. Comme si de rien n'était.

-Tu diras à Nicole qu'on t'a tabassé à l'école. Ah, et tu as deux secondes pour déguerpir de là.

Je hoche la tête, la gorge nouée de sanglots que je refuse de laisser sortir. Il disparait de la cuisine, le son de la télévision me parvient alors. Je sais que Nicole et son fils vont bientôt revenir alors je me lève difficilement. Je pourrais rester là, ouvrir les yeux de cette femme. Lui faire comprendre le pourquoi je n'aime pas mon père mais qu'est-ce que ça changerait ? Elle partirait avec son fils et je subirais les conséquences. Ca fait deux mois que c'est comme ça, et elle n'a jamais rien vu, ne s'est jamais douter de la violence de son mari.

Dans ma chambre, je dépose mon sac sur mon lit en grommelant et regarde mon reflet dans le miroir. Je frissonne quand je vois ma joue boursouflée et mauve foncée. Mon œil est cerné de rouge et ma lèvre fendillée. Putain. Il ne m'a pas loupée ce connard. Je me mords l'intérieur de la joue et plisse fort les yeux. Je ne pleurais pas, je ne pleurais pas. Ma poitrine se soulève en rythme avec ma respiration trop rapide. Mes côtes me font mal, mon bras me fait mal. Je le déteste. Je me faufile ensuite dans la salle de bain en face de ma chambre, la verrouille. Je prends des cotons dont je me sers d'habitude pour me démaquiller et les imbibe d'eau. Ca ne soulage en rien la douleur mais ça a le mérite d'enlever le sang. Je suis moche. Je le hais. Je me déshabille et remarque de suite les bleus qui se forment déjà sur mon corps. Je ne veux pas pleurer. Je ne pleurais pas. Connard. Je prends une longue inspiration avant d'entrer sous la douche. La même dans laquelle il s'est lavé de toute culpabilité. Bâtard. Je baisse la tête sous l'eau chaude, la met encore plus brûlante. Je préfère me dire que je pleure à cause de la brûlure de la douche. Parce qu'encore une fois, je n'ai pas su retenir mes larmes. Elles coulent seules, mêlées à l'eau qui brûle ma peau. Mes mains tirent dans mes cheveux, de tristesse, de désespoir, de haine, de rage. Je voudrais ne pas être ici, ne plus jamais être obligée de le voir. Je coupe rapidement l'eau quand j'entends Nicole me crier dessus de l'autre côté de la porte.

-Laure, tu exagères avec l'eau !

-J'ai fini !

Je retiens mes sanglots. Rien, elle ne doit rien savoir. Il est gentil avec elle, avec leur gosse. Mais pourquoi en est-il incapable avec moi ? Je préfèrerais encore qu'il soit indifférent mais je ne veux plus vivre ça. Je mets mon pyjama en quatrième vitesse avant que Nicole campe devant la porte et file dans ma chambre. Je n'étudierais pas, je ne ferais pas mes devoirs. Je ne vais quand même pas pouvoir aller en cours de toute façon. Rien que cette idée me donne la nausée. Je vais devoir rester ici...Encore. Je frémis et mes larmes redoublent jusqu'à ce que je n'aie plus d'air. Une putain de crise d'angoisse. Voilà encore ce qu'il m'arrive. Ce poids qui m'opprime, cet étau qui se resserre sur mon thorax. J'étouffe. Je me précipite vers la fenêtre et l'ouvre avant de me faire glisser contre le mur. Matthew ne doit pas me voir comme ça. Je sais qu'il irait à la police et ce n'est pas ce qu'il faut faire. Je n'ai plus de force pour me battre, ni la volonté. Je voudrais soit mourir maintenant, soit partir. Je tente de me calmer. Je ferme les yeux et tente d'effacer les images de ce fou pour les remplacer par celles de ma maman. Elle me manque. Je voudrais tant qu'elle me prenne dans ses bras, qu'elle me console en me disant qu'elle m'aime mais elle n'est plus là. Je suis seule face à ce monstre qui m'empêche d'avoir une vie normale.

*****

Quand je me réveille quelques heures plus tard, ma chambre est plongée dans le noir le plus total. Je me suis endormie contre le mur, dans mes pleurs. Ma nuque est tellement tendue que quand je la redresse elle émet un craquement sinistre. On frappe trois petits coups à la porte et je me relève en grognant. J'ouvre brutalement la porte et tombe nez à nez avec Nicole qui plaque sa main sur sa bouche. J'ai envie de tout lui balancer, de lui dire que c'est l'œuvre de son cher et tendre mari mais je me ravise et me tais. Je ramasse deux trois vêtements qui trainent et les replie alors qu'elle entre dans ma chambre.

-Je viens voir si tu vas bien. Ton père m'a expliqué pour l'agression.

Je ris froidement. Quel connard.

-Ouai ça va, je réponds du tac au tac.

-Okay, soupire-t'-elle. Il y a des antidouleurs dans la pharmacie si tu en as besoin.

Elle sort de la chambre et je vais refermer la porte qu'elle a laissé entrouverte. Je n'ai pas besoin de ses cachets à la con. Je n'ai besoin de rien. Mon téléphone sonne et j'ai la trouille. C'est Matthew. D'un côté je n'ai pas envie de lui parler mais de l'autre j'ai envie de l'entendre. Il est toujours souriant alors cela s'entend dans sa voix lorsqu'il parle. Je décroche d'une main tremblante et souffle doucement avant de parler.

- Allo ?

-Comment vas-tu bébé ?

S'il pouvait arrêter de me dire bébé, ce serait bien mieux pour moi, pour mon cœur d'ado folle de lui mais j'aime trop ça pour le lui dire.

-Ca va et toi ? Tu as réussi ton exam ?

-Je pense que c'est bon, oui.

Je ferme les yeux pour m'imprégner du sourire que je devine, de sa voix.

- Je peux venir te voir ? C'est ton baiser qui m'a porté chance, j'en suis sûr.

-Euh non... Je suis déjà dans mon lit et euh...

Je soupire longuement tout en triturant ma lèvre fendillée.

-Je suis crevée Matt. Je veux juste dormir. On se voit une autre fois d'accord ?

-Matt ? ri-t'-il.

-Matthew... Sérieusement, je suis crevée.

-D'accord Laure... Tu finis à quelle heure demain ?

-Tard, je mens. Je te rappelle dès que j'ai le temps.

-Laure...

Je comprends à son ton qu'il se demande ce qu'il se passe. Jamais je ne l'ai envoyé chier, je saute toujours sur la moindre occasion pour le voir mais là, il ne peut vraiment pas me voir comme ça.

-Tu es sûre que tout va bien ?

-Oui, chuchoté-je, les larmes aux bords des yeux. Bonne nuit.

Et je raccroche avant d'éteindre la lumière. C'est trop dur de ne rien lui dire. Je voudrais tellement qu'il m'embarque avec lui, qu'il m'aime. Mais il ne veut pas de fille qui l'attende, il ne veut personne.

*****

Ca fait une heure que je fixe le poster des Twenty One Pilots sur mon mur. Je ne parviens pas à dormir parce que j'ai mal. Mes larmes ne semblent pas tarir et ça me saoule. Je n'ai plus l'excuse de l'eau bouillante, je ne peux pas dire qu'un ressort de mon matelas me rentre dans les côtes, non. Je pleure parce que je souffre des coups, de l'absence de ma maman.

-Tu ne devrais pas laisser la fenêtre ouverte, princesse.

Je sursaute en criant quand je vois Matthew entrer par la fenêtre.

-Mais qu'est-ce que tu fous ? Tu ne peux pas venir comme ça !

Il rit doucement en s'avançant vers moi. J'ai un bref instant de panique avant de me dire qu'il ne peut pas me voir dans le noir. Il vérifie que la porte soit bien verrouillée avant de venir s'allonger près de moi. Je retiens mon souffle quand il dépose un baiser sur ma joue.

-Pourquoi tu ne voulais pas me voir ? me demande-t'-il tout bas.

-Je suis fatiguée, c'est tout.

-Laure. Ca fait une heure passée que je t'ai téléphoné et tu es toujours réveillée. Dis-moi si quelque chose ne va pas.

-Ca va, je t'assure.

Il m'attire contre lui et je ne résiste pas au réconfort de ses bras. J'en avais tellement besoin. Il caresse doucement mes cheveux tandis que je glisse ma main sous sa chemise pour caresser la peau nue de son dos. Je commence à m'endormir, parfaitement bien dans les bras de celui qui fait battre mon cœur.

-Putain mais...

J'ouvre les yeux alors que Matthew m'éclaire de son téléphone. Je me cache le visage alors qu'il tire sur mes mains.

-Dis-moi qui t'as fait ça ? s'énerve-t'-il.

-Matthew arrête, je réponds paniquée.

-Putain Laure, dis-moi. C'est lui ? C'est ton fumier de père ?

Il se lève d'un bond, je le retiens du mieux que je peux.

-Matthew, reste. Non ! Non ! Non !

-Putain je vais le tuer, grogne-t'-il.

-Non, non, non, non, non.

Il me repousse sur le lit alors qu'il ouvre la porte de ma chambre. Je me relève totalement en panique et le suis dans le couloir en essayant de le dissuader d'aller voir mon père.
***
Ma rachou 😂😂
Comme tu vois tu m'as inspirée 😂😂

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