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- Mais où étais-tu passée ? Et c'est quoi cet accoutrement de pouffiasse ?

Je soupire longuement alors que je referme la porte derrière moi.

Nicole emmène son morveux dans le salon tandis que mon père se tient devant moi, les poings serrés sur les hanches.

- C'est bon, je souffle.

- Non, ce n'est pas bon jeune fille ! Où étais-tu ?

- Chez une copine.

- Tu n'as pas de copine Laure ! Arrête de me prendre pour un con !

Je retiens mon souffle pour tenter de me calmer. Je ne le sens pas, ça va dégénérer.

- Mais qu'est-ce que t'en sais, m'énervé-je. Qu'est-ce que t'en sais si j'ai des copines ou non ? Tu ne sais rien de moi, tu ne sais rien de ce que j'aime ni de ce que je hais ! Tu ne t'es jamais intéressé à moi alors tu sais quoi ? Fous moi la paix.

Je passe à côté de lui en bousculant son bras et monte les marches qui mènent à ma chambre. Il me retient d'une poigne ferme et je sais déjà que demain j'aurais la trace rouge toujours marquée sur mon poignet. Il se rapproche dangereusement de moi, sa bouche presque contre mon oreille et grogne d'un ton froid :

- Tu veux faire ta petite maligne Laure ? Très bien, demain matin je te foutrais tellement sur la gueule que tu vas vite le regretter.

Je frissonne, il me relâche et pars rejoindre sa femme et leur fils, comme si de rien n'était alors que je suis toujours prostrée dans les escaliers. Je sais que je le provoque mais c'est plus fort que moi. Je ne le supporte pas, je n'ai jamais réussi à le faire. Dès que je le vois, je repense aux coups qu'il portait sans aucune gêne à ma mère. Et maintenant c'est sur moi qu'il se défoule. Il me déteste, je le hais. Quelle relation saine.

Je sors de mes pensées et monte m'enfermer dans ma chambre. C'est la seule pièce de la maison dans laquelle je peux être moi, être au calme, réfléchir mais surtout rêver d'un avenir meilleur.

Après avoir enlevé ma robe, j'enfile un pantalon de yoga noir, assorti à mon humeur et au débardeur que je porte.

Je prends mon carnet et commence à y noter des mots. Je les écris, les rature avant d'en écrire d'autre plus puissants. Ces mots qui font simplement partis de moi, de ce que je suis. De sombres pensées mêlées à la mélancolie que je ressens à cet instant, à la tristesse qui me hantera à vie même si j'essaye de paraitre sûre de moi et forte.

« Je ne peux m'empêcher de t'en vouloir. Je suis désolée, j'essaye tu sais. Mais la vie me semble beaucoup trop dure sans toi. Je ne crois pas que j'arriverais à aller loin. Les jours passent et se ressemblent. Je me sens seule, je suis seule maman. Depuis que tu n'es plus là. Je t'en veux pour ça, tu vois ? Parce que tu m'as obligée à revenir ici alors que tu savais comment il était avec moi. Je ne parviens pas à oublier les coups qu'il t'assénait ni tes cris de douleurs qui résonnaient dans la maison. Alors pourquoi tu ne m'as pas placée ? Tu es partie maintenant et je me retrouve pire qu'abandonnée, pire que seule. Je me retrouve détestée. Et même si je ne veux pas le montrer, je suis blessée. Je me hais. Je me hais, je le déteste lui et sa Nicole.

Je voudrais n'être jamais née. Pourquoi vivre dans ce monde si c'est pour souffrir ? »

C'est à l'encre de mes larmes que je finis cette note débile. Je l'arrache du cahier, la chiffonne avant de la lancer dans la poubelle au pied de mon lit. J'enfouis mon visage dans mon oreiller afin d'y cacher mes larmes, même si je sais pertinemment qu'il n'y a personne pour les voir.

******
Il est six heures du matin et je suis déjà levée, lavée et habillée. Sur la pointe des pieds, je descends l'escaliers, chaussures en main. Je préfère encore arriver trop tôt à l'école et me taper deux heures d'études que de croiser mon père.

Je ne respire vraiment que quand je suis dehors, sur le perron. Mon regard se dirige vers chez Matthew et je souris en voyant la lumière de sa chambre allumée. J'ai envie de le voir, qu'il me fasse un câlin pour effacer la déprime qui s'est installée en moi depuis hier soir. Mais je n'irais pas parce qu'il a examen et qu'il m'a dit être stressé.

J'ai reçu trois texto de sa part hier soir mais j'étais endormie. Je prends mon portable et me rends à l'arrêt de bus.

« Désolée, je me suis endormie. Tout s'est bien passé. Bonne merde pour ton exam ' bisous »

Je ne tiens pas à lui raconter pour mon père. Après tout, il ne saurait rien y faire et je n'ai pas envie qu'il ait pitié de moi. Je veux qu'il continue à me voir comme une fille sympa, un peu folle et non comme une gosse battue.

« Tu veux passer me donner un bisou de la chance ? »

Sa réponse me fait sourire et je tourne les talons pour finalement aller le rejoindre. Mon humeur change rien qu'à l'idée de le retrouver. J'ai le cœur qui s'emballe dans ma poitrine, mon ventre qui se contracte en imaginant son corps contre le mien, sa bouche sur mes lèvres... Je frappe doucement à la porte de chez lui en priant pour qu'il se grouille. La fenêtre de la cuisine de chez moi donne une jolie vue sur sa porte d'entrée et je n'ai pas du tout envie que Nicole me voie.

-Salut toi.

J'entre sans tarder dans la maison en poussant Matthew à l'intérieur. Il rit avant de me prendre dans ses bras et de presser sa bouche sur la mienne.

-Tu avais hâte de me voir Laure ?

Je promène mes yeux sans aucune honte sur son torse hâlé. Sa chemise est encore ouverte et me donne des idées pas très catholiques.

-Non, je mens. La fenêtre de ma cuisine donne sur ta porte et je n'ai pas envie que mon père ou sa femme me voient entrer ici.

-Alors ce baiser de la chance ?

Je lui souris niaisement en me hissant sur la pointe des pieds. Nos lèvres s'effleurent, je frémis. Nos bouches se rencontrent, je gémis. Ses deux mains chaudes caressent mes bras avant de se poser dans le bas de mon dos. Il m'attire contre lui, ne rompant pas notre baiser. Je m'enivre des sensations qu'il me donne. Je ne pense plus à ce qui ne va pas dans ma vie, mes pensées sont juste pour lui, à lui seul. Il est doux, même les mouvements de sa langue contre la mienne ressemblent à une caresse, à une douce valse. Je pose les paumes de mes mains sur son torse, caresse du bout des doigts sa peau satinée. Quand il s'écarte, je suis ailleurs, sur une autre planète. J'ai tellement envie de lui, de lui dire que c'est mal de trainer ensemble parce que je commence à être amoureuse de lui. Mais je ne dirais rien, de peur de le perdre lui aussi.

-J'espère avoir ce genre de baiser tous les matins avant mes exams, dit-il en me faisant un clin d'œil.

Je sens mes joues s'empourprer mais me reprends rapidement.

-On va voir s'il ne te porte pas malheur l'intello.

Il attache sa chemise alors que je le mate sans aucune discrétion.

- Je ne pense pas que tu vas me porter malheur bébé.

Bébé. Plus il le dit et plus j'aime ça. D'habitude, je trouve ça complètement nul comme surnom affectif mais dans sa bouche, ce simple mot prend tout un autre sens. Il m'échauffe, m'excite sérieusement même.

- Alors tu es prêt ?

Il s'installe sur le fauteuil derrière lui et met ses chaussures.

- Ouai mais hyper nerveux. Si je me loupe, c'est fini.

- Ben non, soupiré-je. Si tu rates, tu recommences.

Il relève la tête vers moi et hausse un sourcil.

- Je refuse de rater cette année Laure. J'ai donné tout ce que j'avais, fait tout ce que j'ai pu. Alors non, je ne me permettrais pas de rater quoique ce soit.

- Je comprends, finis-je par dire même s'il faut avouer que je ne comprends pas tellement son point de vue. Bien entendu que chaque étudiant veut réussir, mais de là à en faire une obsession, cela me parait dingue.

- Tu veux que je t'amène en cours ? on déjeune puis on y va ?

Sa question me surprend. Je ne m'attendais pas du tout à sa proposition.

- Euh... Tu ne préfères pas que je te laisse étudier une dernière fois ?

-Non. J'ai envie que tu sois là.

A ce moment-là, je souris bêtement mais dans mon fort intérieur, c'est la java ! Bordel, il veut que je sois là !

Il se lève et je prends la main qu'il me tend avant de le suivre dans la cuisine.

Comme je m'y attendais, la cuisine de cette baraque est grandiose. Un vaste plan de travail centrale, des placards sur tout le mur du fond. Bref, une cuisine qui donne envie d'y faire à manger.

- J'ai des croissants au congel' ça te dit ?

-Bien sûr, je réponds en m'installant sur un des quatre tabourets. Il sort un sachet du congélateur et allumes le four. Ensuite, il secoue la cafetière pleine de café dans ma direction. Je hoche la tête et il en sert deux tasses.

-Je peux te poser une question ? demandé-je en prenant la tasse.

-Oui, ce que tu veux.

-Ta règle... De ne pas s'aimer, pourquoi ?

Il se retourne vivement vers moi, son sourire a disparu et est remplacé par un air paniqué.

-Laure ne me dit pas que...

-Non, bien sûr que non, je pouffe. Je ne t'aime pas je te rassure direct. C'est une simple curiosité.

Il prend une longue inspiration en se massant les tempes. Je crois que j'aurais dû la fermer au lieu de lui foutre un mal de tête.

-Okay, finit-il pas dire en venant s'asseoir face à moi. Ses yeux sombres se fixent aux miens et je cesse de respirer, appréhendant sa réponse.

-Je ne veux pas de copine, pas de sentiments, pas de distractions inutiles dans ma vie. Je me lève pour mon avenir, pour ce que je suis certain d'exister. Quand je vois des potes s'accrocher à des nanas et qui bousillent une partie d'eux-mêmes dans une histoire d'amour, ça me désole. Alors non, je ne veux pas vivre ça. L'amour ne m'a jamais fait rêver, n'a jamais été un leitmotiv pour moi. Je n'ai pas besoin d'une meuf pour m'attendre, pour m'emmerder à du « quand on pourrait se voir ». Je ne veux pas de ça pour moi.

J'acquiesce même si j'ai la gorge nouée. Ces mots sont comme un coup de poignard qu'il m'envoie en pleine tronche. Mais je vais les assumer comme une sans cœur parce que c'est de ma faute s'il les a prononcés.

-Waouh. En effet, tu as de bonnes raisons.

Je mens. J'espère que je mens bien au moins. J'ai envie de lui donner ma version mais je me ravise. Je n'ai pas envie de débattre avec lui sur les besoins d'amour des êtres humains.

-Je veux juste te dire encore une chose, ajoute-t'-il plus doucement en attrapant ma main sur le comptoir. Si jamais tu viendrais à ressentir quoique soit pour moi autre que de l'amitié, je stoppe tout. La liste, te voir, tout. Je veux que tu sois honnête avec moi Laure, d'accord ?

Mon cœur se serre un peu plus dans ma poitrine. Si j'étais honnête comme il le souhaite, je lui dirais que c'est déjà trop tard, que je l'aime. Mais mon seul mécanisme de défense est de rire.

-Je te jure que ça peut mal d'arriver, je pouffe.

Il me fait un sourire à couper le souffle, franc.

-C'est parfait alors.

Il se lève et ouvre la porte du four avant d'y enfourner les croissants. Mon humeur retombe au plus bas, je n'aurais pas dû venir. Il ne m'aimera jamais, même pas un peu. Il n'aime pas l'amour, n'en veut pas alors que moi... Je n'ai que ça à lui offrir.

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