19
Le micro descend sur la scène et je saute comme une gamine de cinq ans. Je retiens mon souffle quand la salle est plongée dans le noir. Je ne peux pas détacher mon regard de la scène. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine et je me tiens les mains en attendant que la voix de Tyler résonne dans les baffles. Quand celui-ci commence à entonner doucement Screen tout en jouant du piano, je ferme les yeux en souriant de toutes mes dents. Sa voix me fout la chair de poule tant j'aime ce timbre si particulier. Quand Josh commence à jouer de son instrument, je lève les bras en même temps que la foule et crie avant de chanter.
Mon regard croise celui de Matthew qui sourit en me regardant. Il a l'air si heureux à cet instant que je regrette de ne plus avoir de batterie sur mon téléphone sinon je l'aurais mitraillé. Le spectacle est dingue, j'adore les jeux de lumières sur la scène qui me rendent hystérique. Je n'ai jamais été aussi heureuse qu'en ce moment et je ne remercierais jamais assez Matthew de m'avoir emmenée ici.
Quand Lane boy retentit dans la salle, je saute de joie parce que le groupe joue avec son public. J'ai dû regarder la vidéo des milliers de fois en rêvant moi aussi participer à cet échange. Matthew me prend la main et comme certains couples de la salle, nous dansons en riant. Il me fait virevolter dans tous les sens et j'éclate de rire quand il imite le robot. Il est aussi dingue que moi en fait ! J'adore le voir s'amuser alors que ce n'est pas du tout son style de musique. Il m'attire contre lui pour m'embrasser. Nos lèvres s'étirent dans un sourire, s'effleurent avec amour avant que je le repousse en riant. Je prends sa main et le tire vers le bas pour qu'il s'accroupisse à côté de moi.
-Qu'est-ce qu'on fout ? crie-t'-il.
-Quand la musique reprend plus fort, tu sautes !
Je glousse en voyant sa tête dubitative. Tout le public est en attente, prêt à sauter d'un moment à l'autre. Quand la musique reprend, que Tyler hurle dans son micro, nous sautons tous en même temps en criant. C'est vraiment génial ! Matthew rit, me prend dans ses bras et je l'embrasse, mes mains posées de part et d'autre son visage. Je suis folle de lui, je l'aime plus que tout.
*****
Nous sommes dans le train pour retourner chez nous. Alors que je suis encore sur un nuage, que les images du concert défilent sans cesse dans ma tête, Matthew quant à lui semble ailleurs. Il fixe les paysages par la vitre et depuis que nous sommes montés, il n'a pas pipé mot.
L'accompagnatrice de train vient nous demander nos titres de transport. Je peux lire sur sa petite carte qu'elle s'appelle Noémie. Une jolie femme aux cheveux de geais et au teint porcelaine. Je suis soulagée quand je remarque qu'elle ne prête pas plus attention que ça à Matthew.
-Twenty One Pilots ? me sourit-elle en me montrant ses yeux. Je pouffe de rire parce que j'avais carrément oublié le fard à paupières.
-Oui, je réponds, vous aimez ?
Elle pince ses lèvres pour s'efforcer à ne pas rire mais secoue légèrement la tête par la négative.
-Sans vouloir vous offenser, non pas du tout.
-Mais faut reconnaître que le batteur se débrouille hyper bien !
-Mais comparé au métal... Enfin...
Elle parait gênée et je ris avec elle.
Quand elle pointé nos tickets, elle repart et je regarde Matthew qui n'a pas esquissé un seul sourire depuis qu'on est sortis de la salle de concert. J'ai du mal à comprendre ce soudain changement d'humeur alors qu'il semblait avoir passé un bon moment.
-Bon l'intello tu vas me dire ce que tu as ?
Il se tourne enfin vers moi et son regard triste me déstabilise. Je croise les bras pour me donner une contenance de femme forte alors que j'ai envie de le prendre dans mes bras.
Il souffle et appuie ses coudes sur la petite tablette entre nous.
-Je... Ecoutes moi jusqu'au bout et essayes de ne pas m'interrompre s'il te plait.
Je hoche la tête et me renfonce dans mon siège. Il est beaucoup trop sérieux et j'avoue que d'avoir des discussions comme celles-ci me stressent.
-Après le week-end qu'on vient de vivre... Enfin on était que tous les deux et on était bien, là au bord de l'eau avec personne d'autre...
-Viens en au fait.
Il hausse un sourcil mais je m'en fiche. J'ai peur de ce qu'il est en train de me dire.
-Je vais te faire souffrir Laure. Même si tu assures que ce n'est pas important, de le savoir ça me déchire. Plus on passe de temps ensemble et plus on s'aime. On se détruit en étant ensemble...
Mes poings se serrent, mes ongles se plantent dans mes paumes tandis que mes cils se bordent de larmes.
-Il faut qu'on arrête avant d'aller trop loin, on va se faire trop de mal.
Je prends la seule chose que j'ai sous la main, une bouteille d'eau et lui balance au visage. Il esquive alors que je me lève.
-Laure...
-Fermes ta gueule. Tais-toi.
Il se lève à son tour me barrant le passage.
- Putain mais tu crois que c'est facile pour moi ?
Je le toise méchamment.
-Mais oui ! Parce que toi tu vas avoir une femme Matthew ! Une connasse de femme et des gosses et un putain de métier alors que moi je crèverais seule !
-Laure...
Il tend son bras mais je le pousse, mon sac au bras. Je reviens sur mes pas et lui dit ce que j'ai sur le cœur. Qu'il souffre lui aussi, j'en ai rien à cirer.
-Tu sais quoi ? Tout ça c'est de ta faute ! Parce que tu n'as pas assez de couilles pour dire la vérité à tes parents ! Tu préfères t'enfermer dans un quotidien et un avenir qui ne te plait pas de peur de gonfler ta mère. Coupe le cordon ou pars à New-York ! Fais ta petite vie de merde Matthew mais tu regretteras de ne pas avoir vécu pour toi.
Je me redresse sans lui jeter un regard et sors du wagon pour aller me mettre à l'autre bout du train.
Ne pleure pas. Ne pleure pas. Ne pleure pas.
Mais le mantra que je répète ne fait rien puisque quand je m'assieds, je fonds en larmes.
*****
Nous arrivons à la gare et je me dépêche de sortir du train. J'ai chialé tout le reste du trajet et de le savoir si proche mais si loin en même temps a été une réelle torture. Je le hais. Comment peut-il m'offrir un week-end de rêve pour ensuite me larguer comme une sale merde. Parce que je suis une sale merde.
Je m'engouffre dans les toilettes de la gare, prête à patienter plusieurs heures pour être certaine de ne pas le voir. J'efface les traces de maquillage de mon visage, mes larmes ne se tarissent pas et j'en ai marre. Marre de pleurer, de souffrir, de donner mon amour aux autres pour qu'on me le rejette en pleine poire. Je jette la boule de papier toilette dans la poubelle et m'arrose le visage d'eau fraîche. Je veux noyer mes larmes, qu'elles ne soient visibles pour personne. Je sursaute quand je me relève et que l'accompagnatrice, Noémie il me semble, se trouve derrière moi.
-Ca va ?
-Euh... Oui. Du savon dans l'œil.
Elle esquisse un sourire discret mais je comprends vite qu'elle n'est pas dupe.
-Un Starbucks ça vous dit ? me demande-t'-elle. Je reprends le service dans une heure.
Elle regarde sa montre orange et j'acquiesce. Je ne connais pas du tout cette femme mais elle m'a l'air sympa et... Je ne sais même pas où je vais loger cette nuit de toute façon.
-Okay, je vais aux petits coins puis je viens.
Son sourire me fait le plus grand bien. Au moins quelqu'un qui ne laisse pas comme une merde sur un bois.
Je sors des toilettes et attends dehors, gênée qu'une inconnue prenne pitié de moi. Et puis, je n'ai même pas de quoi payer un café... Quelle honte. Je ramasse ma valise et cours à travers la gare pour fuir, encore.
*****
La ville est plongée dans le noir complet de la nuit et la seule luminosité est due aux lampadaires. Je traverse les rues, me forçant à ne pas paraître pour une fille désespérée. J'en veux tellement à Matthew. Pas d'être à la rue, non... Mais de m'avoir abandonnée. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour avoir une vie pareille... J'ai beau réfléchir mais je ne trouve rien. Je ne comprends pas pourquoi il me quitte maintenant alors que ses vacances vont seulement commencer maintenant. Souffrir maintenant ou dans deux mois, c'est absolument la même chose. Gros con. J'aurais dû crever sous cette bagnole, ne jamais me réveiller, ne jamais le croiser. J'étais malheureuse avant mais cela me semble encore pire maintenant. Je me déteste de l'aimer. Putain que ça fait mal d'être rejetée par la seule personne qu'on aime. Je voudrais me laisser tomber au sol et hurler ma peine. Crier au monde entier que l'amour c'est nul, que les mecs sont tous des ordures. Mais à la place, je retiens mes larmes et marche jusqu'au seul endroit que je connaisse.
Je monte les deux petites marches du porche et frappe à la porte et attends, les mains jointes sur le ventre.
-Qu'est-ce que tu fous ici ?
-Je suis désolée papa... Je retiens mon souffle quand il me regarde des ses yeux gris. Il va m'en coller une je le sens mais je décide de me la prendre en ne bougeant pas. Le coup atterrit sur ma joue avec une telle force que je vacille. La brûlure est immédiate et un sanglot m'échappe. Je sursaute quand il referme la porte violemment, me laissant dehors.
Ne pleure pas. Ne pleure pas. Ne pleure pas. Je reprends mon sac et le tire sur le trottoir, refusant de regarder vers chez lui. Je ne veux pas le voir, ni penser à tout ce que j'ai vécu dans cette baraque avec lui.
Je marche depuis plusieurs heures et je commence à être épuisée en arrivant dans le parc. Je me laisse glisser contre le tronc du vieux saule pleureur et ramène mes jambes contre ma poitrine. Je grelote mais je m'en tape. Je n'ai qu'à crever de froid. Ils seront tous tellement tranquilles sans moi pour empoisonner leur existence. La seule sur laquelle je pouvais compter est partie de ce monde et elle me manque. Elle m'aurait dit que Matthew n'est qu'un con. Elle l'aurait insulté de tous les noms avant d'aller le trouver. Je souris en imaginant ma mère. Putain elle me manque... Pourquoi elle ? Pourquoi m'a-t-on pris ma maman ? Je pleure en silence sur mes genoux, je ne veux pas que quiconque me voit... Je veux être seule. Je veux que Matthew sorte de ma tête, qu'il se casse de mon cœur, qu'il se barre à New-York. Je veux l'oublier... Ne plus rien ressentir... Je veux crever.
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