*Chapitre 7 : Cassandre*

Après plusieurs minutes d'explications, cette femme sort enfin de la chambre pour me laisser seule. Un long silence s'installe alors. Mes yeux se tournent vers mon sac à dos sur le lit double. Elle a rendu mes effets personnels, faisant comprendre qu'elle avait fouillé dedans pour connaître toutes informations sur moi. C'est de cette façon qu'elle a su pour mon nom, mes hobbies, mes rêves. Je me tourne vers mon carnet, posé sur le bureau près d'un sac en papier recyclé. Je le prends, feuillette les pages remplies de noir jusqu'à un peu plus de sa moitié. Je tombe sur un dessin de ses yeux bleus. Ils ont eu accès aussi à mes rêves. Je ne peux rien leur cacher de mon passé. Pas même mes pensées, ces rêves à propos de toi. A partir de maintenant, je cacherai tout. Je n'écrirai plus, même si ça me déplaît, même si j'oublie les rêves le lendemain. Ils redeviendront éphémères. Je range le carnet dans un tiroir juste en dessous. Mon pauvre, tu vas prendre la poussière à cause de ces commères. Quelle tristesse. Je fouille ensuite le sachet. Elle m'avait dit que c'était un petit panier repas, puisque les horaires de la cantine avaient été dépassés. L'intention est bonne, mais après tout ce qu'il s'est passé je n'ai plus beaucoup d'appétit. Il y a un morceau de pain, des chips, une compote, une salade froide, de l'eau en bouteille, des couverts en plastique et une serviette en papier. Je les mangerai plus tard. Je me retourne vers mon sac pour vérifier si quelque chose manque. Après quelques secondes, je comprends que mon téléphone a disparu. Pas étonnant. Qu'est-ce qu'il avait déjà dit ? Que la formation était confidentielle ? Très bonne excuse pour confisquer un téléphone et essayer de le faire craquer. Espérons qu'ils n'y arriveront pas.

Je passe dans la salle de bain. Elle est assez petite mais largement suffisante pour une personne avec une douche, un lavabo, des rangements et des toilettes. Sur le lavabo se trouve une tenue blanche. Elle m'avait indiqué que tous les vêtements dont j'aurais besoin seraient à ma disposition. Ils me doivent bien ça après l'enlèvement. Je me déshabille pour rentrer dans la douche. Bon, dans quel sens dois-je tourner ce truc pour ne pas tomber en hypothermie ?

* * *

Après une bonne dizaine de minutes je sors et trouve rapidement une serviette dans un rangement en dessous du lavabo pour me sécher. Je m'habille et sors de la salle de bain. Cette fois-ci, j'ai faim. Alors que je commence à manger la compote —pourquoi ne pas commencer par le dessert ?— mais j'entends quelqu'un taper à la porte. Est-ce que la femme est revenue ? J'ouvre et je tombe nez à nez avec elle. Comment... Qui lui a dit que j'étais dans cette chambre ? Je réfléchis pendant qu'on reste plantées là à se regarder dans le blanc des yeux. La femme ? Le directeur ? Ce sont les seuls à savoir où je suis.

« Salut...

Sa voix me sort de mes pensées. Elle est complètement cassée.

— Oui, euh salut. Il y a un-

— Je suis désolée.

Puis larmoyante. Sa respiration est saccadée. Elle serre sa poitrine de ses mains, comme si elle s'étouffait. Je me rapproche d'elle par réflexe pour l'aider. Certains de mes amis avaient le même genre de problème. Des crises d'angoisse ou d'asthme.

— Je suis désolée. Désolée, désolée...

Elle continue de répéter le même mot, en larmes. Je pose timidement mes mains sur ses épaules qui sursautent. Même si je me sens proche d'elle, nous ne nous connaissons pas. Je pourrais être trop près physiquement pour elle. Elle se rapproche elle aussi pour finir dans mes bras. Qu'est-ce qu'il se passe bon sang ? Je lui caresse le dos doucement pour tenter de la calmer.

— Allons s'asseoir pour en discuter, d'accord ?

La première chose à faire est de se poser. Ensuite de parler de ce qu'il ne va pas. Puis terminer par la recherche d'une solution. Les meilleurs remèdes à la panique, c'est un calme et la recherche d'une solution rationnelle. Nous nous installons sur le lit. Je cherche mon paquet de mouchoirs et le trouve dans mon sac. Je lui donne et elle se mouche pendant quelques instants. Je repasse ma main dans son dos pour la calmer. Ces larmes se tarissent et elle semble reprendre lentement le contrôle d'elle-même.

— Pourquoi es-tu désolée ? Est-ce que tu veux en parler ? Je lui demande.

— C'est ma faute. Tout ça est de ma faute.

Elle me montre la chambre et me pointe du doigt.

— C'est ma faute si tu es là. Tu n'aurais jamais dû venir ici. Enfin, ils n'auraient jamais dû te ramener ici. Je les ai menés jusqu'à toi.

— Comment ça ?

Elle soupire pour continuer :

— J'ai rêvé de toi. Ça leur a suffit.

— Attends... Tu vas me dire qu'ils peuvent voir tes rêves ?

— Je sais. Moi aussi j'ai eu du mal quand ils m'ont montré comment ils s'y prenaient. Les scientifiques ont utilisé une nouvelle technologie. Je ne sais pas à quoi elle ressemble, mais elle permet de voir les images que le cerveau crée. Ils l'avaient essayé sur moi pendant mon sommeil, cette nuit. Et j'ai rêvé. De toi.

— C'est... dingue. Enfin, je veux dire "dingue" mais dans le mauvais sens du terme. C'est fou, un truc de détraqué. Qui aimerait qu'on observe ses pensées ?

— Je pense la même chose. J'ai tout de suite refusé qu'ils le refassent. Ils ont accepté, mais le mal était déjà fait. Le directeur avait vu que tu n'étais pas comme les autres dans mon rêve. Que tu étais... une actrice, plutôt qu'une figurante. Après avoir vu ton visage, les alentours, ils n'ont pas eu de mal à te repérer et te trouver.

— Je suppose que c'est grâce au lycée. Je ne poste rien sur les réseaux, encore moins mon visage.

— La chose qui me sidère le plus c'est que le directeur t'as tout de suite remarquée. C'était vraiment... étrange.

— J'ai aussi rêvé de toi cette nuit. Ce rêve avec les hommes qui me poursuivaient... Donc ça signifierait qu'on ait fait le même rêve mais d'un point de vue différent... Comment est-ce possible ?... Ce qui est sûr, c'est que je ne dois jamais approcher de cette machine ou une autre technologie dans le genre.

— Oui. Surtout qu'ils ont l'air très intéressés par nos rêves.

J'acquiesce et un blanc s'installe entre nous. Aucun bruit ne nous dérange et l'ambiance devient même pesante. J'essaye de la casser :

— Tu n'as pas à être désolée. On ne contrôle pas ses rêves. Surtout que ce sont ces scientifiques qui se sont introduits dans ta tête sans ton accord.

— C'est vrai. Merci. Je ne sais pas pourquoi j'ai paniqué, ça ne me ressemble pas.

Je pose ma main sur la sienne pour la rassurer :

— Ne t'en fais pas, ça arrive à tout le monde. Nous ne sommes pas invulnérables. Personne ne l'est.

Quand je prononce ces mots, la chambre disparaît pour laisser place à cette étendue d'eau où nous nous sommes déjà vues. Alors que nous étions assises, nous nous retrouvons debout. Je lui tiens la main. Lorsque nous le remarquons, nos regards se croisent. Je la retire pour me tourner de gêne. L'eau remue un peu au mouvement de mes pas.

— Ce n'est pas grave me dit-elle, dans un froissement de vêtements alors qu'elle se tourne de l'autre côté. Je la regarde du coin de l'œil alors qu'elle observe l'horizon.

Nos pyjamas blancs tranchent avec l'obscurité qui se dégage de l'endroit. Ses cheveux blonds et l'eau reflètent légèrement la clarté de la Lune et des quelques étoiles présentes. Elle se retourne vers moi et demande :

— Quel est cet endroit ? Je le trouve si... apaisant.

Ses yeux me regardent. Depuis que je la vois dans mes rêves, ils ont toujours eu quelque chose de particulier, de spécial. Un éclat, une étincelle. Comme s'ils lisaient à travers les âmes. Je me tourne pour contempler le ciel.

— Je n'en sais trop rien. J'en rêve souvent. Il ressemble un peu à un monde intérieur.

Elle suit mon regard pour l'arrêter sur la Lune.

— Je l'aime beaucoup. Me dit-elle.

Elle s'assoit en tailleur, créant de nouvelles ondes autour de nous. Je l'imite, perplexe. L'eau ne mouille pas nos vêtements. Seuls les mouvements semblent l'atteindre. Elle pose ses mains sur ses genoux pour continuer d'observer l'horizon, où les ondes se dissipent vers l'infini. Je suis son regard à mon tour. Elle baille et pose doucement sa tête sur la mienne. Je cale la mienne un peu plus bas, sur son épaule. Tout est naturel. Comme si nous avions toujours été ainsi. Elle continue :

— Je suis quand même désolée pour ce qu'il s'est passé cet après-midi. Je n'ai pas bougé d'un pouce.

— Tu n'as pas à demander pardon. Tu ne connaissais pas leurs intentions.

— Oui mais-

— Il n'y a pas de "mais". De toute façon, on ne peut pas changer le passé. Je comprends ce que tu ressens. Je ne t'en veux pas, tu n'y pouvais rien. J'ai réussi à m'arranger avec le directeur pour rester ici quelques jours et tester l'enseignement. Si ça ne me plaît pas, je retournerai chez moi.

Ma voix se casse lorsque je prononce les derniers mots. Comment je peux dire ça alors qu'elle se sent coupable ? Je baisse le regard pour fixer les ondes à mes pieds. Je retrouve un semblant de voix pour la rassurer :

— Je suis ici maintenant. Vivons au jour le jour »

Je ferme les yeux. Le bruit de l'eau m'apaise et je m'endors sans même m'en rendre compte.

* * *

Un réveil strident me sort de mon sommeil. Il se trouve à ma droite, sur la table de nuit et indique qu'il est sept heures de sa lumière verte. Quand je cherche à l'éteindre, je remarque que la partie gauche de mon corps est bloquée. Je me tourne, pour me retrouver à quelques centimètres du visage d'Alice. Il est dirigé vers moi, dans le désordre de ses cheveux. Un rayon de soleil passe à travers la fenêtre. Comment avons-nous réussi à nous endormir dans cette position ? Le dernier souvenir de notre soirée nous étions sur le miroir d'eau. Elle remue et marmonne dans son sommeil. C'est vrai je n'ai pas encore éteint ce stupide réveil. J'y arrive après plusieurs secondes d'efforts silencieux pour ne pas la gêner. Au même moment, je sens une main me donner une claque sur le visage.

« Aïe !

— Oh pardon- QUOI !

En l'espace d'un instant je vois le visage d'Alice passer d'un état d'endormissement, au choc, et à la gêne. Elle est debout de l'autre côté du lit, près de la fenêtre et la couette est par terre. Il est sept heures du matin, j'ai froid et je viens de faire peur à la fille de mes rêves. La journée commence bien.

— Qu'est-ce que-

— Bonjour. Je lui dis, ironique.

— Oui, bonjour. Répète-t-elle ironiquement, avant une courte pause, gênée. Qu'est-ce qu'on faisait dans le même lit ?...

— On dormait je suppose. Je ne me suis pas vue tomber de fatigue.

— Oh. Je m'en rappelle maintenant. Nous étions dans cet endroit, avec les étoiles.

Je réponds par l'affirmative et me lève, pour me diriger vers la salle de bain. J'ai besoin de me rafraîchir le visage avant de faire quoi que ce soit d'autre. Alice, elle, regarde à travers la fenêtre. L'aube pointe le bout de son nez. Elle l'ouvre et le piaillement des oiseaux nous parvient. C'est comme si la nature nous souhaitait la bienvenue. Je n'entends pas de pots d'échappements, pas de klaxon. Simplement les oiseaux et le bruissement des feuilles dans le vent. Je me lave le visage et quand je reviens dans la chambre, Alice n'a pas bougé. Elle semble fixer quelque chose. Je m'essuie le visage et lui demande :

— Qu'est-ce que tu regardes ?

— Il y a des corbeaux.

Je m'approche pour me retrouver à sa droite. Je vois en effet deux corbeaux dans l'herbe, à une cinquantaine de mètres. Ils s'envolent dans une série de croassement après quelques secondes pour en rejoindre une bonne dizaine dans un arbre plus loin. Je m'éloigne pour fouiller dans les tiroirs de la chambre. Où cette femme a-t-elle mis les vêtements dont elle m'avait parlé ? Alice finit par bouger pour s'approcher de la porte.

— Je vais me changer. On se revoit tout à l'heure ?

Je ne relève pas la tête et acquiesce d'un marmonnement. Après qu'elle ait fermé la porte, j'entends celle d'à côté se refermer aussi. Elle est donc ma voisine d'internat ? Je suppose que c'est une bonne chose à savoir. Je trouve les vêtements que je cherchais dans un tiroir. Je ne l'avais pas demandé à Alice, mais ils ont vraiment un uniforme, du coup. Trois chemises noires et deux pantalons blancs pliés sont disposés sur toute la largeur. Dans celui du dessous, je trouve deux jupes et deux blazers blancs. Sur ces derniers est brodé le symbole de l'organisation, fait des cercles de couleurs du spectre lumineux. Dans le tiroir du bas sont rangés une bonne dizaine de sous-vêtements et de chaussettes. J'opte pour prendre le pantalon plutôt que la jupe et je m'habille. J'espère qu'il n'y a pas de réglementation stricte à propos des vêtements... Lorsque j'attrape l'une des vestes, quelque chose tombe au sol. Ca ressemble à une cravate noire. Je la prends et me rends dans la salle de bain. Je tente de la nouer, mais un problème se présente rapidement : je n'ai jamais noué de cravate de ma vie. Par réflexe, je cherche mon téléphone pour faire une recherche sur internet, mais je ne trouve rien dans mes poches. Je soupire. Je la pose sur mon lit pour vérifier mes affaires. Ils n'ont rien retiré au niveau de mes pochettes et de mon trieur. Je comprends vite que les cours que j'avais ne seront peut-être pas utiles ici et sors tout de mon sac pour ne laisser qu'une pochette de feuilles et ma trousse. Cet endroit est un nouveau départ, mon passé n'a certainement pas sa place.

Lorsque je suis prête, je sors de la chambre pour toquer à celle d'à côté. J'espère vraiment qu'Alice est ici. Tomber sur une inconnue serait gênant. J'entends un "J'arrive !" lointain, dont je reconnais la voix de la blonde. Ouf ! Je ne me suis pas trompée. Plusieurs minutes plus tard, elle m'ouvre enfin.

— Un problème ?

Ses cheveux sont encore mouillés et elle n'a pas mis son blazer. Elle a choisi la jupe plutôt que le pantalon.

— Oh non, je voulais simplement savoir si tu avais fini de te préparer.

— Je me dépêche, laisse moi un peu de temps.

J'acquiesce et nous rentrons dans sa chambre. Elle ne m'a pas demandé le pourquoi du comment je connaissais sa chambre. Pendant qu'elle termine de sécher ses cheveux grâce à une serviette, j'observe l'intérieur de la pièce. Elle est très similaire à la mienne, mais beaucoup plus décorée de feuilles ressemblant à des aide-mémoires, notes ou polycopiés de cours. Après un coup de brosse dans sa chevelure, elle met ses chaussures et sa veste. Elle s'approche de moi mais s'arrête.

— Tu n'as pas mis ta cravate ?

—Non, c'est grave ?

— Elle fait partie de l'uniforme...

— Ah.

— Aller, va la mettre. Je t'attends ici.

— Euh...

Elle me regarde avec interrogation. Je lui réponds avec gêne :

— Je n'ai jamais mis de cravate...

— Oh.

Un sourire doux se dessine sur son visage. Elle continue :

— Va me chercher cette cravate.

Je m'exécute sans dire un mot et quand je reviens avec, elle me le prend des mains.

— Viens là.

Je m'approche, méfiante. Elle veut nouer ma cravate ? Ah. Oui.

Elle passe le tissu sous mes cheveux et m'entoure le cou avec. Pendant la minute où elle noue la cravate, son visage est à quelques centimètres du mien. Je baisse les yeux pour ne pas le fixer et j'observe plutôt ses mains. Ses doigts sont longs mais forts. Ses veines transparaissent discrètement sous sa peau jusqu'à ses poignets. Quand elle termine et s'écarte, elle me regarde avec un nouveau sourire.

— Et voilà ! Je t'apprendrai ce soir à la nouer si tu veux. On peut y aller maintenant. »

Je lui souris en retour et nous marchons le long du couloir pour quitter le bâtiment et arriver au self. Lorsque nous y entrons, la moitié des tables sont prises. Tous les regards sont tournés vers nous.

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