*Chapitre 5 : Cassandre*

Je sens une sueur froide couler le long de mon dos. Ai-je dit quelque chose de mal ? Je me repasse à l'esprit tout ce que j'ai pu dire tout à l'heure dans la colère des évènements. Il se lève calmement et se dirige vers nous pour serrer la main de ma guide. Il la remercie, me regarde et se rassoit pour m'indiquer de l'imiter sur le siège devant lui. Son employée reste près de la porte. Il n'a pas l'air énervé contre moi. Au contraire. Il me fixe avec un regard curieux. Nous nous installons et il s'exprime.

« Je suis sincèrement désolé pour ces... désagréments avec mes hommes. Ils avaient pour mission de discuter avec toi et de te proposer des... offres pour notre agence. Je suppose qu'ils sont encore trop habitués au travail sur le terrain.

Quel culot.

— Je suppose qu'ils ne voulaient pas me kidnapper, au départ. Mais plusieurs hommes en costard devant un lycée public n'est pas forcément la meilleure solution pour des... "Offres".

Des "offres" ? Il ne veut pas se l'avouer, mais son opération "enlèvement" a faillit rater. Si seulement j'avais été plus rapide et plus réactive... Il veut tenter de se rattraper aux branches maintenant.

— Oui, c'est vrai qu'ils n'ont pas été très délicats. Notre entreprise est assez portée sur les forces militaires et certains de nos membres peuvent être violents. Mais je leur rappellerais que nos règles interdisent tout acte de violence envers les civils. Mais nous ne sommes pas ici pour parler de mes hommes, mais plutôt de toi.

Je cache un nouveau frisson. Ils ne le savent pas. Ils ne peuvent pas savoir. Je ne l'ai dit à personne pour les rêves. Et puis ce ne sont que des rêves. Pourquoi cette entreprise s'intéresserait-elle à moi ? Je n'ai même pas terminé le lycée. Les entreprises recrutent souvent après les résultats et la réception d'un diplôme de fin d'année, pas en plein milieu d'un cursus. Et la All for One Company est si prestigieuse... Je n'ai jamais eu de résultats catastrophiques, mais je ne suis pas non plus excellente. Est-ce qu'ils miseraient tout sur mon "don" ? Si ça ce trouve je n'en ai même pas.

—Vois-tu, nous savons que tu possèdes... comment dire... des capacités très intéressantes. Tu es capable de beaucoup. Nous pourrions t'aider à les "améliorer" si je puis dire.

— Comment ça, des "capacités très intéressantes" ?

— Ne fais pas l'innocente. Tu vois Alice n'est-ce pas ?

— Alice.

Mon expression le fait tiquer. Il a compris que je savais, et qu'il venait de donner une information intéressante. Je n'ai pas fait assez attention. Merde. Il connaît mon point faible. Mais c'est son nom. Alice. Alice, toi que je vois dans mes rêves, qui es-tu ?

— Je vois que j'ai touché un point sensible. Souhaites-tu en connaître plus sur elle ?

Non. Non non non non. Ne craque pas. Il sait et je sais. Il veut m'attirer à lui. J'ai été enlevée, je ne dois pas craquer. Alice n'est personne, ce n'est qu'une fille dans mes rêves, ce. n'est. qu'une. fille. dans. mes. rêves. Rien de plus. Elle. N'est. Pas. Réelle.

— Elle est comme toi, mais n'a pas eu la même chance—

— Je m'en fiche. Nous n'étions pas ici pour parler de moi au départ ?

Il le fait exprès. Je sens ses griffes au-dessus de ma tête. Il veut m'appâter avec cette mystérieuse fille. Pourtant ça me fend le cœur. Son regard était si... désespéré quand je l'ai croisée avant d'être poursuivie. Elle a besoin d'aide.

— C'est vrai, je m'égare. Je te propose donc de véritables offres, contrairement à mes hommes. Après, à toi de les accepter ou non. Je te laisserai du temps bien entendu. Si tu restes ici, tu pourras suivre une formation complète et nous garderons un emploi stable pour ton futur après le lycée. Je fronce les sourcils. Une éducation gratuite ?

— Mais ?

Il y avait toujours un "mais".

— Mais tu ne pourras pas rentrer chez toi avant longtemps. Nous avons un internat et un complexe universitaire complet pour les étudiants, mais le règlement intérieur leur interdit d'en sortir.

— Et pourquoi ?

— Parce que ton cursus consistera en un entraînement militaire et d'espionnage très complexe. Tu comprendras donc que nous ne voulons pas qu'il soit divulgué.

Un entraînement militaire ? De l'espionnage ? Que fait cette entreprise au juste ? Dans quoi baignent-ils ? Moi, travailler pour ces gens ? Dans quoi je m'engagerais encore...

— Je ne vous ai jamais dit que j'acceptais.

— Je comprends. Pourquoi ne pas faire un tour pour visiter et réfléchir ? Natalie, Pouvez-vous accompagner notre chère Cassandre à l'internat ?

Il se lève, ce qui me force à l'imiter puis me sert la main d'une poigne dure, préventive. Sa subordonnée se remet à se mouvoir, comme une marionnette que l'on manipulerait et ouvre la porte sans un bruit. Je sors à sa suite alors qu'elle la referme et me guide de nouveau, cette fois-ci vers l'extérieur.

Nous traversons de nombreux jardins et allées. Le bruit des pas sur le gravier marque seulement notre promenade glaciale et silencieuse pendant que le soleil frappe de plein fouet. Nous croisons plusieurs employés ou jardiniers, même quelques adolescents en plein footing. Lorsque nous passons près de l'un d'entre eux, elle casse le silence :

— Le terme d'entraînement peut te sembler assez flou. Il dépend généralement des capacités et des facilités de nos recrues. Chacun se décide à faire ce qui lui semble le plus appréciable. Le directeur accepte généralement toutes les demandes lorsque les élèves sont sérieux, déterminés et disciplinés.

— Et si je refuse vos offres, je retournerai chez moi ?

Elle soupire pour marquer une courte pause avant de continuer.

— Je ne préfère pas te dire ce qu'il se passerait. Tu n'aimerais pas savoir.

— Comment voulez-vous que je décide si vous ne me dites pas la vérité ?

Elle soupire, las, et marque un instant avant de continuer.

— Dans le meilleur des cas, on te supprimera la mémoire et tu rentreras chez toi comme si tu ne nous avais jamais rencontrés. Et au pire des cas... Je suppose que je n'ai pas besoin de faire de dessin.

Cette froideur. Qu'est-ce que je peux répondre ? Peut-être que perdre une partie de ma mémoire serait une bonne idée. Je n'aurais jamais vu ces fous. Mais... Ma vie ? Est-ce que ma vie vaut la liberté ?

Nous arrivons devant un autre bâtiment, plus récent que les autres. Il est fait de nombreuses fenêtres laissant entrer la lumière, plus que celles du bâtiment administratif avec l'accueil. Les jardins autour sont plus sophistiqués, avec des plantes grimpantes et des fleurs un peu partout. Comment ne pas répondre « oui » alors que l'endroit est si paisible et attrayant ? La lumière du soleil couchant se reflète sur les vitres et leur donnent un effet doré qui m'oblige à détourner et presque fermer les yeux. Ce n'est que lorsque nous entrons que je peux les rouvrir et voir correctement. Pourtant ce qui me frappe en premier dans ce lieu est l'ambiance sonore avant son apparence. J'entends plusieurs voix avant de voir des jeunes marcher sans nous remarquer en riant. Ils nous dépassent et sortent vers le jardin devant. Alors que je reste retournée vers eux, Natalie me rappelle que la visite n'est pas terminée. Nous tournons dans plusieurs couloirs dont certains sont décorés de dessins d'enfants, de poèmes et où sont accrochés des porte-manteaux. J'observe derrière une porte vitrée par curiosité et remarque un tableau blanc faiblement éclairé par la lumière extérieure. Des classes de primaire ? Ils s'occupent donc d'enfants ? Ont-ils été eux aussi enlevés à leurs familles ? Lorsque nous montons à l'étage les couloirs sont bien plus ternes.

« Ce bâtiment est celui des classes de cours. Nous avons plusieurs niveaux puisque le complexe est grand. L'éducation d'exception qu'ils reçoivent est approuvée par le gouvernement et permet de former de nombreuses personnes, qu'ils fassent partie de l'armée ou qu'ils restent dans l'entreprise. La formation de l'esprit est bien sûr couplée à l'éducation physique, considérée toute aussi importante.

Elle me conduit vers l'extérieur après quelques minutes et nous traversons une cour ressemblant à celle d'un établissement scolaire classique. Le prochain bâtiment est encerclé de complexes sportifs et n'a pas d'étages.

— Un gymnase ? »

Elle hoche la tête après un regard en biais vers moi. Nous approchons rapidement et percevons les voix d'autres élèves. Nous entrons dans cet autre bâtiment mais cette fois certains nous remarquent. Je sens des regards, des chuchotements dans mon dos. Natalie a simplement besoin de tourner la tête vers eux pour que le silence se fasse. Nous passons l'entrée, les vestiaires pour arriver dans la grande salle avec le terrain multi-sport. Une musique résonne, quelque chose d'assez vieux que ma mère écoutait quand elle avait leur âge : Burnin de Petit Biscuit je crois. A gauche s'élèvent sur plusieurs mètres des murs d'escalade avec au sol des tapis épais. Au centre sont installés des tatamis avec une classe en pleine séance de judo et à ma droite une équipe de basket s'entraîne à faire des paniers. Ma guide me fait une longue liste de tous les sports enseignés dans le complexe et les plus primordiaux dans le cursus —que je ne retiens pas— avant de nous tourner vers une autre aile plus discrète. Dans plusieurs salles sont installés des machines de musculation spécifiques, ou encore de boxe des accessoires d'entraînement.

Je me fige lorsque je regarde dans le fond, derrière le ring, le regard attiré par une tâche dorée. Elle se retourne. Nos regards se figent. Les nuages écarlates apparaissent au-dessus de moi et se reflètent sur le miroir qui remplace le sol. Elle est juste là. De nouveau seule, avec moi.

Elle fait un pas vers moi, créant une onde sur le sol, comme s'il était fait d'une fine couche d'eau. Un « Je suis désolée » résonne dans ma tête. C'est toi n'est-ce pas, Alice ? Je n'ai pas le temps de formuler de réponse, la salle d'entraînement réapparaît. Natalie se tourne vers moi :

« Tu veux aller lui parler ?

Elle a remarqué notre lien. La seconde où nous n'étions qu'à deux. Je refuse par panique et nous nous éloignons. J'ai le temps de lui lancer un regard à la dérobée avant de la perdre de vue. Qui es-tu, Alice ?

Nous passons par un autre bâtiment avant de retourner dans le bureau du directeur. Il ressemble à tous les autres vu de l'extérieur, mais l'intérieur est fait de nombreuses chambres d'internat et un self au rez-de-chaussée. Mais je m'en fiche de tout ça. Mon esprit est obsédé par Alice. Son regard. Bon sang, son regard. Mon coeur est lourd alors que nous retournons dans le bâtiment administratif. Je ne peux pas accepter leur proposition alors qu'ils m'ont enlevé, je serais stupide. Il faudrait que je trouve un compromis... Un échange équivalent. Voilà, un échange. Si je peux en apprendre plus sur mes rêves, mes capacités, et Alice... Je ne sais pas. Trouve une solution, Cassandre.

***

« Alors, tu as fait ton choix ?

Je le regarde droit dans les yeux. J'ai enfin une idée.

— Je n'accepterai que si vous acceptez, vous, mes conditions. On ne peut pas kidnapper les gens comme ça. Mes parents vont se faire un sang d'encre. Ils me chercheront. Et puis, qui sait ce dont vous êtes capables pour vos recherches ?

Il se frotte le menton. Peut-être que je le regretterai. Certainement. Mais je peux au moins poser des gages de sécurité. Je ne me laisserai pas faire.

— Hm... Intéressant. Je t'en prie, expose tes conditions. Je verrais si je peux les accepter.

— Alors. D'abord, j'aimerais que vous soyez honnête avec moi. Pas de coup bas. Ensuite, j'aimerais essayer votre cursus pendant une semaine, minimum, avant de prendre ma décision de rester ou non, et je veux en apprendre plus sur mes "capacités" comme vous dites, si j'en possède. Parce qu'elles sont toujours à prouver. Et si c'est le cas, je ne veux pas qu'on me traite comme un cobaye.

Je marque une pause pour prendre mon souffle et continuer. Il me fixe droit dans les yeux mais je ne fléchis pas.

— Mes parents doivent être au courant que je suis ici, et je veux les voir en chair et en os pour les rassurer. Et je veux connaître Alice. Lui parler, en apprendre plus sur elle.

Voilà. J'ai posé toutes les conditions que je pouvais trouver. A l'évidence, il n'acceptera pas tout, mais j'ai fait de mon mieux pour m'imposer.

— Hm... C'est donc ce que tu désires ?

Son air presque satisfait me fait froid dans le dos. Il ne dit rien d'autre ? J'ai un mauvais pressentiment. Il donne presque confiance, mais il y a quelque chose chez lui qui m'effraie. J'acquiesce lentement d'un mouvement de tête.

— Très bien. J'accepte, mais une seule des conditions m'ennuie.

— Qui est ?

— Tu ne pourras malheureusement pas voir tes parents. Je suppose que tu comprends pourquoi. Nous ne pouvons pas avoir confiance en toi à 100%. Nous pourrons parler à tes parents si tu veux, mais je ne peux pas te laisser leur parler.

Je fronce de nouveaux les sourcils. C'est louche. Qu'est-ce qu'ils pourraient leur dire ?

— Très bien, mais seulement si vous leur dites la vérité.

— Bien sûr.

Un blanc s'installe. Mes sentiments contradictoires s'emmêlent. Il semble sincère, mais... Je ne sais pas. Je relève ma tête, sortie de ma torpeur. Mes yeux croisent ceux de la femme. Ils sont presque du même bleu que les yeux d'Alice, mais ressemblent à deux billes de glace. Ses paroles me reviennent en tête. On me tuera sûrement si je refuse. Elles ont la même expression craintive. Je ne peux pas laisser Alice comme ça. Elle a besoin de moi. J'ai besoin d'elle. Avec mes conditions, rien ne peut m'arriver, n'est-ce pas ?

— Très bien, j'accepte votre offre.

Ma voix est presque inaudible. Pourtant, il l'a bien entendu. Il répond d'une voix calme, son regard croise le mien. Il a dû voir l'étincelle qui l'anime. J'aiderai Alice. Je sais qu'il se passe quelque chose, et je trouverai.

— Hum... Ta détermination m'étonne.

Il quitte son bureau et atteint un meuble à tiroirs. Il tire l'un d'entre eux et prend deux choses. Une feuille, et quelque chose que je n'arrive pas à distinguer. Il s'approche de moi et termine :

— Voici ton emploi du temps et les clés de ta chambre. Natalie t'y emmènera. »

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