Ysaïne (Chapitre 73)

J'attends sur la plateforme de verre déserte. Mon regard s'éclaire soudain lorsque je vois un aéronef arriver lentement et amorcer sa descente.

Quelques secondes plus tard, Idwin descend de son appareil et se précipite vers moi avec un sourire crispé.

Il me serre dans ses bras et je me laisse faire, me détendant légèrement pour la première fois depuis quelques heures.

-Idwin... J'ai des choses à te dire. Il faut que je te parle...

Il recule et me regarde pendant quelques secondes. Je remarque alors qu'il n'est pas rasé et que toute son attitude lui donne un air perdu. Je demande d'une voix soudain inquiète en tâchant de maîtriser mes sentiments :

-Idwin... Qu'est-ce qui se passe ?

-Tu n'es pas au courant ?

Je serre les poings avant d'avouer d'un trait, agacée de moi-même :

-On dirait que je suis toujours en retard pour les nouvelles... Que suis-je sensée savoir ?

-Les princesses...

Je tressaille, songeant à cette nouvelle identité que je refuse. Mais il ne semble pas s'en apercevoir et poursuit :

-Elles sont mortes.

Ce n'est pas possible. Le vent souffle dans mes cheveux entièrement bleus maintenant -à qui vais-je cacher mon secret ?- et je sens un tremblement m'agiter.

-Que veux-tu dire ?

-Tu ne comprends pas ? Mais c'est pourtant clair !

Ses yeux brillent d'une lueur sauvage et il hurle :

-Je les ai tuées ! J'ai fais sauter les trains !... Esteban voulait les mettre en sécurité... j'ai réussi à le savoir et je me suis vengé. Oh, Ysa, je ne sais plus où j'en suis ! Je t'en prie...

Non. Quelque chose se fige en moi. Je murmure :

-Saldya...

Je me tourne vers lui avec un éclair de colère et hurle à mon tour :

-Et même Eslimea ! Comment as-tu pu ? Comment as-tu osé ? Ce n'est pas possible ! Tu...

Il se rapproche tout à coup de moi et me prend les mains dans les siennes. Il me supplie du regard en ajoutant :

-Ysa, essaie de comprendre... Elle m'a tiré dessus...

La voix soudain glacée, mon cœur battant la chamade, je tente de reculer sans trouver au fond de moi assez de courage pour ça.

-C'était ça ta fameuse vengeance ?

-Ysa ! Tu étais d'accord avec moi, rappelle-toi !

Je recule d'un pas, sentant une tristesse sourde s'emparer de moi entièrement et murmure :

-Crois-moi, je ne l'oublierai jamais... Mais va-t-en Idwin. Je ne veux plus jamais te voir... plus jamais !

Je veux tourner les talons pour lui cacher les larmes qui m'aveuglent mais il me rejoint et me retient par le bras.

-Ysa... Que voulais-tu me dire ?

Je tourne vers lui mon visage couvert de larmes et lâche lentement :

-Que je m'appelle en réalité Ysaïne Astra.

Il ouvre deux grands yeux avant de dire :

-Non ! Tu es...

Je ferme une demi-seconde les yeux avant de lâcher :

-Leur héritière oui.

Ses yeux toujours figés sous l'effet de la surprise, il inspire pourtant et semble retrouver un peu de son attitude arrogante habituelle.

-Après tout, c'était possible...

Je demande froidement :

-Tu le savais ?

Il pâlit et hurle :

-Non ! Ysa tu as ma parole que je ne le savais pas !

Je tente de m'éloigner mais il resserre sa main sur mon bras et murmure d'une voix brisée :

-Ysa... ou Ysaïne si tu préfères...

-Ysa.

-Je comptais sur toi pour m'aider. À remonter la pente.

Nous échangeons un long regard et quelque chose se fige en moi. Je n'ai qu'une envie : me jeter de nouveau dans ses bras et pleurer sur son épaule. Mais les visages de Saldya et d'Eslimea ne veulent plus quitter mon esprit.

-Je n'aide pas les assassins. Idwin, tu savais que je les aimai... comment pourrai-je te faire confiance après ça ?

-Tu seras la seule à les regretter !

Je dégage brusquement mon bras et demande d'une voix rauque :

-Et toi ? Combien de temps te faudra t-il pour oublier ?

Idwin ne ressemble alors plus au jeune homme arrogant que je connais et je dois me faire violence pour ne pas revenir vers lui. Il hausse les épaules avec désespoir et murmure :

-J'ai essayé de tout arrêter Ysa... Je te le jure. J'ai essayé...

Je me détourne, entendant toujours la voix de Saldya dans ma tête.

-Mais elles sont mortes. Je ne pourrai jamais... jamais l'oublier.

Je m'avance alors de quelques pas qui résonnent sur la plateforme. Idwin ne tente cette fois ci pas de m'arrêter mais demande :

-Où vas-tu ? Si tu ne veux pas être Ysaïne... les rebelles ne t'accueilleront plus non ?

Je ferme les yeux, tentant d'arrêter mes larmes et serrant violemment mes lèvres.

-Je ne sais pas... Je venais te voir pour ça. Parce que j'étais perdue...

Mon aveu me brule les lèvres et Idwin murmure d'une voix rauque :

-Ysa... Ne gâche pas tout, je t'en prie...

Saldya. Eslimea. Je sais que je ne pourrai plus jamais le regarder comme avant maintenant. Je songe presque avec violence à notre merveilleuse soirée au restaurant et je dois me forcer pour ne pas de nouveau me tourner vers lui. Je repense à ce qu'il a dit. Que je lui avais dit qu'à sa place je me vengerai.

Je n'ai pas menti. Je m'en souviendrai toute ma vie. J'inspire fortement et relève la tête. Je murmure :

-Adieu Idwin. Bonne chance dans la vie. Trouve quelqu'un d'autre...

-Ysa ! Ou vas-tu aller ? Nous serons seuls tous les deux !...

Je me retourne enfin vers lui. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine lorsque je croise son regard aussi torturé que le mien mais je réussis à rétorquer :

-Je... Je retourne chez les rebelles.

-Tu veux être princesse ?

Sa question n'est pas accusatrice. Son regard brisé ne veut pas quitter le mien et je me sens agitée d'un long tremblement.

-Je ne suis pas obligée de l'être n'est-ce pas ? Mais je veux me battre.

Il murmure d'une voix déchirée :

-Contre moi...

Je me détourne et il s'approche de moi de nouveau. Il pose la main sur mon épaule et je ne peux m'empêcher de tressaillir. Je murmure :

-Désolée. Il paraît que je ne serais jamais capable d'être raisonnable...

-Ysa... Je t'aime.

-Moi aussi. Mais j'arriverai à t'oublier. Fais de même, il y aura toujours Saldya et Eslimea entre nous...

-Ysa... Je pourrai te rejoindre chez les rebelles...

Les larmes débordent de mes joues mais j'ôte résolument sa main de mon épaule.

-Non. Moi je serais du côté de la justice. Il n'y aura plus jamais de morts d'innocents. Adieu Idwin.

Et, l'âme en mille morceaux, j'avance d'un pas résolu vers mon aéronef. Lorsque je grimpe à bord, je constate qu'il n'a pas fait un geste pour me suivre.

Jamais je ne me suis sentie aussi seule. Mais jamais non plus aussi résolue.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top