Ysaïne (Chapitre 195)
-Ysaïne, j'ai une proposition à te faire...
Je redresse la tête, interrompant ma lecture d'un livre intéressant (c'est à dire que je lis une page sur deux, ce qui est un record pour moi qui déteste la lecture). Camille se faufile jusqu'à moi, pour aller s'assoir dans l'un des sièges.
Elle reste un instant silencieuse en observant la chambre où je me trouve, s'attardant aux petits avions peints qui se balancent doucement au plafond, avant de relever la tête et de dire :
-La chambre de ton père hein ? Joli repère !
J'esquisse un sourire, nullement gênée, et désigne en même temps le livre que je tiens à la main.
-Le sien aussi. Il adorait la lecture je crois...
-Tu essaies d'oublier l'affaire de l'Eveland n'est-ce pas ? Ta visite dans leur pays pour essayer de leur imposer Esdera hein ?
-Non, je me cultive, nuance.
Piètre mensonge qui passe assez mal... surtout auprès de Camille qui commence à beaucoup trop bien me connaître. Je devrais peut-être me trouver une autre assistante-secrétaire-multi-tâches qui n'oserait jamais m'interrompre. Oui, bonne idée... Quoique, j'avoue que ce serait un peu ennuyant à la longue...! Et je ne sais pas pourquoi mais je ne vois pas Camille abandonner comme ça son rôle...
L'idée m'arrache un grand sourire amusé avant que ma conseillère justement ne reprenne la parole :
-Écoute... Je voulais t'annoncer quelque chose. Denis et moi nous comptons nous marier...
Pour le coup je laisse tomber mon livre pour lui adresser un regard stupéfait qui fait rire aux éclats Camille.
-Désolée Ysa, tu es douée pour des tas de choses mais parfois tu es un peu aveugle ! Bref...
-Attends, tu...
-Oh, remets-toi ! J'ai fais une attaque cardiaque moi quand tu t'es mariée avec Esteban ?
Hum. Ce n'était pas pareil, c'était beaucoup moins surprenant ! Bon en même temps, c'était mon mariage, peut-être était-ce normal que je ne sois pas trop surprise... Un sourire monte à mes lèvres tandis que je me décide à répondre quelque chose de sensé :
-Félicitations à vous deux ! Après tout, vu que vous aimez tous les deux me contredire, c'est vrai que j'aurais dû remarquer que vous étiez fait pour vous entendre...
Si c'était Maly que j'avais en face de moi, elle me tirerait la langue. Mais c'est Camille et elle se contente de hausser les épaules avec une grimace moqueuse.
Elle redevient pourtant rapidement sérieuse et paraît chercher ses mots avant de reprendre la parole.
-Ysaïne... Ni Denis ni moi ne sommes princes ou princesse ou quelque chose du même genre...
-Camille, c'est à moi que tu dis ça ? Tu crois que j'y attache une quelconque importance ?
-Pour ce que je vais te proposer, peut-être...
Je me lève du lit où j'étais assise et vais vers la fenêtre. Je pose mes doigts sur un petit avion, attaché au bout d'un fil transparent, et le fais un instant tourner entre mes doigts, avant de le lâcher et de reprendre tranquillement la parole avec un début de franche curiosité. Je n'arrive déjà pas à me remettre tout à fait de son annonce de mariage alors...
-Ysaïne, nous pouvons comme n'importe qui offrir un foyer à une enfant...
Je me retourne cette fois-ci carrément vers elle et Camille poursuit d'une voix décidée en fronçant le nez :
-Denis et moi nous sommes beaucoup attachés à Esdera. Vraiment... Nous aimerions devenir ses parents adoptifs, et, si cela te tient à cœur comme je le pense, nous comptons déménager pour l'Eveland... avec notre fille si tu acceptes.
Je ne réponds pas tout de suite, tentant de juguler mes émotions. Je me contente de demander d'une voix tendue :
-Qu'en penserait le conseil ?
-Il n'y a finalement pas eu d'ordre strict même si la garde d'Esdera semblait effectivement te revenir...
-J'ai donné ma parole Camille de la protéger et de l'aimer... Peux-tu le comprendre ?
-Mais justement... À ton avis, où sera-t-elle le plus heureuse ? Avec Denis et moi en Eveland, ou avec toi à Astra, alors que tu t'occuperas très bien d'elle, je n'en doute pas, mais où tu n'auras pas tout le temps que nous pourrons lui consacrer nous. Et tu sais que nous l'aimerons, ta petite princesse, Ysa...
Esdera. Je repense alors à Idwin, et Tiara me la confiant avec ces larmes qui ruisselaient sur ses joues... L'annonce de leur mort. Et cette promesse que j'ai faite de faire de l'enfance de leur fille un rêve...
Le pourrais-je ? Esdera grandira avec une histoire sanglante gravée quelque part sur ses traits que tous verront... Camille pourrait-elle avoir raison ?
La jeune femme me dévisage tandis que je tente de faire le tri de mes pensées. Je sais qu'elle aime Esdera... Je sais qu'elle l'aime autant que moi.
Je réalise alors qu'imaginer me détacher de cette petite fille n'est pas facile. J'en ai les larmes aux yeux...
Mais ne serait-ce pas mieux ? Camille et Denis lui apporteront quelque chose que mon palais ne pourra jamais lui donner : la paix. Elle ne verra pas partout l'ombre de ses parents, grandira dans une famille normale, sans complication liée au pouvoir.
J'ai la gorge serrée. Même sans les consulter, je sais que ma mère et Christian me diraient que c'est la solution idéale... Esdera pourra grandir chez elle, même si l'Eveland dépend désormais d'Astra.
Je réponds enfin dans un souffle :
-Alors jure-moi de venir me voir souvent...
Camille s'est levée elle aussi et elle vient doucement me serrer contre elle. Elle murmure à mon oreille :
-Ça n'est jamais entré en ligne de compte, je te le jure. Mais je ne peux pas avoir d'enfants... Esdera sera notre unique princesse, et, crois-moi, jamais elle ne manquera d'amour.
Je me détache alors d'elle et réplique avec mon plus beau sourire :
-Je n'en ai jamais douté. Sinon je ne t'aurais jamais laissé ne fut-ce que terminer ta proposition...
Je fais une pause puis ajoute :
-Mais alors, je vais vous perdre tous les deux, Denis et toi ?
-Oui, mais je suis certaine que tu trouveras une autre assistante formidable...
-Tu es irremplaçable... Qu'est-ce que tu en dis si je te nomme pour faire partie des représentants de l'Eveland ?
-Ça marche. Je m'appliquerai à critiquer de mon mieux la politique intérieure d'Astra !
-Eh ! Traîtresse !
Pourtant, lorsqu'elle sort de la pièce sur un dernier sourire, je réprime un lourd soupir. Il faut que je rejoigne Esteban, qu'il me fasse rire et sourire...
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