Je me suis assise dans l'un des fauteuils, trouvant pour une fois un certain réconfort dans les coussins moelleux.

J'avoue que plus approche l'heure fatidique, plus j'ai du mal à rester aussi ferme et calme que d'habitude... Je ferme les yeux. Je n'ai qu'une envie, me lever, remettre un pantalon bien pratique, et courir rejoindre Esteban le plus vite possible, loin de cette foule, de tous ces regards.

Je sais bien pourtant que c'est impossible. Et je désire plus que tout ce mariage qui m'unira à lui pour toujours... Mais je déteste sentir en moi l'appréhension ou la peur. Et là il est difficile de me raisonner quand j'ai l'impression que toute ma vie va basculer...

Pourtant, avec la fête du couronnement, j'aurais dû m'habituer. Alors pourquoi n'est-ce pas le cas ? Sans doute parce qu'une couronne ne fait pas une reine accomplie. Il me reste tant de choses à apprendre et à comprendre...

Je rouvre les yeux, les fixent sur la porte face à moi sans y faire particulièrement attention, laissant mes pensées dériver. J'espère qu'un jour je serais digne de mon père...

Son ombre semble planer partout. Ceux qui ne me connaissent pas le retrouve dans mes traits, ceux qui me connaissent espèrent que je ramènerai un monde plus juste comme il avait promis de le faire...

Mon père était un assassin. Et un homme que tout le monde aime aujourd'hui...

Dur de tout comprendre... J'ai grandis, comme tous les autres enfants d'Astra, avec l'histoire en tête de cet homme qui aurait pu gouverner le pays s'il n'avait tué Sady.

Comprendre qu'il était mon père n'a pas vraiment changé ma perception des choses. Il faut dire que ce meurtre était... un détail ? Hum. La couronne était un tout petit peu plus encombrante sur le moment.

Maintenant, je me demande ce que j'aurais pensé de tout ça si Azylis ne m'avait parlé des regrets de mon père, de cette tristesse diffuse qui ne le quittait jamais, de ce désir de se battre pour son pays, de tout faire pour racheter une faute pourtant impardonnable...

Sans l'avoir vraiment connu, je l'aime réellement aujourd'hui dans mon cœur...

Je laisse alors échapper dans un murmure :

-Merci Papa pour tout ce que vous avez fait pour moi...

Je l'imagine, avec ma mère, regardant le ciel où disparaissait l'aéronef d'Edmée, cette fille morte pour m'avoir mise en sécurité... Qu'a-t-il pu ressentir alors ? Mon père s'est-il senti aussi responsable qu'il l'était pour Sady ?

Je me le demande parfois... accepter d'entrer dans la résistance, c'était ça aussi. Accepter d'être en partie responsable de la mort de ceux qui tomberaient au combat...

Je referme les yeux une brève seconde, avant de les rouvrir. Quelqu'un vient de frapper à la porte.

J'aurais aimé être tranquille plus longtemps, vraiment. Mais je n'ai pas gardé mon écran, et il est sûrement déjà l'heure. J'ai l'impression de m'être perdue dans mes pensées pendant des heures...

-Entrez !

Je ne bouge pourtant pas de mon siège, et laisse mes yeux se poser sur la fenêtre. Il fait gris, mais un léger rayon de soleil perce de temps en temps les nuages et il ne pleut pas...

Quelqu'un entre dans la pièce, referme la porte, et s'avance de quelques pas avant de s'immobiliser tandis que j'ai du mal à m'arracher à ma rêverie et à cesser de regarder la fenêtre.

Je finis pourtant par tourner vers l'homme mon regard et laisse alors échapper un cri.

-Toi ! Tu es là !

Il ouvre grand les bras avec un rire en ajoutant :

-Et c'est comme ça que tu m'accueilles princesse ? Pas un regard à l'entrée ?

J'oublie tout, mes soucis, le personnage énigmatique de mon père, la longue robe blanche et les talons, pour simplement me précipiter vers lui.

Il referme ses bras sur moi, tandis que je l'embrasse sur la joue, sentant au passage sa peau me piquer légèrement car il n'a pas dû se raser depuis quelques jours.

-Christian... Oh, ça me fait tellement plaisir que tu sois revenu...

Je me détache de lui, me rendant alors véritablement compte de l'importance qu'il a pour moi. Je le vois comme le père que je n'ai jamais vraiment eu et son image se substitue dans mon esprit à cet autre visage dont je ne me souviens que d'une cicatrice sur une joue...

Celui que j'aurais adoré connaître et celui qui est là pour moi depuis de nombreux mois sont les deux personnes qui répondent, sans que j'en ai vraiment pris conscience, au nom de "père" dans mon esprit.

Christian garde une main posée sur mon épaule, un grand sourire aux lèvres, avant de dire tandis que nous marchons sur quelques pas dans la pièce :

-Quand j'ai appris que la reine allait se marier, j'ai compris que je ne pouvais pas rester loin de vous tous... Je voulais vraiment te revoir, princesse, et en étant séparé de vous tous, j'ai compris que ma famille était ici et que je ne referais pas maintenant ma vie à zéros... Tout le monde me manquait, même ce foutu robot de Maly ! Et même ta fichue couronne alors que j'aurais nettement préféré ne pas m'être attachée à la ravissante et impétueuse fille de Gabriel...

Mon sourire s'agrandit sur mes lèvres tandis que je ne réponds pas tout de suite et que nous nous immobilisons dans la pièce.

J'ai toujours pensé à part moi que, quelque part, ceux que nous aimons et qui ne sont plus de ce monde veillent sur nous. Quel meilleur cadeau aurait pu me faire mon père ? Le retour de Christian...

Alors soudain inquiète, je demande brusquement :

-Repartiras-tu ?

Il prend mes mains dans les siennes et me fait tourner avec un rire grave autour de lui avant de cesser et de répondre avec des étincelles joyeuses dans les yeux :

-Jamais ! Sauf si ma reine me l'ordonne...

Je ne peux pas sourire plus que maintenant, et, essoufflée, le cœur gonflé de joie et oubliant tous mes doutes précédents, je réponds enfin :

-Tu étais la seule personne qui manquait à ma joie... Je ne pourrais jamais te remercier d'être revenu !

Il pose un doigt sur mes lèvres, toujours rieur :

-Alors ne me remercie pas princesse !

Il ajoute ensuite, ses yeux redevenant graves :

-Où est ta mère ? Tu dois le savoir, et je viens de te le dire, mais j'ai hâte de la revoir elle aussi...