Ysaïne (Chapitre 172)

Je regarde la nuit avec des impressions mitigées, assise comme je le suis sur la terrasse, dans l'air frais, appuyée au mur.

Les étoiles brillent, et mon petit dragon, insensible au charme, s'amuse à courir autour de moi en poussant de petits cris de temps en temps.

En le regardant, je sens une petite pointe de culpabilité m'envahir de nouveau. J'ai essayé de raisonner Azylis, de lui rendre son dragon... mais elle a tenu bon. La petite bestiole est maintenant en route avec Edilyn au beau milieu de l'espace en direction de Sagan.

Ma mère ne pouvait pas me faire de plus beau cadeau... plutôt que me voir donner Rajah, elle a choisi de se séparer de Dynah...

J'imagine sans peine ce qu'elle a dû ressentir et je sais bien que toutes mes excuses et remerciements ne suffiront jamais.

Et puis je crois qu'en ce moment Christian lui manque. À moi aussi d'ailleurs. J'aurais aimé voir son air grognons, voire furieux, en apprenant que j'avais mis dans les mains d'Edilyn un dragon possiblement dangereux...

J'aurais aimé... Mais il est parti. Je secoue la tête, caresse du bout des doigts Rajah qui s'est allongé près de moi, le souffle court d'avoir couru dans tous les sens, et pose de nouveau ma tête contre le mur.

J'ai presque l'impression d'avoir encore sur mon front le fin diadème... Mais non, il est posé sur le sol à ma gauche et mes yeux dérivent malgré moi dessus.

Demain... Demain je pars pour l'Eveland. Voyage diplomatique. J'ignore quels sont mes sentiments à ce sujet... Assister au mariage d'Idwin ? Une part de moi aspire à courir le plus loin possible dans le sens contraire, l'autre absolument à voir cette union qui me touche de si près...

Et il y a Esteban. Je laisse échapper un long soupir entre mes dents serrées, tandis que mes doigts agrippent d'un mouvement soudain convulsif la couronne.

Le jeune homme aux cheveux noirs tente de reprendre en main "sa" capitale. D'après mes rapports, on dirait bien qu'il y arrive... Les habitants d'Ivy commencent à comprendre ses qualités.

Mais j'ai l'impression de le perdre chaque jour un peu plus. Qu'est-ce que je veux au juste ? Quand j'étais une petite fille, j'ai grandis seule, entre une vieille femme et un homme devant lequel tous les gens sensés reculaient. Personne ne m'a jamais appris à faire face aux dilemmes, à l'amour ou l'amitié.

Je commence simplement à apprendre... sans savoir encore où j'en suis.

J'hésite à me relever, inspire l'air frais de la nuit, avant de me décider. Hier je me suis endormie par terre sur la terrasse à force de veiller ainsi et de réfléchir en pensant à Edilyn... Et la journée d'aujourd'hui a été beaucoup plus difficile du coup, tant j'étais fatiguée...

Je reviens donc à l'intérieur, suivie de mon dragon qui a déjà grandis de plusieurs centimètres depuis que ses parents nous en ont confié la garde, et je ne tarde pas à pénétrer dans ma chambre et à profondément m'endormir...

***

-Camille, tu es sûre ?

-Absolument. Un pantalon à une cérémonie pareille, il y a de quoi créer une catastrophe diplomatique...

Je hausse un sourcil, avant de répondre :

-Il faut vraiment que je t'interdise d'être trop bien informée. Au hasard en bouclant la bibliothèque...

Elle éclate de rire derrière moi tout en m'aidant à fermer ma robe en fourreau, avant de lâcher :

-À mon avis ce ne serait pas diplomatique non plus... Cette bibliothèque regroupe la moitié des archives et ce n'est pas pour rien que tout le monde peut y avoir accès...

-Pourquoi as-tu toujours raison ?

Je veux m'échapper de la glace et des froufrous mais elle ne m'en laisse pas le temps et m'asperge rapidement d'un parfum que je n'avais jamais vu dans mon armoire (j'en possède pourtant au moins une centaine, tous de luxes, offerts par la plupart des gens importants de la planète).

-Camille ! Je déteste le parfum !

-Celui-ci devrait te plaire, non ? C'est un cadeau pour l'occasion de ma part...

Pour lui faire plaisir, j'accepte de tendre le poignet pour qu'elle en ajoute et même d'inspirer. L'odeur envahit aussitôt mes narines et je me surprends à beaucoup apprécier.

Ça ne ressemble pas aux autres parfums, un peu lourds, souvent rappelant des fruits exotiques... Non là... j'ai simplement l'impression de sentir une agréable odeur d'herbe coupée, mêlée à quelques plantes aromatiques.

Camille est à côté de moi dans la pièce déserte à part nous deux, attendant mon verdict. Je réponds avec honnêteté et un franc sourire :

-J'aime beaucoup... Je ne connaissais pas du tout.

-C'est une nouvelle création... je l'ai commandée spécialement selon quelques unes des mes idées aux postes numériques créateurs.

Si créer un parfum ne demande que de savoir cliquer sur quelques touches, en faire une réussite est extrêmement rare...

-Tu as du talent Camille...

-C'est parce que je te connaissais bien...

Je jette un dernier coup d'œil à la glace, robe bleu marine, à peu près comme à chaque réception officielle parce qu'il n'y a que cette couleur qui va vraiment bien avec mes cheveux, avant de me diriger vers la porte non sans un dernier sourire et un rapide "merci" à Camille.

Alors que je m'apprête à franchir le battant, je me retourne intriguée et porte deux doigts à ma bouche avant de siffler. À ma grande surprise, Rajah n'arrive pas aussitôt comme à son habitude mais Camille ne paraît pas inquiète puisqu'elle éclate de rire.

Elle plonge rapidement sous un meuble, et je l'entends dire à l'animal :

-Comme ta maîtresse pas vrai ? Vous êtes impossibles tous les deux !

Et elle ressort de sous la commode blanche, agrippant dans ses doigts mon petit dragon qui tente de lui échapper pour retourner se cacher. Il faut dire qu'elle l'a décoré d'un grand noeud bleu assorti à ma robe et que chacune de ses écailles a été impeccablement polie et qu'elles ressembles toutes à de petits miroirs colorés.

Visiblement, Rajah déteste autant que moi ces soins décoratifs...

Je ris avant de m'avancer et il se perche à regret sur mes épaules, entourant mon cou pour ne pas tomber puisque je ne peux évidemment porter mon habituel sweat à capuche bien pratique.

Dans le couloir m'attend Denis, qui salue tout en ne pouvant s'empêcher de sourire à la vue du noeud qui décore Rajah et au regard furibond de celui-ci pour tout son entourage.

Mon jeune garde demande ensuite :

-Nous y allons majesté ? Êtes-vous sûre de ne toujours vouloir que moi comme escorte ?

Je le foudroie des yeux et il rétorque :

-Ah c'est vrai, le tutoiement et le prénom... Heu... Nous y allons ?

Que répondre ? Ne pas montrer qu'il m'amuse et achève de me détendre sinon je n'arriverai jamais à le convaincre de changer ses habitudes... D'une voix ferme, je réponds du coup :

-Oui, nous partons.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top