Ysaïne (Chapitre 157)

-Majesté, il faut absolument que je vous parle. Nous avons besoin de nouveaux financements pour les reconstructions de la ville de Kilaru.

J'esquisse un sourire poli avant de me tourner vers Camille assise à ma gauche. Je suis pour ma part installée dans un fauteuil blanc au bout d'une longue table rectangulaire réunissant tous les maires du pays. J'ai même réussi à troquer les robes que l'on tenait absolument à me faire mettre par un pantalon noir et un haut assorti.

Camille consulte rapidement ses informations sur son écran avant de redresser la tête pour répondre à ma question muette :

-D'après nos informations, ils ont reçu une aide de l'Etat aussi importante que pour les autres villes de même ampleur. Mais la gestion est mauvaise...

L'homme fait une grimace lorsque je me tourne de nouveau vers lui. Je demande calmement, d'une voix neutre :

-Vous avez entendu ?

-Oui, majesté.

-Je propose simplement dans l'immédiat de vous adjoindre l'aide d'un financier de la capitale. Nous verrons ce que cela donnera, d'accord ?

Mon ton est maintenant presque amical même si je reste très ferme et un sourire éclaire les traits de l'homme. Il a dû penser que je le ferais simplement remplacer... Mais j'ai appris la valeur de la loyauté et je préfère parfois employer une certaine douceur. Il répond très vite :

-C'est parfait. Tout devrait s'arranger...

J'hésite. Je repousse ce moment depuis le début de la réunion. Mais Camille hoche imperceptiblement la tête, devinant mes pensées, et je me décide à me tourner vers l'homme assis juste à ma droite.

-Et vous ? Pas de problème avec la ville d'Ivy ?

Esteban redresse la tête et me regarde froidement. Il ne me parle plus depuis un mois au moins... depuis ce baiser échangé avec Idwin. Je suppose que, d'une manière ou d'une autre, quelqu'un l'a mis au courant. Et je me sens à la fois furieuse d'avoir été dénoncée et en même temps désolée de perdre Esteban sans réussir à le retenir à mes côtés.

Quoi qu'il en soit, sa figure me dissuade de l'interpeller comme mon ami de toujours et je prends même un ton plus cérémonieux qu'avec les autres.

Il ne croise pas mon regard mais jette un coup d'œil farouche devant lui avant d'entrouvrir les lèvres et de lâcher :

-Aucun problème. Je sais gérer une ville.

Une femme d'une cinquantaine d'années lui lance alors un coup d'œil méprisant et réplique :

-Vous êtes peut-être efficace mais... beaucoup de gens vous détestent à Ivy. Vous avez servi Edilyn et personne ne l'oublie. Vous ne devriez pas être le maire...

Je me crispe, détestant malgré moi la femme qui vient de parler, mais elle n'a pas complètement tort. Esteban ne fait effectivement pas l'unanimité.

Je ne le laisse pourtant pas répondre, devinant qu'il risque d'être trop brusque, et reprend le plus calmement possible la parole.

-Justement pour le moment tout ce qui compte c'est l'efficacité. Nous devons reconstruire, restructurer le pays...

Esteban me décoche un regard sombre pour toute réponse et je suis la seule à entendre son chuchotement :

-Alors pour toi, je ne suis que ça ? De l'efficacité ?

Je ne réponds pas mais laisse mes yeux faire le tour des personnes présentes. De toute façon, il ne m'écoutera pas... Une autre femme demande avec un sourire :

-Majesté, la ville que je représente aimerait changer de nom... est-ce possible ?

Ouf, pas une nouvelle question à polémique ! Et j'ai envie de me détendre après avoir parlé à Esteban... Je souris donc avant de demander :

-Quel nom ?

La femme me rend mon sourire avant de dire :

-C'est une demande générale, je ne fais que la représenter... Ysaïne. Votre prénom.

J'ai du mal à rester neutre et je jurerais que Camille vient de pouffer de rire et que c'est pour cela qu'elle se plonge soudain dans la contemplation de sa tablette.

Je crois que c'est ma stupéfaction qui provoque son hilarité... Je choisis la franchise, démarche qui me caractérise chaque fois que je suis gênée.

-J'ai lu des milliers de livres numériques parlant de lois, de protocole... mais que suis-je sensée répondre à cela ? La réponse ne se trouve nulle part !

Un rire parcourt l'assemblée comme je l'avais espéré et je m'y joins avec plaisir. Le calme revenu, la femme réplique avec des yeux brillants :

-Vous avez juste à dire "oui, c'est possible".

J'acquiesce en réponse avec une petite grimace. Esteban à ma droite garde les yeux rivés sur la table sans rien dire et je préfère ne pas me tourner vers lui pour ne pas de nouveau sentir la tension m'envahir.

J'attends qu'une autre personne prenne la parole mais il semble que pour aujourd'hui -heureusement !- il n'y ait plus de requête.

Je me lève donc de mon siège, et annonce à haute voix avec un sourire presque espiègle :

-Comme j'ai l'impression que nous n'avons plus rien à nous dire... enfin, maintenant, car je ne doute pas que vous serez nombreux à avoir une foule de problèmes très rapidement !, je suggère que nous terminions pour aujourd'hui...

Tout le monde acquiesce et je me poste près de la porte, serrant la main de tous les maires du pays avec un mot pour chacun. S'ils savaient que je me suis couchée à minuit hier soir rien que pour retenir tous leurs fichus noms impossibles !

Je serre la dernière main et me retourne pour vérifier que je suis seule dans la pièce. Ce n'est pas le cas puisque Esteban est là, debout et penché sur la table, fermant son écran numérique activé sur la surface de verre.

Je veux m'approcher de lui mais change d'avis, n'ayant pas du tout envie de m'énerver de nouveau face à ses regards frondeurs. Je me contente de dire presque calmement malgré un début d'agacement ou de colère :

-Esteban, nos rapports ont parfois été compliqués... mais nous avons toujours été francs l'un envers l'autre.

Une petite voix résonne dans ma tête. Pas toujours... et cet instant où tu as embrassé Idwin ? Mais suis-je obligée de tout dire ?

Mais le maire de la ville la plus puissante d'Astra a finit de fermer son écran et s'est avancé jusqu'en face de moi sans que je m'en rende compte. Ses yeux brillent lorsqu'il les pose sur moi et qu'il rétorque durement :

-Pas vraiment justement. Tiara est venue me voir, tu sais, le lendemain du couronnement...

Je croise les bras sur ma poitrine et répond d'une voix plus sèche que je ne le voudrais :

-Et que t'a-t-elle dit ?

-Simplement qu'elle tenait à son fiancé parce qu'elle n'imaginait pas la réaction de son entourage s'il la laissait tomber maintenant... Et que je devrais te surveiller de mon côté. Elle semblait penser qu'en me racontant ce qu'elle avait vu entre vous deux sur la terrasse... Je ferais tout pour te retenir. Mais j'en ai assez de jouer à ce jeu-là. Donc, permet, majesté, que je me retire.

La fierté est un défaut familial. Je devrais peut-être m'excuser. Le retenir. Dire quelque chose. Je me contente de le fusiller du regard et de tourner rapidement les talons sans un mot de plus.

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