Ysaïne (Chapitre 152)

La nuit est tombée. Je ne me suis pas couchée et je m'arrête, seule, devant l'une des porte-fenêtres de l'immense salle de réception.

Je passe d'un geste mécanique mon bras devant un capteur et le battant coulisse presque aussitôt pour m'ouvrir un passage. J'avance de quelques pas sur la grande terrasse jusqu'à gagner le rebord, y appuyer mes coudes et rester là-debout un long moment dans le silence.

Je n'ai pas quitté ma longue robe bleue et le vent frais de la nuit semble s'amuser à la soulever légèrement et à la faire tourbillonner autour de moi. Mes cheveux, lâchés sur mes épaules, suivent ces mouvements, et je me perds pendant quelques minutes dans ma rêverie.

J'ai toujours eu l'habitude d'agir et de me poser des questions après. Mais là je ne sais plus où j'en suis...

Idwin, Esteban... les deux noms se mélangent dans ma tête, presque indissociables, en même temps que les images du couronnement ne cessent de m'envahir.

Je pousse un profond soupir dans la nuit avant de ressentir comme un mouvement juste derrière moi. Je me retourne lentement pour découvrir à un pas de la porte Idwin, immobile, les bras croisés sur sa poitrine.

Il ne me regarde pas. Comme moi une minute plus tôt, ses yeux sont fixés sur les étoiles devant nous qui illuminent le firmament, sur le paysage renversant qui nous entoure.

Ce n'est qu'au bout d'un long moment que je romps le silence :

-Comment savais-tu que je me trouverai ici ?

Idwin redresse la tête. Il semble sortir d'un songe mais ne retrouve pas pour autant son petit sourire narquois. Le vent ne lui fait rien, ses cheveux étant coupés très court. Il hésite quelques secondes puis s'avance enfin de quelques pas jusqu'à me rejoindre. Nos coudes s'effleurent et il me semble l'espace d'un instant qu'une décharge électrique me parcourt.

Mais étrangement, c'est l'image d'Esteban qui s'impose alors à moi et je me sens pendant quelques secondes presque coupable avant de me reprendre.

Idwin murmure alors en réponse à ma question de quelques minutes plus tôt avec un accent grave :

-Je ne le savais pas. Je ne pouvais juste pas dormir...

Je repense aux appartements du palais réservés pour l'accueil des visiteurs de marque. C'est vrai qu'ils sont situés à cet étage... Je n'y avais pas pensé en descendant.

Mais Idwin reprend la parole en murmurant de nouveau :

-Je n'arrivais pas à dormir. Je ne pouvais pas. Oh ! Ysa... Si je n'avais pas... Si je n'avais pas...

Il me semble fou tout à coup. Ses yeux me dévisagent avec fièvres, ses mains tremblent sur la balustrade et il ne ressemble plus en rien à l'arrogant de cette après-midi.

Mon cœur bat dans ma poitrine avec force, me donnant l'impression de me déchirer de l'intérieur à chaque respiration. Je ne réponds d'abord rien avant de lentement me décider.

-Si tu n'avais pas assassiné mes cousines, si tu n'avais pas choisi ton père en m'abandonnant... C'est cela que tu veux dire ?

Idwin ferme les yeux. Il demande :

-Quel est le crime que tu ne me pardonnes pas ?

Je n'ai pas l'ombre d'une hésitation. Depuis que mes yeux se sont posés sur lui dans la foule, je ne pense qu'à tout ce qui fait que je dois le détester.

-Mes cousines. C'était deux enfants, des innocentes...

Il hésite. Un éclair traverse ses yeux bleus. Il murmure enfin :

-Je n'étais pas le seul responsable. Je ne voulais pas te le dire parce que je regrettais mais...

Mes yeux lancent un éclair eux aussi :

-Parce que tu ne regrettes plus ?

-Non, ce n'est pas cela. Il me semble juste que je ne peux plus me retenir de parler.

Il inspire l'air frais de la nuit avant d'ajouter lentement tandis que je ne dis rien :

-L'assassinat était commandité par des extrémistes anti-Edilyn. Et exécuté par un homme du nom de Jean qui a tout organisé... Je ne l'ai rejoins que tard, animé de mes envies de vengeance, pour faire partie du groupe. Il n'a pas voulu me donner de rôle dans le complot mais a accepté après payement de me donner un moyen de me venger. Pouvoir discuter avec la princesse qui m'avait tiré dessus. Eslimea. Je l'ai aidé à mettre en place le piège... C'était déjà trop. J'ai fais parti des assassins... Je n'étais pas le seul en revanche.

Il détourne la tête. Ses yeux brillent tandis qu'il termine :

-C'est tout ce que je voulais te dire. Je me suis laissé emporter mais je me serais vite rendu compte de moi-même que ce n'était que deux enfants...

Mes mains me semblent bloquées sur la balustrade. Je ne peux pas répondre à tout son discours tant un seul nom m'est resté en tête.

-Jean ?

Pendant quelques secondes Idwin paraît retrouver son sourire en murmurant :

-Une voleuse comme toi le connaît ?

Mais son début de rire disparaît aussitôt et il se tait.

Je ne peux pas répondre. Pas maintenant. Mes pensées sont encore plus en désordre qu'avant son arrivée... Jean ! L'homme qui me faisait peur quand j'étais enfant... le plus grand voleur d'Astra. Ces derniers temps je l'avais presque oublié.

Mais je le connais mieux que personne. Il doit détester le fait que je lui ai filé entre les doigts... Rien que pour l'exemple, il pourrait déjà être en train de fomenter un complot.

Mais je sais qui il est. Je connais beaucoup de ses secrets...

Pourrai-je réussir à le faire arrêter ? À le trouver ?

Je me tourne vers Idwin et nos yeux se croisent. Je ne suis pas certaine de désirer condamner un voleur... Je me revois pendant toutes ces années, cambriolant les chambres fortes, piratant les codes digitals...

Mais je n'ai pas le choix. Et je le dois pour Astra. Est-ce cela le pouvoir ?

Je regarde Idwin de nouveau. Attend t-il une réponse de moi ? On ne dirait pas. Mais ses yeux brillent comme jamais. Je ne me souviens pas de m'être ainsi rapprochée de lui mais nos mains s'effleurent maintenant sur la balustrade et son souffle me caresse la joue.

Une part de moi voudrait reculer. L'autre se perd dans ses yeux, ma main refusant de se retirer de ses doigts fins tandis qu'il se penche encore un peu plus vers moi.

Alors, sans que j'ai fais un geste, il m'embrasse. Jamais je n'avais embrassé quelqu'un aussi intensément, peut-être parce que jamais je n'avais ressenti cette tornade de sentiments au fond de mon cœur. Ma main enlace sa taille et la sienne caresse doucement l'une de mes mèches de cheveux bleus.

Lorsque nous nous séparons enfin, mon regard attrape une ombre qui s'éloigne à grand pas, derrière la porte ouverte dans le dos d'Idwin.

Tiara nous a vu.

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