Ysaïne (Chapitre 132)

-Les fiançailles ?

-Oui, c'est ce qu'annoncent les informations. Et nous avons reçu confirmation du nouvel ambassadeur...

Mais Esteban perd tout à coup son ton absolument sûr de lui pour se précipiter vers moi, s'arrêter à un pas, et lâcher d'une voix franche :

-Ysaïne, je suis tellement désolé de t'apprendre une nouvelle pareille ! Idwin qui se marie, ce n'est pas seulement surprenant c'est...

Je me détourne de mon petit bureau et me tourne vers lui avec un léger sourire un peu forcé avant de répondre en levant les yeux sans hésitation :

-J'ai tiré une croix sur Idwin, Esteban. Alors disons que cette nouvelle est juste désagréable.

Ce n'est pas tout à fait vrai cependant et je le sens bien au goût de bile dans ma bouche. Mais je me force à conserver mon calme et une attitude neutre -ce n'est pas du tout mon fort- avant de relever brusquement la tête vers Esteban, maire d'Ivy mais aussi mon principal conseiller maintenant.

-Tout est prêt pour demain ?

Il acquiesce et m'adresse un sourire amusé avant de dire :

-Quand un sujet est douloureux, tu dévies toujours sur un autre ou c'est juste une impression ?

Je me lève de mon siège et éclate d'un rire franc avant de répliquer :

-Et le tact, Esteban, tu connais ?

Un sourire amusé grandit sur ses lèvres et il hausse un sourcil avant d'observer :

-Je ne pense pas que ce soit la meilleure façon de te plaire...

Je grimace, toujours rieuse, avant de dire après deux secondes de réflexion :

-Aïe, il se pourrait que tu aies raison. C'est ma mère qui serait folle si elle t'entendait tiens !

Mais Esteban n'a pas le temps de répondre car ma porte s'ouvre et Azylis entre avec un sourire, demandant d'une voix malicieuse :

-Et pour quelle raison serais-je folle ?

Esteban répond, en parfait mauvais garçon, avec une terrible franchise.

-Simplement parce que votre fille n'aime pas les palais, les jolies robes, et... le tact.

Ma mère se retourne vers moi et observe tranquille :

-Ça, ce n'est un secret pour personne il me semble...

Je lève les yeux au ciel avant de répliquer :

-En attendant je suis couronnée demain... donc attention à ce que vous dites sinon je vais sévir !

En vérité, je ne suis pas du tout certaine d'avoir envie d'en rire et je résiste difficilement à l'idée de lever les yeux vers le ciel pour regarder avec regret le beau temps dehors. Un jour, il faudra que je m'explique à moi-même ce que je fais ici.

Mais je me reprends rapidement en entendant ma mère prendre la parole et me relaisse tomber sur mon siège. Je préfère généralement m'assoir sur les tables mais la mienne est définitivement trop encombrée aujourd'hui.

-Ysaïne, je peux te parler seule à seule ?

Je me tourne vers Esteban sans répondre. Celui-ci s'incline gravement, laisse tomber quelques mots, puis se dirige rapidement vers la porte.

-Je vais voir où en est Camille. À tout à l'heure princesse.

La porte claque ensuite derrière lui et je réprime de justesse un soupir. J'ai faillis de nouveau songer à cette nouvelle qu'il est venu m'apporter il y a à peine quelques minutes... Idwin se marie.

J'aurai pu m'y attendre bien sûr... Mais je n'y pensais pas. J'espérais l'avoir éloigné dans un recoin de mon esprit mais il semble que la réalité me rattrape une fois de plus. Je ne me déferai pas aussi facilement de son image dans mon âme...

Pendant quelques secondes, je sens la jalousie me submerger avant de réussir à la surmonter. Qui est-elle, celle qui a su si bien me remplacer ? J'inspire un air frais dans mes poumons avant de fermer les yeux quelques secondes.

Je ne me suis jamais laissée abattre dans ma vie. Et ça ne va certainement pas commencer maintenant avec ce fichu prince de pacotille...

Je rouvre mes paupières, de nouveau à peu près maîtresse de mes émotions, et fixe ma mère qui semble attendre en silence que je sois prête à l'écouter. Elle ne me dit absolument rien concernant Idwin, devinant d'avance que cela me déplaira, mais aborde un autre sujet auquel je ne m'attendais absolument pas et qui achève pendant de longues minutes de me déstabiliser.

-Ysaïne, je suis venue te parler... Il y a quelque chose que je veux faire depuis longtemps, mais que j'ai toujours renoncé à réaliser. Je veux retourner dans le passé pour revoir ma famille...

La nouvelle me tombe dessus avec la violence d'un boulet de canon. Comment ai-je pu ne jamais y penser ? Nous venons du passé toutes les deux... À ceci près que toute ma vie se trouve ici.

Prendre aussi brutalement conscience que je viens d'une époque aussi lointaine me prend d'ailleurs à la gorge et il me semble que mes yeux commencent à me piquoter avant que je ne me force à répondre :

-Maman ! Je pourrai ne jamais vous revoir... Etes-vous obligée de partir et...

Je m'arrête de moi-même. Je ne détourne pas les yeux mais poursuis d'une autre voix, plus calme :

-C'est mon oncle et ma tante à propos. Je pourrai venir avec vous...

Mais Azylis secoue la tête en m'adressant un léger sourire.

-Cette histoire, je veux la vivre seule. Tu peux le comprendre Ysa ?

J'acquiesce une nouvelle fois, en tâchant de ne pas montrer l'angoisse qui grandit dans mon cœur. Ma voix est déjà beaucoup moins maîtrisée lorsque je m'approche d'un pas de la fenêtre et demande :

-Après le couronnement ?

Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qu'Azylis secoue une nouvelle fois la tête.

-Ysa, je ne peux plus attendre... Je veux partir maintenant. Mais je serais revenue dans une heure...

Je me retourne alors vers elle, les larmes aux yeux, et demande d'une voix cette fois-ci franchement angoissée :

-Et dans quelle époque irez-vous ?

Il suffit de la regarder pour savoir que sa résolution est inébranlable même si j'espère toujours au fond de moi qu'elle changera d'avis en croisant mes yeux. Mais ma mère répond dans un murmure :

-2060 je pense. Je les ai quitté environ trente ans auparavant.

J'ai révisé mes leçons d'histoire. Et je sais exactement ce que signifie cette sombre date.

-Maman ! 2060, c'est...

-La fin de la dernière guerre mondiale. Je le sais Ysaïne... Mais justement, je veux savoir ce qui leur est arrivé ! Je le désire depuis si longtemps sans avoir jamais osé le faire...

Je ferme une nouvelle fois les yeux quelques secondes. Je lâche enfin dans le silence de la pièce :

-Ça sera l'heure la plus longue de ma vie Maman.

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