Ysaïne (Chapitre 114)

Je n'avais pas prévu de demander ainsi à Idwin de ne pas me quitter. Mais j'en ai ressenti le besoin avec une rare violence. Et maintenant la colère qui m'embrase le cœur semble augmentée d'un sentiment indéfinissable qui me détruit de l'intérieur. Je ne peux regarder Edilyn sans sentir mes doigts glisser lentement mais inexorablement pour appuyer sur la détente.

Qu'est-ce qu'elle me ressemble... Une nouvelle larme roule sur sa joue. Je repense à Christian et à la peur proche de la panique que je ressens toujours pour lui. Derrière cette porte... ma mère n'attendra pas éternellement. Ni nos soldats.

Mais je sais que tous, excepté Azylis peut-être, veulent la mort d'Edilyn. Et je la désire aussi de toute mon âme. Alors pourquoi est-ce que je n'arrive pas à appuyer sur la détente ?

Pourquoi est-ce que mon regard dévie toujours sur les trois autres personnes de la pièce ? Le regard d'Esteban me paraît le plus meurtri et je devine que ma supplique à Idwin en est la cause. Mais je ne peux m'en vouloir... la tristesse et la haine occultent tout autre sentiment.

-Comment était mon père ?

Les mots sont sortis de ma bouche sans que j'ai l'impression de les avoir prononcé. Edilyn me regarde. Elle murmure finalement :

-Courageux. Aventurier. Merveilleux. Je... Je regrette Ysaïne. Vraiment... Il y a beaucoup de choses que je referai sans hésiter. Mais pas Gabriel. Si j'avais pu empêcher sa mort... Crois-moi, je l'aurai fait.

Qui voit-elle soudain devant elle ? Je n'ai pas l'impression que c'est à moi qu'elle s'adresse. Elle ne pense qu'à mon père et c'est lui qu'elle supplie. Quelque chose se fige dans mon âme tandis qu'Edilyn reprend tout à coup :

-Tu devrais tirer maintenant. Je crois que la colère est en train de m'envahir de nouveau... Je suis dangereuse...

Elle me fixe et je sens ma haine se muer en peur. Moi aussi je ressens au fond de moi cette colère qui me fait agir sans réfléchir, me rend incontrôlable... La blessure de Christian et mon père que je commence à tant admirer sans l'avoir connu...

Mais puis-je pour autant tirer ? J'ai l'impression d'être à la croisée des chemins et mon rythme cardiaque s'accélère un peu plus. Je repense aux yeux bleus de ma mère. À son sourire lorsqu'elle me regarde et qu'elle pense que je ne la voie pas...

À Maly. À ce robot si incroyablement vivant... La voix rauque je murmure :

-Pourquoi avoir enlevé la mémoire du robot ? C'était de la cruauté inutile...

Edilyn ne me quitte plus des yeux. Son regard semble s'assombrir tandis qu'elle répond dans un murmure :

-Ça ne fait pas parti de mes regrets.

Ma poigne se raffermit sur l'arme. Mais Edilyn ajoute dans un murmure :

-J'ai fais copier ses mémoires avant de les lui ôter. Elles sont conservées dans mes appartements... Je n'ai pas pu les lire parce que le mélange des doubles personnalités les rend indécodables.

Je baisse de quelques centimètres mon revolver et demande d'une voix différente :

-Pourquoi me dire cela ?

Elle me fixe quelques secondes en silence. Puis murmure :

-Je suppose que l'on est différente lorsque l'on va mourir.

Je ne trouve rien à répondre. D'autres images se bousculent dans ma tête sans me laisser une seconde de répit. Dans cette manifestation qui a changée à jamais ma vie... Quand j'étais enfant et que je sentais la douleur de mon bras, dû aux balles des gardes d'Edilyn...

Le chat. Souvenir d'une autre vie que je ne voulais pas complètement oublier malgré moi. Azylis. Et surtout mon père.

Gabriel Astra. Le célèbre prince... qui refusait de s'en prendre à sa sœur. À ma place qu'aurait-il fait ? Elle avait tué ses parents !

Deux larmes roulent sur mes joues. Je reprends la parole sans regarder aucune des autres personnes de la pièce. J'ai l'impression que nous sommes seules, Edilyn et moi. Et que tout se joue aujourd'hui dans cet étrange ballet.

-Je ne peux pas vous laisser vivre après tout ce que vous avez fait. Je n'ai pas le choix.

Mais la voix d'Ezeor résonne alors. Je ne me retourne pas vers lui mais ses paroles me frappent de plein fouet.

-On a toujours le choix princesse...

Il a raison. La vérité me déchire l'âme et les doutes m'envahissent de nouveau. Je baisse alors tout à coup le bras. Si j'avais vraiment voulu tuer Edilyn, ce serait déjà fait.

Je murmure :

-Vous avez raison. Je ne peux pas faire ce que mon père refusait. Majesté, je ne sais pas quel sera votre sort. Mais je vous protégerai, de ma vie s'il le faut.

Edilyn pâlit. Elle recule d'un pas et son coude heurte la vitre derrière elle. Elle laisse échapper quelques mots :

-Non... Non tu ne peux pas faire ça ! Tu ne peux pas lui ressembler à ce point !

Un fantôme entre nous. Dans cette salle où tout semble à la fois se détruire et recommencer... Idwin s'avance derrière moi et pose la main sur mon épaule comme ma mère l'a fait une heure auparavant.

-Ysaïne, je ne t'oublierai jamais. Mais toi, oublie-moi je t'en prie. Je n'ai jamais été celui qui pouvait te correspondre.

Je ne veux pas le regarder. Je refuse qu'il voie la peine qui vient s'ajouter à celle que je ressentais déjà. Je pensais pourtant avoir fait une croix sur le prince de l'Eveland... Mais mon cœur me démontre bien le contraire.

Je me retourne alors brusquement vers lui et crie :

-Et puis non ! Idwin, tout le monde a le choix, c'est ton père qui le dit... Pourquoi rejoindre un homme qui ne t'a jamais aimé ?

Ezeor s'avance alors et je l'aperçois comme à travers un songe. Quelque chose d'indiscernable semble avoir changé en lui lorsqu'il murmure :

-Vous vous trompez princesse. Nous construirons à deux une nouvelle relation... Un nouveau départ.

Je regarde Idwin. Il hoche la tête avec tristesse mais se range aux côtés de son père.

-Je l'ai choisi Ysa...

Ont-ils compris qu'ils étaient libres ? Je le suppose. Mon attitude, d'une manière ou d'une autre a dû le leur laisser percevoir. À moins que la reine déchue le leur ai dit.

Edilyn n'a pas bougé. Mais elle reprend la parole et sa voix est un peu plus étrange lorsqu'elle s'adresse à moi.

-Ne te trompe pas de personne Ysaïne. Ne gâche pas ta vie pour rien. La fille de Gabriel mérite mieux que ça...

Et ses yeux lancent un bref éclair. Je suis son regard pour tomber sur Esteban qui dérobe le sien. Sa douleur est pourtant si visible.

La gorge serrée, je me décide à relever la tête.

-Peu importe. Esteban, Ezeor... Idwin, vous êtes sous protection de l'état. Altesse, vous êtes pour le moment constituée prisonnière en attente de jugement.

C'est à ce moment précis que la porte s'ouvre derrière moi. Je tressaille avant de me retourner lentement.

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