Ysaïne (Chapitre 108)

-ASSEZ !...

L'ordre résonne dans toutes les oreillettes avec une force telle que tous s'immobilisent aussitôt. Même sans avoir d'appareil d'écoute, je l'ai distinctement entendu. Les gardes noirs au milieu de nous aussi.

Et il se passe quelque chose d'assez stupéfiant : tout le monde obéis. Les armes s'immobilisent et pendant quelques secondes, on n'entend plus rien. La plupart d'entre nous sont encore dans le grand hall, moi y compris. Mais une percée à été effectuée et ma mère semble avoir réussi à gagner le balcon où se joignent les deux escaliers monumentaux...

Je lève la tête tout en gardant ma main serrée sur mon arme, le corps entièrement tendu dans l'attente du moment où le combat va brusquement reprendre. J'ai perdu de vue Camille lorsque nous nous sommes jointes aux combattants et je cache mes cheveux bleus derrière une capuche noire. Je ne suis pas suicidaire non plus...

Mais le silence est toujours là, pesant. Personne n'ose plus lever les yeux vers ma mère qui s'apprête à de nouveau prendre la parole. Mais cette fois-ci pas dans les oreillettes. Elle s'adresse à tous.

-Gardes noirs ! Vous savez que vous avez perdu... Je ne veux plus qu'un seul homme tombe aujourd'hui. Alors, s'il vous reste un minimum d'espoir d'une vie meilleure, rendez-vous !

Le silence est toujours aussi palpable. Les gardes que nous combattons depuis je ne sais combien d'heures ne bronchent pas.

Je prends alors le plus grand risque de toute ma vie et m'avance en avant. Deux hommes braquent aussitôt leurs revolvers vers moi. Je ne sais pas ce qui me prend. Mais je sais que je ne pourrai pas faire autrement.

J'ai l'impression de vivre comme je n'ai jamais vécu en sentant au plus profond de moi mon sang battre avec violence dans chacune de mes veines, me rappelant le danger auquel je m'expose.

-Vous vous battez au nom de la reine ! Au nom de la royauté... C'est cela que vous défendez n'est-ce pas ?

Le silence semble changer de sens. La tension grimpe encore mais je ne baisse pas les yeux. Une voix loin derrière moi résonne :

-Non ! Ysa ne fais pas ça ! C'est trop...

Je sens ma résolution se raffermir au contraire de ce que voudrait mon lointain interlocuteur. J'ai reconnu la voix de Christian. Je résiste à l'envie de lever les yeux vers ma mère. Je crois que je peux deviner aujourd'hui exactement ce qu'elle ressent. Une horreur mêlée d'une étrange fierté... Je crois que je peux également dire que je lui ressemble aujourd'hui et c'est avec un léger sourire montant aux lèvres que je reprends la parole d'une voix forte face à cette foule silencieuse pour m'écouter.

-Je la représente ! Votre royauté !...

J'ôte ma capuche d'un geste brusque et une cascade de cheveux bleus me tombent brusquement sur les épaules et dans le dos.

Je ne m'arrête pas aux murmures de stupéfactions qui retentissent, sortant de la bouche des gardes noirs. La tension est à son comble parce que je sens soudain -et c'est un sentiment très étrange- que chacun de nos soldats est prêt à donner sa vie pour moi.

J'élève de nouveau la voix.

-Je suis celle qui aurait dû être votre reine ! Je ne le souhaitais pas. Mais j'ai changé... Ceux qui ne se sentent pas concernés par la bataille d'Astra ont tort. Nous sommes tous concernés. Moi plus que quiconque... Et je suis d'accord avec ma mère aujourd'hui. Nous savons qui est le vainqueur. Pourquoi continuerions nous de nous entretuer pour le seul plaisir d'Edilyn ? Nous sommes tous des citoyens du plus beau pays du monde ! Mais vous, les célèbres gardes noirs, vous avez fait alliance avec notre ennemi de toujours ! En quoi nos affaires concernent t-elles le roi de l'Eveland ? Nous sommes à Astra ! Si vous nous rejoignez aujourd'hui... L'impunité totale vous sera accordée. Il n'y aura aucune poursuite.

Est-ce une impression ? Les armes se sont légèrement abaissées et les doigts sont moins crispés sur les crosses des pistolets. Une voix résonne soudain :

-Je ne vous crois pas ! La fille de Gabriel ? Qui espérez-vous convaincre ?

J'ai beau fouiller la marée de visages en face de moi, je ne peux voir celui qui vient de parler. Mais avant que j'ai pu répondre, une femme à la démarche rapide s'avance vers moi. Elle porte l'uniforme des gardes noirs mais je ne bronche pas. Son arme est pointée sur ma poitrine mais je sais que si je fais seulement le geste de lever la mienne, l'enfer recommencera aussitôt. La peur m'empoisonne de l'intérieur mais elle lance soudain avec un petit sourire des paroles à l'opposé de ce que je pensais qu'elle allait dire.

-Moi je la crois. Je serais une parjure pour rompre mon serment de fidélité à Edilyn mais je le fais. Princesse, je suis à vos ordres.

Il y a un petit mouvement de flottement dans la salle. Et brusquement, les gardes noirs semblent changer. L'un d'eux lance :

-Elle ressemble tant à Edilyn ! L'avez-vous vu ? Je la suis aussi ! Cette bataille est perdue alors... Je préfère aider le bon côté plutôt que m'obstiner sur le chemin que j'avais choisi.

Les cris résonnent de partout. Je me retrouve soudain entourée de dizaines de gardes en uniforme et malgré moi ma gorge se serre un peu plus. La peur me tient dans un étau qui me broie de l'intérieur : tout le monde est encore armé.

Il me semble de nouveau entendre la voix de Christian et même l'apercevoir.

-Ysaïne, fais attention !...

Mais je ne l'écoute pas. Parce qu'aujourd'hui plus que jamais, dans ce palais ou j'aurai pu grandir, plane l'ombre de ce père que j'aurai tant aimé mieux connaître comme je m'en rends soudain compte avec une acuité particulière.

Je me fraye alors un chemin dans la foule armée et gagne les marches de l'escalier sur ma gauche. Les gens s'écartent comme devant une reine et je résiste à une pensée angoissante : suis-je vraiment faite pour ça ?

Je trouve tellement plus facile d'être une voleuse et de me poser pour toute question celle de savoir où sont conservés les bijoux de la couronne. Maintenant j'ai la réponse mais je ne peux plus penser de la même façon en voyant cette véritable haie d'honneur composée de ces gens qui se battaient encore il y a à peine quelques minutes.

Je relève alors les yeux vers le balcon central. Ma mère est là, avec ses jolis cheveux blonds en bataille et ses yeux bleus un peu trop brillants. Maly, le petit robot à la peau violette, m'adresse un sourire complice et amusé. Les lèvres de ma mère forment mon nom mais je ne peux l'entendre car des "hourras" se mettent soudain à résonner autour de moi. Une main se pose sur mon épaule et je me retourne en tressaillant.

-Christian !...

Ses yeux me paraissent fiévreux et il murmure :

-Super ce que tu as fait princesse mais maintenant monte le plus vite possible sur le balcon... Tout le monde n'est pas d'accord.

Je me dégage presque brutalement et réponds dans un murmure qui passe inaperçu dans l'étrange ambiance du moment et les cris de joie qui veulent tellement croire que tout est terminé.

-Je n'ai pas besoin de ton avis, lâche-moi !

Je lui tourne le dos et continue de grimper les marches. Mais il se passe alors deux choses simultanées :

Un cri résonne suivi du bruit d'une détonation. Et quelqu'un se précipite dans mon dos. Je me retourne juste à temps pour cueillir dans mes bras Christian qui s'écroule, une tâche rouge s'élargissant sous mes yeux effarés sur sa cheville.

L'homme qui a tiré est en train de se faire mettre en pièce par la foule. Mais je vois trouble soudain. Qu'est-ce que j'ai cru ? Que j'étais la plus forte ? Que je n'avais plus besoin d'aide ? Le cri qui jaillit de ma gorge me déchire et je me surprends à espérer plus fort que je ne l'ai jamais fais auparavant dans ma vie.

-Christian ! Christian, je t'en prie !... Non ! Ne... Ne meurs pas !

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