Ysa (Chapitre 39)

J'entends quelqu'un crier mon nom. Esteban sans doute. Mais qu'a-t-il dit exactement ?

Je n'ai pas le temps de m'en préoccuper car une pluie de morceaux de verre continue de pleuvoir sur nous tandis que le sol s'écroule par pans entiers. Il y avait deux bombes... Une lancée sur le balcon -sans doute depuis un aéronef- et l'autre dans la salle du dessous.

Je me relève péniblement en constant au passage que je suis couverte de sang mais que cela semble superficiel. Mais les autres ?

Saisie pour l'une des première fois de ma vie d'une peur panique pour quelqu'un d'autre que moi, je fouille le sol des yeux, à la recherche de ce cher monsieur le maire et des deux princesses.

Comment peut-on chercher à tuer deux enfants au simple nom d'idées ?

Un gémissement retentit devant moi et je m'avance de deux pas dans un brouillard constitué de poussière et de morceaux de plâtre et de verre qui continuent de tomber du plafond.

Mon pied heurte un corps immobile et je m'empresse de me pencher pour saisir l'une des princesses dans mes bras. Le soulagement m'envahir lorsque je la sens passer les bras autour de mon cou.

-Laquelle es-tu ?

-Es... Eslimea.

La peur brille dans ses yeux et le sang qui coule de deux de ses blessures me fait peur. Je fais demi tour vers la porte en la gardant dans mes bras sans lui répondre. La poussière et les éléments qui tombent toujours du plafond m'empêchent toujours de voir devant moi.

-Esteban ! Esteban !...

J'entends une voix plus au centre de la pièce, là où c'est le plus dangereux. Des trous béants dans le sol cachés ça et là par la poussière constituent les principaux pièges et j'hésite quelques secondes. Mais je me décide brusquement, dépose délicatement Eslimea contre le mur avec un sourire crispé initialement destiné à la rassurer, avant de me diriger à tâtons vers Esteban. Je l'atteins et me penche à son niveau.

Un énorme morceau de verre est planté dans son abdomen et son regard me paraît légèrement voilé. Je m'agenouille à son niveau, sentant la panique m'envahir. Comment m'en sortir ? Ou est Saldya ?

Mais Esteban attrape ma main et laisse échapper un râle :

-Il... Il y a quelque chose que tu dois savoir...

Je récupère ma main avant de répondre en commençant à essayer de le soulever :

-Aucune importance pour le moment. Comme tu te débrouilles toujours pour m'embêter, me voilà obligée d'essayer de te sauver la vie...

-Ysa...

-Franchement, tu pourrais essayer de maigrir. Ce que tu es lourd !...

Je parle pour tenter de cacher mon anxiété et la sueur dégouline sur mon front. Quelque chose en moi refuse d'entendre ce qu'il va dire.

-Ysa ?

-Mmm...?

Je sursaute lorsque juste à notre gauche un pan entier du sol tombe brusquement sans prévenir. J'ai l'impression moi même d'être sur une surface mouvante. Mais Esteban ne me laisse pas souffler :

-Ysa, cherche d'abord l'autre princesse... Je t'en supplie.

J'hésite pendant deux mortelles secondes. Il ajoute :

-Je suis fidèle aux princes tu sais. J'ai fais serment de leur donner ma vie s'il le fallait. Alors je t'en prie...

Je lis dans ses yeux qu'il dit la vérité. Qu'il ne pourrait vivre en ayant abandonné Saldya.

Je pousse un juron et le laisse tomber pour m'éloigner en rampant le long d'une poutre métallique. J'entends Esteban ajouter dans mon dos :

-Elle était la plus exposée... Devant le balcon.

Là où il y a le grand vide ? La peur fait toujours battre mon cœur tandis que je rampe sur le sol. Un lustre de verre décoratif s'écrase brusquement à deux mètres de moi et des milliers de morceaux de verre de toute taille me percent tout le côté droit.

Mais je n'ai pas le temps de les enlever. Ni d'essayer de voir si mes blessures sont graves ou non.

-Saldya... Saldya !

Il me semble que ma voix ne porte pas à plus de quelques centimètres tant elle est cassée par mes émotions. Je m'immobilise tout à coup et un grand vide m'envahit. Je viens de la voir.

Allongée à deux mètres devant moi, parfaitement immobile, yeux fermés et le visage trop pâle. Un trou béant nous sépare et je sens une tristesse sans nom m'envahir. À quoi rime cette guerre ?

Comment atteindre l'enfant ?

-Saldya ! Saldya...

Ma voix monte d'un ou deux octaves lorsque je me rends compte qu'elle ne réagit toujours pas. Je m'approche au bord extrême du trou et glisse un coup d'œil. La pièce du dessous n'est pas en bien meilleur état... et si je ne vois rien j'entends les cris.

Une fine bande de sol laisse un petit espace entre Saldya et le trou. Je peux peut-être sauter...

J'hésite tout à coup. Pourquoi est-ce-que je risquerai ainsi ma vie ? Mais c'est sans compter sur mes sentiments qui me poussent à ne pas la laisser tomber. Et puis, ce ne serait pas juste. La sirène s'est tue depuis longtemps mais j'ignore si c'est ou non une bonne nouvelle.

J'inspire. Pour sauter je vais devoir me relever... D'abord les bras pour se redresser. Les éclats de verre fichés dans ma chair m'arrachent un pur cri de douleur. Le bruit d'autres explosions m'empêche d'entendre quoi que ce soit mais de toute façon Saldya n'a même pas réagi.

Je suis debout. Chacune des parties de mon corps me fait atrocement souffrir mais je réussis à réprimer un nouveau cri. Il va falloir sauter...

Je recule de deux pas et manque de tomber. Je ne me rattrape que de justesse puis m'élance sans plus réfléchir. Je ne suis pas certaine d'en avoir encore le courage si je m'arrête...

Je survole pendant quelques secondes le vide avant de m'effondrer, une jambe dans le trou et l'autre ainsi que mes mains sur le sol. Je me hisse en grimaçant de douleur et ramène contre moi l'enfant si désespérément immobile.

Je la prends dans mes bras et remarque alors le sang à terre. Respire-t-elle toujours ? La peur qui me saisit alors est si puissante que mon cœur rate un ou deux battements avant de poursuivre sa course folle.

La main tremblante, je vérifie sa respiration.

Elle est encore en vie.

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