Ysa (Chapitre 37)
La tension est à son comble dans la pièce. Esteban et moi sommes face à face dans le salon privé des jumelles et nous attendons l'arrivée de Saldya.
Je ne lui ai pas pardonné d'avoir été si mystérieux et exaspérant la dernière fois. De son côté, monsieur le maire reste enfermé dans un mutisme buté.
Les minutes passent et je sens une curieuse inquiétude m'envahir. Allons, bon, commencerais-je à m'attacher à une folle petite princesse ?
Alors que je m'apprête à me lever et à partir à la recherche de renseignements, la porte gauche du salon s'ouvre et l'une des princesses s'avance vers nous. Esteban se tourne vers l'enfant avec un sourire et prend la parole en se levant déjà de son siège :
-Bonjour, Saldya... Tu vois comme promis nous voilà à ton rendez-vous...
Je me lève moi aussi mais secoue la tête en croisant le regard de la gamine.
-Tu n'es pas Saldya pas vrai ?
Et sans attendre de réponse, j'ajoute d'un ton nonchalant :
-Salut Eslimea...
Esteban me lance un coup d'œil exaspéré tandis que la gamine me dévisage avec une stupéfaction qu'elle ne cherche pas à cacher. Elle répond froidement :
-Comment l'as-tu vu ?
Je me rassois dans mon siège, croise posément les jambes puis me décide enfin à répondre :
-Vous n'avez pas du tout la même façon de vous tenir. Tu as tout le temps une telle attitude de défi...
Pourtant ce n'est pas tout à fait exact. Il me semble que quelque chose a changé dans le regard d'Eslimea aujourd'hui par rapport à la dernière fois que je l'ai vue. Elle semble plus fragile. Comme si elle avait fait quelque chose qu'elle ne se pardonnait pas.
Et effectivement, moi qui m'attendais à la voir se mettre en colère devant mon attitude, elle se contente de nous dévisager presque avec hésitation Esteban et moi avant de demander doucement :
-Je peux rester avec vous ?
Je remets une boucle de mes cheveux reteints en noir et ce geste attire le regard d'Eslimea qui laisse échapper un léger tremblement. Bon sang, qu'est-ce qui a pu la faire autant changer en quelques jours ?
La jeune princesse s'assoit dans un fauteuil sans attendre de réponse -un reste de son ancienne attitude me semble-t-il- et Esteban se laisse tomber de nouveau dans son siège. Il la calme d'un sourire enjôleur en ajoutant :
-Bien sûr que tu peux rester... Votre altesse, se reprend-t-il.
Il est amusant de voir que nous n'adoptons pas la même attitude avec les deux sœurs. Mais Eslimea s'empresse de corriger avec un éclair de peur inexplicable dans les yeux :
-Non ! Je veux dire... Vous pouvez me tutoyer et m'appeler par mon prénom.
Pile à ce moment, l'une des portes du salon se rouvre et Saldya entre à son tour. S'étaient-elles mises d'accord ? L'idée m'effleure avant que je l'écarte d'un haussement d'épaules. Quelle importance qu'Eslimea ait voulu nous parler avant ?
Sans que je m'y attende, Saldya se précipite vers moi et je me lève tandis qu'elle se rue dans mes bras. Je la fais tourner sur elle-même en éclatant de rire joyeusement et ajoute à voix haute :
-Dis donc, c'est correct d'être si spontanée pour une princesse ?
Vu la figure étrange d'Eslimea, certainement pas. Elle nous fixe d'un regard d'envie mêlée de peur qui m'effraie. Que s'est-il passé ?
Mais Saldya va ensuite vers Esteban et ils échangent quelques plaisanterie en riant toujours. Le jeune homme paraît s'amuser et je me prends à regretter notre dispute avant de me gifler mentalement. C'est un bel imbécile arrogant.
Je demande alors depuis mon confortable fauteuil :
-Alors les princesses, qu'est-ce-que vous voulez qu'on fasse pour vous ?
Saldya échange alors un sourire complice avec sa sœur. Eslimea murmure :
-Un dragon perché ?
Esteban ne retient pas son amusement et bondit de son canapé pour attraper Saldya en s'exclamant :
-Touchée !
-Euh ! C'est illégal !
Même pour les mots qu'elles emploient, elles sont trop adultes. "C'est illégal" au lieu de "ce n'est pas du jeu". Mais cela ne m'empêche pas de courir dans tout le salon quelques minutes plus tard.
Eslimea participe autant que sa sœur au jeu et je la vois petit à petit se détendre. Elle recommence à retrouver son masque de supériorité et de défi... Comme s'il représentait sa vraie nature.
Je ne dis rien et me contente de songer que si chacune de nos entrevues ressemble à celle-ci, je risque bien de devoir améliorer mon exercice physique. Je dois dire que monsieur le maire m'impressionne...
Il court partout, juste pour les faire rire, et semble heureux. En revanche, chaque fois qu'il me regarde, c'est avec colère, ce qui me met en rogne.
Alors que je m'apprête à rattraper une nouvelle fois Saldya, nous nous immobilisons tous soudainement.
Eslimea est très pâle. Elle murmure :
-La sirène...
Elle échange un regard avec Saldya qui pâlit également.
-L'alarme...
Une sirène à nous vriller les oreilles s'est en effet déclenchée et l'inquiétude des jumelles est contagieuse. Par réflexe, je me tourne vers Esteban et demande avec une anxiété grandissante :
-Mais qu'est-ce qui se passe ?
Il ne me répond pas et je l'incendie des yeux avant de me tourner vers les jumelles. Me regardant avec une fascination dérangeante, Eslimea murmure :
-Ce sont les rebelles...
-Que veux-tu dire ?
-Je... Je crois qu'une armée de révoltés à attaqué une ville du Nord. Alors... À Ivy les gens sont en train de se révolter aussi en suivant leur exemple.
La peur des jumelles me paraît soudainement si justifiée qu'il me faut quelques minutes pour me forcer à demander :
-La sirène signifie qu'ils attaquent le palais ?
Saldya hoche gravement la tête et j'entends Eslimea murmurer pour elle-même :
-C'est tellement injuste...
Esteban l'a entendue aussi mais il ne fait aucune remarque. Et moi j'ai de plus importants problèmes à régler. Je n'ai absolument pas l'intention de me laisser faire.
-Que peut-on faire pour se défendre ?
Eslimea lève un regard résolu vers moi tandis que Saldya esquisse un mouvement de recul instinctif. Sa sœur rétorque :
-On peut aller rejoindre les gardes.
-Parfait, alors moi j'y vais. Monsieur le maire, vous n'avez qu'à veiller sur les princesses.
Je me dirige déjà vers la porte lorsque Eslimea me rejoint avant que les autres aient réalisé ce que je viens de dire.
-Je viens avec toi.
C'est à ce moment là que la bombe explose. Et que la pièce vole en éclat.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top