Ysa (Chapitre 26)
-Eh bien tu es folle !
Il me jette un regard de profond mépris et je lui réponds sur le même ton, sentant la colère m'envahir.
-Ah oui ? Et toi, qu'est-ce-qui t'a pris de m'obliger à accepter la proposition de Saldya ?
Il hausse les épaules sans détourner la tête.
-Cette gamine me fait pitié c'est tout. J'ai envie de l'aider et je me suis dits qu'à deux, nous y arriverions mieux que tout seul.
Voyez-vous cela ? Monsieur le maire a des sentiments... Pareils aux miens. Je secoue la tête avec agacement. La fatigue de cette nuit blanche commence à se faire ressentir.
-Pourquoi es-tu pour Edilyn ?
Je me mets à marcher en direction de la salle de téléportation au bout du couloir et il cale son pas sur le mien. Alors que je commence à croire qu'il ne me répondra jamais, il se décide à prendre de nouveau la parole.
-Je n'ai pas envie d'assister à une nouvelle révolution. Et je suis fidèle à la reine.
Je lui jette un regard à la dérobée lorsque nous entrons dans la salle.
-Mais pourquoi lui es-tu fidèle ?
-Parce que je suis fidèle à la monarchie par éducation et que j'attends toujours que l'on me prouve l'existence de cette fille de Gabriel.
Je déteste montrer mon ignorance. Mais j'ai beau fouiller les tréfonds de mon esprit, je ne trouve aucune allusion à cette enfant du prince. Ou si... peut-être une vague allusion de Jean à Astrala un jour.
"L'enfant d'un prince... Elle ne vaudra pas mieux que les autres."
Serais-ce de cette fille qu'il parlait ? Esteban annonce à la salle de téléportation le rez-de-chaussée et je me décide à lui demander à contrecœur :
-Que veux-tu dire ? On doit le savoir s'il a eu ou non une fille...
Esteban pose son regard sur moi un instant. Nous sortons de la salle et marchons rapidement dans le couloir. Mon cœur bat un peu plus vite Mais en passant devant les gardes noirs, je repense aux yeux clairs de Saldya. "Tu ne risques plus rien". Vraiment ? J'ai pourtant défié sa mère... Pour quelle raison ?
Allez savoir. C'est souvent plus fort que moi. J'inspire fortement et nous sortons à l'air libre pour rejoindre les rues de la ville. Il faut dire que pour sortir, les contrôles sont beaucoup plus souples que pour entrer...
-Alors, Esteban ?
Nous sommes sur le fin trottoir qui borde l'unique route à même le sol d'Ivy et qui traverse la ville en son centre en partant du palais d'Astra.
-Il... Il a eu une fille. Ça, on en est certain. Mais...
-Mais quoi ?
-Je pensais qu'elle était morte dans la manifestation.
Tout le monde sait ce que c'est que la manifestation à Astra. Personne n'a besoin de précisions pour comprendre. Mais lorsque j'affronte le regard neutre d'Esteban, je ne peux m'empêcher de tressaillir et de me sentir légèrement mal. Dans un geste instinctif, je pose la main sur mon bras. Remarquant ma gêne soudaine avec son regard à qui rien n'échappe, Esteban me demande calmement :
-Ysa... Qui a-t-il ?
-Rien...
Je lui jette un coup d'œil de biais et je dois faire cette fois-ci un véritable effort sur moi-même pour relever la tête. Je me décide à achever :
-Je déteste que l'on parle de cette manifestation. J'y... J'y étais.
Esteban reste si calme que je me demande un instant s'il a entendu ce que je viens de dire. Son regard me paraît si lointain et sa voix si froide lorsque qu'il reprend la parole que je ne peux m'empêcher de réprimer un bref mouvement de recul.
-Ysa... Tu t'en souviens ?
Je fouille dans mes souvenirs. Tout est si flou dans mon enfance... Mais j'éprouve un soudain besoin d'avoir quelque chose à lui répondre, comme pour me justifier, ce qui est ridicule.
-Il... Il pleuvait. Je me rappelle d'avoir eu mal au bras. De mes doigts rouges... Et des hommes qui tiraient.
Je fais une légère pause et une bourrasque de vent soulève mes cheveux. Je me force à achever :
-Une femme m'a sortie de là.
Je détourne soudain la tête, n'en pouvant plus. Est-ce la fatigue de cette nuit étrange ? Deux larmes s'échappent de mes yeux pour rouler sur mes joues. Astrala est morte... Même si elle a été très dure avec moi, je ne me rappelle pas que quelqu'un d'autre ce soit vraiment occupé de moi. Et elle m'a sauvé la vie ce jour-là...
Esteban murmure :
-Ce n'est pas possible...
Je me retourne vivement vers lui et demande d'une voix entrecoupée mais que j'essaie de nouveau de maîtriser.
-Qu'est-ce... Qu'est-ce qui est impossible ?
Il pose de nouveau les yeux sur mon visage et pour la deuxième fois en l'espace d'une soirée, j'ai l'impression qu'il y découvre un fantôme.
-Esteban ! Que se passe-t-il ?
C'est à son tour de détourner les yeux. L'immense rue est immense et nous ne bougeons pas. Nous devons être à environ cent mètres du palais. Il se décide à dire :
-Mon frère est mort dans cette manifestation. Ça me remue autant que toi c'est tout.
Son regard me semble fuyant et je devine qu'il me cache une partie de la vérité.
Je lui agrippe l'épaule et le force à me regarder.
-Mais tu ne me dis pas tout Esteban ! Qu'est-ce-que ça fait que j'y ai été ? Esteban !
Il se dégage sans un mot.
-Je t'ai dits il y a cinq minutes que j'étais fidèle à la reine. Cette manifestation, Ysa, c'est la faute de cette fichue Azylis ! Mon frère est mort à cause d'elle !
Et la colère illuminant soudain ses yeux, il ajoute :
-Et je ne veux rien avoir à voir avec elle. Ni avec son fantôme de fille.
Nous restons immobiles l'un en face de l'autre, tous deux parfaitement silencieux. La colère et l'incompréhension m'envahissent et je hurle à mon tour :
-Mais en quoi est-ce-que ça me concerne ?...
Il ne répond pas mais tourne les talons. Alors qu'il s'éloigne, il lance sans me regarder :
-À propos, les cheveux bleus ça te va très mal. À ta place je les garderai noirs. Et tu avais raison de ne pas désirer qu'on se revoie.
Je boue intérieurement. La colère ne me quitte pas et se répand dans chacune de mes veines mais je reste pour une fois silencieuse, ne trouvant rien à répondre. Que se passe-t-il ? Qu'est-ce-qui m'échappe ?
L'aube se lève et je jette un coup d'œil furieux au ciel orangé. Je frissonne dans ma robe de soirée et commence à me mettre à marcher résolument, dans la direction opposée à celle qu'a prise monsieur le maire.
J'ai eu tords de le trouver presque sympathique.
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