Ysa (Chapitre 24)
Le garde s'arrête tout à coup devant une grande double porte. Il paraît encore hésitant, mais la peur de ne pas obéir à Edilyn le retient de poser une nouvelle question. Après tout, Comment pourrais-je avoir le serpent bracelet si elle ne me l'avait donné ?
Je me force à prendre sur moi pour dire le plus calmement possible :
-Bien, merci beaucoup. Je dirais à la reine que vous êtes un excellent serviteur.
Il ne pipe pas mot et sans rien dire de plus je m'avance en avant et pousse le battant, sentant en même temps l'appréhension m'envahir de nouveau.
Je fais un pas dans la pièce sans me retourner et pénètre ainsi dans un grand salon. Pour deux enfants, elles sont bien logées... Lorsque je referme la porte derrière moi, je ne peux m'empêcher de penser que le lieu me fait sentir la différence entre nos deux éducations.
Je me mords la lèvre jusqu'au sang, me maudissant intérieurement. Pourquoi est-ce-que je me fais de telles réflexions alors que l'instant est si crucial ?
Je m'avance dans la pièce et regarde quand même un peu autour de moi, dévorée de curiosité et par habitude. Un voleur doit toujours repérer les portes de sortie...
Ici, il y en a trois. Des ouvertures, je veux dire. Celle par laquelle je suis entrée, et deux portes à chaque bout du salon. Mais les deux princesses dorment peut-être à cette heure-ci... Il doit tout de même être maintenant aux alentours de deux heures du matin. S'il le faut, je les réveillerai... J'ai besoin de connaître mon secret. Alors que je m'apprête à me diriger vers celle de gauche -choisie au hasard- elle s'ouvre brusquement et l'une des deux jumelles se précipite vers moi sans me regarder.
-Maman...?
Elle lève alors les yeux vers moi et recule brusquement. Laquelle est-ce ? Saldya ou sa sœur ? Eslimea n'aurait jamais reculé. C'est donc la bonne princesse...
-Saldya... Il fallait que je te revoie ! Est-ce... Est-ce qu'on peut discuter s'il te plaît ?
L'enfant relève deux yeux graves vers les miens. Ils sont tirés par la fatigue. Je suis une nouvelle fois impressionnée malgré moi par sa lassitude et ses pupilles trop assombries par des soucis qui ne sont pas de son âge. Elle murmure :
-Tu n'as pas le droit d'être là n'est-ce-pas ? Comment as-tu réussi à nous rejoindre ?
Je secoue la tête et lui adresse un sourire que j'espère sympathique.
-Saldya, ce n'est pas l'important. J'ai besoin de savoir ce que tu m'as caché tout à l'heure...
Elle ouvre alors de grands yeux effrayés et secoue la tête.
-J'ai promis !... Je ne peux plus rien te dire.
Et elle tourne déjà les talons pour s'éloigner mais je la rattrape rapidement.
-Saldya ! J'ai besoin de savoir, peux-tu le comprendre ? J'ai l'impression que ça met ma vie en danger, d'une façon ou d'une autre, et que tu le sais !
Elle secoue obstinément la tête sans oser me regarder dans les yeux, ce qui m'emplit de tristesse. Pourquoi est-ce-que je ne peux m'empêcher d'aimer cette petite princesse ? Parce qu'elle est tellement malheureuse... Mais elle murmure de nouveau d'une voix butée :
-J'ai promis.
-À qui ?
Je me dirige vers un fauteuil et Saldya me suit sans réfléchir. Nous nous asseyons l'une en face de l'autre. Je jette de fréquents coups d'œil à la porte mais mon anxiété passe inaperçue tant la jeune princesse fait d'effort pour éviter d'avoir à me regarder. Au bout de plusieurs longues minutes, elle se décide à me répondre.
-À Maman et à Eslimea.
Nous tournons en rond et l'heure passe... Mon anxiété grandit et je demande sans réfléchir :
-Elles sont où en ce moment ?
Saldya hausse les épaules mais affronte enfin mon regard. Elle reprend la parole avec tout à coup un petit sourire :
-Mais tu ne risques rien tu sais...
-Ah non ? Excuses-moi mais ce n'est pas tout à fait l'impression que j'avais...
Saldya rétorque en fronçant les sourcils :
-Eslimea est gentille et maman m'a donné sa parole...
Je dévisage la jeune princesse en retenant un léger mouvement de stupeur. Je crois que je viens de comprendre.
-Contre la tienne. Tu ne dois pas me révéler mon secret pour me protéger...
Elle acquiesce en silence mais je me lève brusquement de mon siège pour venir près du sien. Je m'agenouille sur le sol pour être à sa hauteur et la prend par les épaules doucement.
-Saldya, tu n'as que douze ans... Tu n'es pas obligée de faire tout ça !
-Je suis princesse.
-Et alors ?
-Ça implique des devoirs et des responsabilités.
Je me relève en laissant échapper un petit soupir. Je viens de comprendre qu'il est désormais inutile d'espérer comprendre le mystère qui m'entoure aujourd'hui. Saldya ne trahira jamais sa parole tant que cela peut me protéger... Étonnante enfant. Jamais je n'ai personnellement pensé aux autres comme elle. Mais un sourire vient tout de même fleurir sur mes lèvres lorsque je réponds calmement en résumant ma pensée :
-Alors tu es une formidable princesse Saldya... Et tu me ramènes à mes propres responsabilités... Je n'ai pas le quart de ta sagesse !
Perdant tout à coup son expression trop grave pour une petite fille, elle éclate joyeusement de rire et saute de son siège pour me rejoindre en lançant avec une mimique gentiment moqueuse :
-Mais tu n'aimes pas ma sœur...!
-Heu... Je n'ai pas dit ça...!
Mais je me joins à son rire et, pendant quelques secondes, j'oublie que je suis dans le palais d'une reine tyrannique, entourée de gardes noirs et dans une situation impossible, comme d'habitude.
Mais la réalité me ramène vite au présent lorsque j'entends la porte derrière nous s'ouvrir.
Je me retourne d'un bond mais Saldya est plus rapide. Elle est déjà devant le visiteur, un doigt sur ses lèvres et l'invitant à avancer en silence. Elle referme doucement la porte et j'étouffe une grimace mêlée d'un vif soulagement.
-Esteban...
Il fait à peu près la même tête que moi mais Saldya lui demande avec un grand sourire :
-Tu l'aimes ma nouvelle amie ?
Je suis heureuse de la voir redevenir enfant. Je voudrais l'aider et décharger un peu le poids qu'elle semble toujours avoir sur son cœur. Et le terme d' "amie" me fait chaud au cœur. D'autant qu'Esteban est maintenant pratiquement obligé d'acquiescer.
-Oui, oui Saldya je l'apprécie.
Il relève alors la tête vers moi et nous oublions nos vieux désaccords -principalement son mépris pour mon honorable carrière- pour échanger un regard franchement amusé.
Je demande à voix haute, de nouveau rassurée de voir que le visiteur n'est somme toute pas trop dangereux :
-Vous êtes amis vous deux maintenant ?
Saldya hoche la tête.
-Bien sûr ! Je ne pouvais pas ne pas le revoir après qu'il m'ait sauvé de cette foule... Même si sur le moment j'avais plutôt envie de lui fausser compagnie...!
Elle paraît alors sur le point de redevenir triste et je m'empresse de lancer :
-Alors je comprends mieux... Tu l'apprécies parce que tu n'as pas encore découverts ses vilains secrets !
Elle lève un sourcil puis demande d'une voix malicieuse :
-Quels vilains secrets ?
Je fais mine de réfléchir puis finis par dire :
-En fait mettons que je n'ai rien dit. Monsieur le maire est trop parfait...
Esteban darde sur moi son regard éternellement curieux puis esquisse un sourire.
-Mais tout le monde ne peut pas en dire autant, n'est-ce-pas ?
Je me raidis instantanément et il remarque ma gêne. Mélangée à une bonne dose d'exaspération, il faut bien l'avouer. Je ne suis pas vraiment douée pour reconnaître mes tords... Mais Saldya nous tire déjà de ce mauvais pas en me lançant :
-Ysa, on s'est mis d'accord avec Esteban, il vient me voir deux fois par semaine, après ses entrevues de politique avec Maman. Tu ne voudrais pas venir en même temps ?
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