Thaïs (Chapitre 31)

Je suis assise sur une couchette dans une chambre impeccablement blanche. Des lumières au plafond donnent un éclairage plus que suffisant mais je commence à me sentir un peu claustrophobe.

Georges et Sandra sont dans la pièce d'à côté et Aevin franchit justement la porte de notre petit appartement -je ne trouve pas d'autre mot pour les deux pièces qu'ils nous ont attribuées-. J'en profite pour me lever d'un bond et apostropher gentiment mon mari.

-Aevin ! Je n'en peux plus... Pourquoi me gardent-ils ici ? Je ne suis plus malade !

Il hausse les épaules et un sourire amusé fleurit sur ses lèvres.

-Désolé Thaïs, je ne dois pas être le seul à te trouver trop fragile...

J'esquisse une grimace mais, avant que j'ai pu répliquer, je vois Aevin froncer les sourcils et je devine que quelque chose ne va pas.

-Aevin ? Que se passe-t-il encore ?

Il s'assoit sur un siège rond en face de moi et hausse les épaules avant de répondre.

-Je t'ai dit que les Saganais étaient... superstitieux.

Je ne comprends toujours pas le problème. Je demande calmement :

-Oui mais en quoi est-ce-que cela nous concerne ?

Aevin relève la tête vers moi.

-Tu voulais sortir d'ici ? Tu vas être ravie. Nous avons droit à une entrevue très spéciale avec leur prophétesse...

Il me faut quelques minutes pour comprendre ce que je viens d'entendre.

-Aevin... Je ne sais pas qui sont ces gens là mais ils ne m'ont pas donné l'impression...

Mon mari ne me laisse pas poursuivre et je devine l'anxiété qui l'anime au fond de ses prunelles, ce qui n'est pas fait pour me rassurer.

-Thaïs, je crois qu'ils attachent une importance énorme à ces choses-là. Si la prophétesse ordonne de nous tuer par exemple...

Je pâlis soudainement et demande :

-Tu veux dire qu'elle est chargée de statuer sur notre sort ?

-Eh bien oui. Ou quelque chose du même genre.

Je ne relève même pas cette fois-ci. Sa voix ne me donne plus vraiment envie de chercher à en savoir plus. Une boule d'anxiété me serre soudainement la gorge et alors que je m'apprête à ouvrir la bouche pour dire je ne sais quoi, la porte de l'appartement s'ouvre et une indigène nous fait signe de la suivre.

Sa beauté est impressionnante. Elle n'a pas plus de vingt ans et la lumière qui circule sous sa peau lui donne un air légèrement surnaturel que je ne peux que trouver fascinant.

-Aevin, les enfants ?

Mais l'indigène, comme si elle m'avait compris, agite la main dans un geste rassurant et une image envahit mon esprit : quelqu'un va venir s'occuper d'eux.

Sans nous concerter, Aevin et moi nous avançons alors et je franchis la première la porte. Je n'ai pas l'impression que nous ayons le choix de toute façon... Je me sens toujours terriblement tendue mais en même temps terriblement curieuse. Consignée dans ma chambre de convalescente, je ne connais rien de leurs fameuses villes souterraines...

Dès que nous sortons dans le couloir, deux jeunes gens habillés de combinaisons intégralement noires viennent se poster derrière nous. De toute évidence, mon pressentiment était justifié. Nous sommes surveillés...

Je me mets à marcher derrière la jeune femme dans le couloir sombre mais lorsque nous franchissons un coude, je ne peux que m'immobiliser quelques instants.

Comment rester insensible au paysage ?

Quelque chose comme une gigantesque fosse -mais ce n'est pas le mot adapté- s'enfonce dans le sol inexorablement. Il me semble que je ne peux pas en voir le fond. Des couloirs en font le tour à chaque étage et s'enfoncent dans l'épaisseur des murs. Si j'en juge de la taille de cette place, la ville doit être gigantesque... Autant en profondeur qu'en longueur.

Mais ma guide nous fait signe avec insistance de la suivre et nous quittons le couloir extérieur pour nous enfoncer de nouveau dans les couloirs internes.

Aevin marche juste à côté de moi et je ne peux m'empêcher de me pencher légèrement vers lui pour dire :

-Cela m'exaspère de ne pas pouvoir leur parler. Il y a au moins deux questions que je me pose...

Aevin esquisse un sourire.

-Pourquoi est-ce-qu'ils sont tous aussi jeunes et la raison de leurs villes souterraines ?

Je lui lance un regard rieur.

-Tu lis dans mes pensées maintenant ? Tu es toi aussi télépathe ?

Il éclate de son rire franc que j'apprécie tant et répond rapidement :

-Non, mais je me suis posé exactement les mêmes questions. Pour leur jeunesse, j'en ai trouvé la raison je crois.

-Ah oui ?

-Tu dois te rappeler de la propriété des fleurs ?

Je marque un temps d'arrêt au milieu du couloir de nouveau et nos trois accompagnateurs me font un signe vif d'avancer.

Je m'exécute en répondant à Aevin :

-Bien sûr ! Je ne comprends pas que je n'y ai pas naturellement pensé... Mais la ville souterraine ?

Il hausse les épaules.

-Alors là aucune idée. J'ai beau me tourner et me retourner l'esprit dans tous les sens, je ne comprends pas. À croire qu'il y a un danger extérieur ou une mystérieuse raison que nous ne connaissons pas...

J'acquiesce avant de me demander intérieurement si la lumière qui les entoure ne serait pas une évolution due à leur environnement. Mais je n'ai pas le temps de réfléchir plus que nous arrivons au bout d'un nouveau couloir cette fois-ci entièrement plongé dans le noir.

Mais nous ne restons pas longtemps dans l'obscurité car une double porte s'ouvre alors et nous nous avançons rapidement de l'autre côté des battants.. Je dois vivement me mordre les lèvres pour retenir un cri de surprise.

On se croirait sur le quai d'une gare... souterraine bien sûr. À ceci près que ce ne sont pas des rails devant nous mais deux grandes barres métalliques, une au sol et une au plafond, ou ce que j'appellerai une navette est parfaitement emboîté. Nous grimpons sans en attendre l'ordre dans le drôle de véhicule qui ne doit comporter qu'une dizaine de place et l'appareil s'ébranle aussitôt. Il coulisse sur les barres métalliques... Alors que nous plongeons à grande vitesse dans le noir vers une destination qui m'est inconnue, je remarque quelques saganais sur le mince trottoir qui semblent attendre la prochaine navette.

Mon regard quitte alors la vitre pour se focaliser sur le petit intérieur. Il ne contient que quelques sièges et tables. En plus de nous et de nos trois accompagnateurs, je remarque la présence de quatre adultes et d'un petit garçon de dix ans peut-être -selon mes critères, et je ne sais pas si ce sont les mêmes pour eux-.

Il ne peut pas détacher son regard de moi semble t-il et lorsque je vais m'asseoir dans l'un des sièges, il se détache de sa mère pour s'avancer à petits pas vers moi.

Je ne peux retenir un sourire en le détaillant. Il est vêtu d'une combinaison à sa taille, élégante, et ses cheveux tirent sur un marron clair. Sa peau est bronzée mais seules les mystérieuses raies lumineuses sur son corps rappellent que nous ne venons pas de la même planète.

-Bonjour toi...

Aevin s'est assis à côté de moi et observe le manège de l'enfant avec un vif amusement. Le gamin s'immobilise à moins de dix centimètres de moi et ouvre brusquement la bouche.

-Zatayue ?...

Je le dévisage avec des yeux ronds -c'est la première fois que je les entends vraiment parler- et il s'ensuit un petit moment de flottement dans la navette. Puis, brusquement, tout le monde éclate de rire et je me joins à l'hilarité générale sans chercher à comprendre plus avant. Un jeune homme se détache alors du mur auquel il était adossé pour venir vers Aevin et moi. Il pose la main sur l'épaule du petit garçon avec un sourire avant de projeter une image dans l'espace qui envahit aussitôt mon esprit.

Un animal étrange. Très étrange. Je ne trouve pas de comparaison par rapport à Astra... Si ce n'est... Un singe.

Bien. Pour ce petit garçon, nous sommes visiblement quelque chose qui se rapproche à des singes. Je réprime un nouveau sourire en comprenant mieux l'hilarité des passagers. Mais, avant que je puisse tenter de trouver la moindre réponse et de me faire comprendre, la navette stoppe brutalement et je me sens presque écrasée au fond de mon siège à cause de la brutalité de l'arrêt.

Mais le silence soudain achève de me rembrunir. Qu'est-ce qui nous attend exactement ? Qui est cette mystérieuse prophétesse ?

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