Thaïs (Chapitre 2)

Sur Sagan.

-Alors Gaëtan, tu as résolu ton fameux mystère ?

Il remarque mon petit sourire et se relève de la muraille contre laquelle il était appuyé pour poser un regard grave sur le mien. Il fait nuit et les étoiles brillent dans le ciel. Comme présence humaine aux alentours, il ne semble y avoir que nous, les habitants de la place fortifiée, et une absence complète dans la luxuriante forêt. Mais j'ai appris à me méfier des apparences et je resserre mes doigts autour de mon arme, me concentrant sur mon tour de garde. Gaëtan se décide à me répondre :

-Aevin prend cela beaucoup plus au sérieux que toi.

-Il est assez fou pour t'écouter. Mais cette plante...

-Ce n'est pas une plante ordinaire Thaïs. Nous n'aurions jamais dû manger ces fruits sans les avoir analysés au préalable... Et nous n'aurions pas dû toucher aux fleurs.

Il me semble distinguer une ombre en bas des murs. Je crispe de nouveau mes doigts sur la crosse de mon arme et fouille l'horizon des yeux. Rien, j'ai sans doute rêvé.

Je me décide à me tourner de nouveau vers Gaëtan avec un léger soupir.

-Ça fait douze ans maintenant... Tu te rappelles ? On essayait juste de survivre et de construire ce maudit fort...

Instinctivement, nos deux regards se portent sur la tour centrale, entièrement noire, à l'image des gardes qui l'habitent. Furieux maintenant, Gaëtan crache quelques mots :

-Et nous n'avons pas pu nous rebeller... Ces sales gardes nous contrôlent toujours.

-En même temps ils sont immunisés contre les armes qu'ils nous donnent...

Gaëtan baisse les yeux.

-Quand même, je suis allé voir le professeur Panem...

-Il y a deux semaines, je m'en souviens. Tu vois que je t'écoute...

Il esquisse un très léger sourire avant de redevenir grave. L'air frais de la nuit me fait resserrer contre moi mon pull chaud.

-Eh bien, il m'a écouté et il a fait les analyses...

-Quel est le résultat ?

Il arrive à me faire détourner les yeux du paysage que je suis sensée surveiller pour la première fois depuis que nous avons commencé cette discussion. Ses yeux brillent de ce feu sauvage qui ne les quitte jamais.

-Tu ne t'es jamais demandé pourquoi tu n'avais pas pris une ride en douze ans ?

-Je suis jolie et bien conservée voilà tout. Je n'ai jamais que trente-cinq ans Gaëtan... Je ne vois pas le problème.

-Thaïs... Cette plante, les fleurs plus précisément, celles qui sont blanches...

Son ton m'inquiète et je lui jette de nouveau un léger coup d'œil.

-Eh bien ?

-Elle agissent sur le corps humain.

-Mmm... Et d'après le professeur Panem -tout le monde pense que ce n'est plus qu'un vieux fou Gaëtan d'ailleurs je te le rappelle comme ça- quel est l'action de cette plante sur nous ?

-Elle ralentit le vieillissement des cellules.

Cette fois-ci, j'ai beaucoup de mal à ne pas totalement abandonner mon tour de garde. D'une voix que j'espère neutre je demande :

-Si je comprends bien... On risque de vivre très longtemps ?

-Non.

Je pousse un léger soupir. Étrangement, je n'étais pas à l'aise avec l'idée de vivre pratiquement immortelle. Mais Gaëtan poursuit d'une voix rauque en détournant à son tour ses yeux vers l'ombre de la nuit :

-Thaïs... Nous allons avoir une durée de vie normale. Mais nous ne vieillirons pas.

J'accuse le choc en silence.

-Quelqu'un d'autre s'en est... aperçu ?

-Le docteur Panem, je le jurerai, était déjà au courant. Ça explique d'ailleurs pour lui sa forme étonnante...

-Mais Kim ? Et George ?

Gaëtan sourit en entendant le nom de celle qu'il considère maintenant comme sa fille.

-Kim a vieilli effectivement. Elle a maintenant dix-huit ans... Mais rappelles-toi notre arrivée.

Je fronce les sourcils, me remémorant cet épisode crucial de ma vie. Je murmure lentement :

-Kim était malade... Sa blessure à la tête s'était infectée. Elle n'a pratiquement rien mangé pendant plusieurs jours et n'a pas bu le thé que nous faisions avec les fleurs...!

Gaëtan acquiesce gravement. Le cœur soudain serré je murmure :

-Mais d'autres enfants ont dû boire ce breuvage...

-Non. Aucun n'aimait l'odeur. À croire que ces fameuses fleurs sont plus attirantes pour des adultes. Depuis, nous ne sommes pratiquement jamais sortis du fort. Aucun n'a eu accès aux fleurs.

Je reste silencieuse. Si j'admets ce que vient de me révéler Gaëtan... À soixante-dix ans je serais toujours exactement telle que je suis. Cette idée a quelque chose de terriblement déroutant mais est aussi... superbe. Qui n'a jamais rêvé d'être éternellement jeune ? Si je crois si vite Gaëtan c'est parce que j'avais déjà remarqué que quelque chose était bizarre. Parmi les adultes, pratiquement personne n'a changé depuis notre arrivée, effectivement... Je me mords pensivement les lèvres et m'approche de la muraille pour poser mes doigts sur les matériaux durs qui la constitue. Une pierre étrange noire et brillante sous la clarté de deux lunes.

Je me retourne alors brusquement et murmure :

-Gaëtan, il faut prévenir tout le monde si c'est vrai. Il faudra surveiller les enfants si un jour nous sortons d'ici... Ce serait dramatique qu'ils ne puissent grandir...

Gaëtan esquisse un léger sourire et je devine ce qu'il pense.

-Kim aurait été mieux toujours enfant selon toi c'est ça ?

-Non mais j'avoue que cette idée à un certain charme...

Nous échangeons un vrai sourire et je me détends légèrement.

-Elle s'amuse encore à te mettre hors de toi... L'adolescente rebelle !

-C'est un peu ça ! Mais et toi ? Georges ? Sandra ?

Je laisse échapper un demi sourire.

-Aevin est avec eux en ce moment. Il a finit sa journée... Mais mes enfants à moi sont de vrais petits anges !

Gaëtan m'adresse un clin d'œil ironique.

-Bien sûr. Surtout s'ils suivent l'exemple de leur père !

C'est une vieille plaisanterie entre nous, Aevin faisant systématiquement le pitre lorsque son frère est dans les parages. Je fais mine de m'offusquer mais mon regard rieur me trahit.

-Que reproches tu à mon adorable mari Gaëtan ?

-Son manque de sérieux dans l'éducation des enfants.

-Ttt... Gaëtan, je te rappelle que c'est toi qui as des problèmes avec ton adolescente en crise.

-En même temps, je n'en avais pas quand elle était gamine. Tu verras quand les tiens seront grands...

-Mmm... Le grand père me parle de son expérience.

Nous éclatons franchement tous deux de rire avant que je ne me calme. Mon fils, Georges, dix ans... Et ma petite fille Sandra, six printemps.

Ça me fait drôle de penser que pour eux, Sagan est leur patrie. Jamais ils n'ont vu Astra...

Mais je repense soudain à la fleur de Gaëtan.

-Pour ta plante... Tu avertis quand les habitants du fort ?

-Dès demain. Je n'ai pas voulu t'inquiéter mais je me suis intéressé à ce mystère, le fait que nous ne vieillissions pas, uniquement parce que plusieurs personnes commençaient ici à parler de magie. Et aucun de nous n'a besoin de craindre un diable quelconque en ce moment.

-Tu as raison.

Je pousse alors un léger soupir et reprends dans un murmure après avoir jeté un coup d'œil aux chiffres sur mon bras :

-C'est la fin de mon tour de garde. Je vais pouvoir aller rejoindre Aevin et les enfants.

Mais, alors que je m'apprête à faire quelques pas, un grand cri retentit d'un autre des rempart.

Puis le silence.

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