Thaïs (Chapitre 106)
-Ergey ? Ergey ! Je t'en prie, ou sont-ils ?
Le hurlement veut jaillir de mes lèvres comme depuis des nuits où je revis sans cesse cette affreuse tempête de neige sans jamais réussir à me réveiller. Pourtant cette fois-ci j'y parviens. La deuxième fois avec ce matin si mes souvenirs sont exacts.
Il fait nuit, enfin c'est ce que je suppose avec le manque de lumière. Je ne suis plus dans l'espèce d'hôpital mais allongée dans un hamac pendu entre deux poutres. La pièce est très étrange. Elle allie à la fois un côté moderne surprenant et quelque chose qui me rappelle inexplicablement les hommes qui ressemblent à des tribus d'indiens, l'autre population de Sagan.
Mes yeux fouillent la demi-obscurité et aperçoivent pour tout mobilier quelques fauteuils aux formes curieuses, un sol composé de ce qui ressemble à des dalles de terre cuite et un pichet d'eau dans un coin sans évier visible alors même que le mur sur lequel je pose ma main est chaud au contact et visiblement pourvu d'un système moderne de chauffage. Presque une antithèse entre rustique et confort.
Je me redresse légèrement dans mon hamac et constate alors à part moi que je suis attachée à la surface de nattes tressées par des sangles. Suis-je tombée à un moment donné ? Si c'est le cas je ne m'en souviens pas.
J'hésite à crier dans la nuit. À me lever. Mais l'anxiété est la plus forte et j'inspire fortement avant de lancer :
-Il y a quelqu'un ? Je vous en prie ! Je suis réveillée !
Je jette un coup d'œil à mon bracelet de métal qui me permettait de discuter avec Eregy. Il devrait fonctionner avec tous non ?
Je tressaille soudain en relevant les yeux droit devant moi. Une silhouette immatérielle, transparente, représentant un jeune garçon de quinze ans me contemple. Je porte les mains à ma tête et détourne les yeux avant de dire anxieusement pour moi-même :
-Je suis folle ou je dors encore ?
Mais "l'apparition" éclate d'un joli rire presque cristallin.
-Non ! Je suis réel. Je suis un hologramme perfectionné. Une mémoire en quelque sorte. Tous les murs de la ville sont constitués de micro-capteurs. Ça permet aux hologrammes comme moi de se déplacer n'importe où. Je dépends des murs.
Je le regarde avec des yeux ronds. Il esquisse une grimace. Oubliant soudain mes inquiétudes pour quelques secondes je demande :
-Et... Un hologramme peut raisonner ?
-Oui je suppose puisque je suis capable d'avoir une conversation avec toi, l'humaine terrestre. J'ai été créé il y a deux ans si ça t'intéresse.
Mais je secoue la tête. Je ne sais pas où je me trouve, je ne comprends pas comment je suis arrivée ici, et je parle maintenant avec une espèce d'apparition.
Je demande d'une voix hachée par l'émotion, revenant tout à coup à ce qui me hante réellement :
-Où sont les autres ? Ceux qui étaient avec moi ? Mes enfants, Aevin, Ergey... et mon frère ?
J'ai tellement peur de ce que je vais entendre. Mais l'hologramme m'adresse un sourire qui je l'espère se veut rassurant. Il répond :
-Les petits-enfants-trop-drôles sont débout, ils sont revenus à eux ce matin et ton mari...
Il fait une pause et fronce le nez. Pour autant qu'une apparition puisse faire ça. Il poursuit après quelques secondes de réflexion tandis que mon bracelet traduit comme d'habitude en m'envoyant des micro-décharges électriques que je ne sens même plus..
-... Il va très bien. Il est avec Ergey qui passe en jugement...
Je veux me redresser mais les sangles m'en empêche. Je m'en débarrasse d'une main nerveuse tout en demandant anxieusement :
-En jugement ? Mais pourquoi ? Et Eric ?
L'apparition -où l'hologramme en therme plus scientifiques- hausse les épaules avec un petit sourire rêveur.
-Tu sais que je ne pensais vraiment pas qu'il existait des humains avec une peau de la couleur de la tienne ?
Devant mon regard fou d'inquiétude, il se décide à dire en levant les yeux au ciel d'un petit mouvement que je trouverai comique dans n'importe quelle autre situation :
-Ton frère -c'est bien ça ?- est revenu à lui. Ergey a enclenché la procédure d'urgence et il a été opéré. Il paraît que nos organismes ne sont pas les mêmes mais nos imprimantes 3D n'ont pas eu de problème pour recréer des organes compatibles...
Revenu à lui... Je m'apprête à me laisser tomber de mon hamac, sans aucun souci du fait que je suppose que tout le monde dort à ce moment de la nuit (enfin qu'est-ce que je connais exactement de leurs habitudes de vie ?) lorsque je m'immobilise pour relever la tête.
-Mais pourquoi en jugement ?
L'hologramme réplique :
-Parce qu'il n'avait pas le droit de sauver ton frère sans l'accord du conseil. C'est écrit dans la loi. Et qu'il est passé par dessus ça...
Je me laisse tomber sur le sol et me rattrape de justesse. J'ai faillis passer à travers l'hologramme...
Je peste entre mes dents tandis que mon cœur se met à battre à cent à l'heure et laisse une sourde hésitation m'envahir.
-Tu pourrais me conduire à ma famille ?
Il hoche la tête avec sérieux et ajoute :
-J'aime bien ton mari d'ailleurs. Je pense qu'il ne t'en voudra pas trop si tu le réveille. Et puis, parce que j'ai été affecté à ta surveillance, il n'arrête pas de m'appeler ton "ange gardien"... J'ai dû lui demander ce que ça voulait dire. Il m'a juste répondu que ça représentait un emploi à plein temps...
Un sourire m'échappe tandis que je cherche autour de moi pour trouver une éventuelle paire de chaussures. L'hologramme semble deviner ce que je n'arrive pas à trouver et me désigne un endroit sombre à un mètre sous mon hamac. J'avance ma main dans cette direction et ne tarde effectivement pas à ramener ce qui ressemble à une paire de bottines.
Je l'enfile rapidement -elles serrent un peu les pieds- puis me redresse. Je n'arrive toujours pas à me décider. Je regarde de nouveau l'hologramme et demande :
-Comment t'appelles-tu ?
-Anasteï. Steï parce que je sais par expérience avec les autres que vous, les gens de l'autre monde, vous n'arrivez pas à prononcer mon nom correctement...
Encore une minute d'hésitation. Et puis je me décide brusquement. Même si ça me déchire le cœur, je vais faire confiance à l'hologramme. Ma famille va bien... Mais pas Ergey à cause de nous.
-Où juge-t-on Ergey ?
-À la salle du conseil mais...
-Tu m'y conduis. Maintenant. Heu... s'il te plaît.
Je bataille des yeux pendant quelques secondes avec un hologramme -oui, sans rire !-. Steï finit par dire d'une voix que j'imagine blasée à cause de son attitude.
-C'est interdit.
-Je m'en doutais. C'aurais été trop simple. Bon tu m'y accompagnes oui ou non ?
Il me regarde encore quelques secondes puis se décide à acquiescer sans que je sache ce qui le fait accepter et je sens un soulagement m'envahir mêlé de regrets -j'ai hâte de revoir mes enfants, Aevin, et surtout Eric que j'ai cru si près de la mort-... Mais l'hologramme ajoute, me tirant de mes pensées :
-Il n'a pas tort...
-Qui ça ?
-Ton mari. Je n'ai pas compris exactement ce qu'était un ange gardien. Mais je crois que tu en as besoin, en effet.
Et il traverse le mur. Mon sourire disparaît tandis que je m'écrie :
-Eh ! Je ne peux pas te suivre moi !
Il réapparaît lui aussi et je jurerai qu'il soupire.
-C'est vrai que tu ne connais pas les méthodes pour me suivre. Bah, je vais emprunter les portes, ce n'est pas grave...
Et je commence à quitter la pièce derrière le guide le plus étrange que j'ai jamais eu. Et moi qui croyait qu'Ergey était un cas dans son genre !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top