Thaïs (Chapitre 104)
Je rouvre les yeux. C'est la deuxième fois que je me retrouve dans un endroit totalement inconnu en ayant l'impression qu'il me manque une bonne partie de ma mémoire.
De quoi est-ce que je me souviens au juste ? Ah, oui. De la tempête. De la violence de la neige qui semblait me griffer le visage...
***
1 jour auparavant
La neige a commencé à tomber ce matin. Au début, les enfants ont trouvé ça très amusant... Maintenant ils aiment moins tandis que nous luttons contre les bourrasques chargées de neige glacée qui semblent s'amuser à nous repousser. Seul Ergey paraît ne souffrir aucunement du climat.
Quand à Cigarette, voilà bien deux bonnes heures qu'il est allé se réfugier dans le manteau d'Aevin. Pas fou lui...
Je veux appeler Georges, qui marche à deux pas devant moi, mais j'avale un certain nombre de flocons de neiges et referme rapidement la bouche. Le paysage ne me semble plus aussi beau. La superbe vallée de glace n'est maintenant plus qu'un long cauchemar dont je ne vois pas le bout. Si j'en avais la force, je courrai jusqu'à Ergey pour tenter de lui demander quand est ce qu'on arrive. Ou s'il ne connaîtrait pas un endroit où l'on pourrait se reposer au moins quelques minutes...
Mais je sais que c'est inutile. Alors je continue d'avancer courbée dans la tourmente. Sandra est sur les épaules d'Aevin. Georges s'est courageusement remit à marcher...
Et Eric... Je me retourne pour le voir. Il est en queue de file, juste derrière moi. Normalement. Car je ne vois rien. Seul la neige qui tourbillonne et qui semble vouloir m'emprisonner dans un manteau éternel.
-Arrêtez ! Eric n'est plus là !...
Mon cri se perd dans le vent. N'entendant pas mon appel, ils continuent d'avancer. J'hésite pendant quelques mortels instants. Ou est passé Eric ? Tombé dans une crevasse ? S'est-il éloigné de nos traces ?
L'angoisse déforme mes traits et je prends alors la décision la plus dangereuse de ma vie. Ignorant les autres inconscients du drame et qui continuent d'avancer, je fais demi-tour.
Je tente de courir sans y parvenir. La neige m'arrive aux genoux et j'ai l'impression que sa hauteur infernale ne cesse d'augmenter. Je porte les mains à ma bouche pour un faire un porte-voix et hurle :
-Eric ! Er-ic ! Je t'en prie, repoooooond !
Mon cri se perd dans le vent. Je suis seule maintenant. Quelque chose m'oblige pourtant à continuer, à me battre contre cette nature sauvage. Même si je ne vois pas à deux mètres de moi.
Mon pied heurte alors quelque chose. Tentant de garder les yeux ouverts pour mieux voir, je commence à dégager frénétiquement la neige. Un corps apparaît alors à mes yeux et je frissonne.
-Eric...
Un nuage de vapeur sort de ma bouche. Je croise alors ses yeux. Son visage était dégagé. C'est comme s'il essayait de se relever sans en avoir la force. Je me penche vers lui et distingue sa voix :
-Thaïs, va avec les autres, on ne peut... plus rien pour moi.
-Qu'est-ce que tu racontes ?
Sa voix n'est qu'un murmure. À moins que ce soit le vent ? Ou les larmes qui semblent tout embrouiller ?
Mon frère continue d'une voix brisée :
-C'est... C'est étonnant déjà que je m'en sois sorti aussi longtemps. Normalement je devais subir une autre importante opération lors de mes dix-huit ans. Tu... Tu penses bien qu'Edilyn ne pouvait plus la faire...
Je ne veux pas entendre. Je ne veux pas comprendre. C'est comme si j'oubliais jusqu'à la neige qui s'engouffre partout et Aevin et mes enfants perdus quelque part dans la tempête.
-Non ! Non... Pour... Pourquoi n'avoir rien dit ?
-Je... Je suis allé voir le docteur Panem. Mais il m'a dit qu'il ne disposait pas de ce qu'il fallait pour l'opération... En... En revanche Ergey... lui... m'a dit qu'ils pouvaient faire... ça. Je savais que la crise allait venir. J'espérais juste y arriver.
Je cesse de pleurer. Parce que je sais maintenant qu'il y a une chance. Si seulement les autres pouvaient... je me penche un peu plus vers Eric pour lui offrir un rempart de mon corps et chuchote très vite :
-Ne t'inquiète pas, on va les retrouver. Tiens juste encore un peu ok ?
Ses yeux se ferme et sa tête retombe sur la neige. Mais sa respiration est toujours là, régulière sous mes doigts, instant de calme dans la tempête.
Combien de secondes, combien de minutes vais-je ainsi pouvoir tenir ? Pas très longtemps. J'ai déjà l'impression de ne plus sentir mes doigts. Seul le mouvement me permettait de ne pas tomber.
-À l'aide ! Aevin ! Ergey !...
Est-ce un cri qui sort de ma bouche ? Est-ce un murmure ? Je perds la notion de tout ce qui m'entoure, mes yeux se brouillent, ma tête se fait lourde. J'ai du mal à continuer de faire front aux bourrasques de neige.
Je le sais au fond de moi : si je me redresse maintenant, alors je devrais réussir à m'en sortir au moins sur une certaine distance. Mais je ne peux pas abandonner Eric ici.
J'ai l'impression d'être de nouveau des années en arrière, lorsque l'assistante sociale, quand j'étais épuisée d'une journée harassante de travail manuel, me disait "il est une charge pour vous. Et vous ne pouvez pas vous en occuper. Il serait plus heureux dans une famille d'accueil..." J'avais l'impression qu'une lourde musique me berçait et que je me laissais endormir...
-Non...
Un murmure s'échappe de mes lèvres entrouvertes. Je m'effondre sur moi-même. Je n'ai pas la force de seulement tenter de soulever Eric. Et je ne peux pas l'abandonner.
Mes yeux s'entrouvrent de nouveau, juste assez pour tenter de percer le blanc glacé qui m'entoure, et il me semble apercevoir au loin une silhouette et entendre comme un cri :
-Thaïs !...
Je ne connais qu'une personne capable de hurler ainsi. Alors, ignorant s'il s'agit ou non d'un mirage, je rassemble toutes mes forces, me redresse, et hurle :
-ICI !...
Je retombe sur le côté. La respiration d'Eric est plus lente. Presque aussi chaotique que la tempête maintenant.
***
Je reviens au présent brutalement. Ici, il fait bien chaud. Mais l'angoisse qui me serre le cœur m'empêche d'aligner deux pensées cohérentes. Je tourne lentement mes yeux enfiévrés vers ma gauche. Aevin est allongé dans le lit à côté du mien. Ses yeux sont fermés mais il semble paisible.
Je me tourne vers ma droite. Sandra, elle aussi endormie.
Une voix semble alors surgir des tréfonds de mon esprit et quelqu'un apparaît dans mon champ de vision tandis que je prends brutalement conscience de l'atroce migraine qui me serre la tête.
-Ergey ?
Il se penche vers moi. Ma voix est pâteuse, chaque mot semble lourd. Je demande, les yeux brillants :
-Eric ? Ou est Georges aussi ?
Mais l'effort est trop grand. Je n'entends pas sa réponse tandis que ma tête rebascule sur le lit avant même que j'ai pensé à me demander où je me trouve.
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