Idwin (Chapitre 131)
Mon père a réuni aujourd'hui l'élite de l'Eveland. Plus une bonne partie de l'assemblée populaire... tout cela dans le seul but d'annoncer mes fiançailles et mon mariage à venir. Si seulement je pouvais éteindre cette colère qui semble agiter sans raison mon âme...
Mon regard se porte malgré moi au fond de la salle immense et se pose sur ma future femme, jolie dans sa robe mi-longue, de couleur pâle, mais sans avoir pour autant le charme un peu rebelle d'Ysaïne ou la majesté d'Edilyn. Mais je n'ai pas le temps de plus réfléchir car mon père vient poser sa main sur mon bras et prend froidement la parole de manière à ce que je sois seul à l'entendre :
-Prend donc un air heureux. C'est ton mariage après tout.
J'hésite à répondre puis me contente de dégager mon bras. Avant que j'ai pu me résoudre à adopter une quelconque nouvelle attitude, une silhouette furtive semble soudain se matérialiser devant nous.
C'est Sarah, je la reconnais à ses cheveux en bataille, qui s'incline devant mon père avec son sourire insolent coutumier. Je ne peux m'empêcher d'être certain qu'il va détester cela mais lorsque je me retourne vers lui, je reste quelques secondes profondément surpris... Car il dévisage avec un aimable sourire la nouvelle venue.
-C'est vous la tacticienne ?
Elle hoche la tête avant de lâcher :
-Exactement. Vu votre organisation générale, à mon avis il était largement temps que j'arrive...
Ses yeux brillent d'un feu sombre et elle semble défier du regard le monde entier de répondre quoi que ce soit. Mais mon père ne m'en laisse de toute façon pas le temps. Il s'avance d'un pas vers elle et s'incline d'un mouvement bref -mais déjà exceptionnel chez lui- avant de demander à Sarah en lui tendant la main :
-Dansez-vous ?
La surprise l'empêche de réagir et elle reste deux minutes immobile, indécise, tandis qu'il me semble pendant quelques secondes voir au fond de ses yeux l'ombre d'une souffrance cachée. Mais elle se ressaisit ensuite pour dire avec un sourire froid :
-Mais bien entendu. Merci de cet honneur, majesté.
En fait, je suis aussi surpris qu'elle, et les habitués de la salle de bal aussi. Mon père n'a pas dansé depuis la mort de ma mère... Que mijote-t-il ? À moins que je ne me trompe ? Qu'il n'y ait aucun calcul dans son attitude ? Un sourire sarcastique étire mes traits pendant quelques secondes tandis que je songe que ce serait bien une première.
Mais lorsque mes yeux font de nouveau le tour de la salle, mes traits se figent pour retenir une grimace d'agacement lorsque je croise ceux de Tiara. Elle me fait un léger signe, me demandant ainsi explicitement de la rejoindre, et je crispe mes muscles, furieux, avant de me décider à quitter ma place pour aller la retrouver à l'autre bout de la pièce.
Sur mon passage les gens s'écartent, mis à part quelques personnes ayant une requête à faire ou espérant entrer dans mes bonnes grâces... Aucun d'eux n'y ait jamais arrivé.
Lorsque j'arrive auprès de Tiara, celle-ci se retourne et fait signe à un jeune homme de s'approcher. Au premier regard, je le trouve trop simple. Ses habits ne sont visiblement pas au niveau de cette réunion et son air un peu rêveur, mêlé de sarcasme lorsqu'il pose son regard sur moi, me déplaît instantanément. Je me force pourtant à sourire lorsque ma jolie fiancée fait les présentations.
-Idwin... Je voulais te présenter mon cousin Henri. Il désirait te rencontrer... C'est un véritable ami d'enfance !
Elle fait encore des efforts visibles pour adopter la bonne attitude. Elle rougit pourtant, rien qu'en me parlant, et je pousse un soupir intérieur. Pour quelle raison est-ce que j'essaie ainsi de retrouver Ysaïne dans ses traits ? Cela m'agace profondément d'avoir pu ainsi m'attacher, et j'ai hâte de détruire ce seul lien véritablement solide. Sauf que pour le moment, je n'y parviens pas...
Voyant qu'ils attendent ma réponse, j'esquisse un geste qui pourrait passer pour un salut et me contente de lâcher :
-Bien, enchanté de faire votre connaissance Henri.
Celui-ci rétorque à ma froideur :
-Moi de même. Ma cousine m'a beaucoup parlé de vous...
Il ne précise pas si elle a dit du bien ou du mal de son futur mari mais je me contente d'hocher la tête sans répondre. Décidément, je ne suis pas d'humeur aujourd'hui.
Mais Tiara reprend déjà la parole en posant la main sur mon bras.
-Idwin, m'inviterais-tu à danser ?
Je résiste à l'envie de lui demander combien de temps il lui a fallu pour oser dire cette simple phrase et me contente de lâcher sans un sourire :
-Bien entendu...
Je me retourne et me dirige alors d'un pas rapide entre les invités jusqu'à gagner le centre de la pièce. Tiara se positionne devant moi, et, deux minutes plus tard, nous dansons au son d'une musique moderne. Mais Tiara, visiblement, n'a pas envie de se contenter du silence que je lui offre. Elle me demande :
-Idwin ? Tu as déjà réfléchi à tout ce que tu voudras faire lorsque tu seras roi ?
Ma main se resserre sur la sienne tandis que je la fais adroitement tourner et j'en profite pour garder le silence encore quelques minutes. Mais je finis par répondre avec colère :
-Que veux-tu dire Tiara ? Mon père est en vie, pour quelle raison me préoccuperai-je de la suite ?
Elle paraît un instant étonnée et déstabilisée de ma réponse avant de se reprendre et de m'opposer :
-Mais Idwin... Si tu t'intéresses à l'Eveland, comment peux-tu ne pas avoir réfléchi à la question ?
La chanson qui passait cesse pour passer à une autre mais je ne m'arrête pas de danser pour autant, devinant que Tiara ne me laissera pas me défiler de cette façon. Un sourire amusé me monte alors aux lèvres et je rétorque, ne la quittant pas des yeux :
-Mais qui t'as dit que je m'y intéressais ?
Elle flanche devant mon regard pénétrant et rougit de nouveau avant d'inspirer l'air trop chaud de la salle et de réussir à répondre :
-Tu n'as rien d'un prince en toi Idwin. Tu n'en portes que le nom...
Mais je me contente de laisser mon sourire grandir sur mes lèvres et murmure tandis qu'un geste nous rapproche l'un de l'autre :
-Vraiment Tiara ? Mais si toi tu l'aimes, l'Eveland, n'es tu pas prête à te sacrifier pour ton pays en m'épousant ? Tu n'auras qu'à me donner les bonnes idées...
Sa colère est alors si vive qu'elle en oublie sa gêne pour répliquer :
-J'y ai réfléchi ! Et c'est la seule raison Idwin, la seule...
La chanson s'arrête alors et je la lâche avant de reculer, de la saluer d'un regard narquois et de demander :
-La seule vraiment ? Quelle noble princesse Tiara... La couronne ne t'a donc jamais attirée pour toi-même ?
Et sur cette dernière pique je tourne les talons sans attendre, me dirigeant vers mon père, qui a lui aussi cessé de danser, mais toujours en train de converser avec Sarah.
-Père, quand annoncerez-vous mes fiançailles ?
Sarah ne le laisse pas répondre et observe sans façon :
-La musique a cessé si tu écoutais Idwin... Je suppose que c'est le moment.
Ses yeux sombres se posent ensuite sur ceux de mon père et je reste un instant stupéfait. Parce qu'il vient de tressaillir et de détourner son regard vers le mien. Un geste infime que je suis le seul à saisir... Mais il semble alors furieux contre lui-même et la désapprobation qui doit briller dans mes prunelles puisqu'il se tourne vers Sarah et ordonne :
-Laissez-nous.
Elle s'incline, se relève avec son drôle de petit regard à la fois sombre et moqueur avant de tourner les talons en lâchant :
-Sans problème. J'ai comme l'impression qu'il va y avoir de l'orage dans l'air.
À peine s'est-elle éloignée que je me tourne vers mon père, ironique.
-Vous la laissez dire de pareilles insolences ?
Mais mon père ne réagit de nouveau pas comme je m'y attendais. L'espace d'un instant, il me semble ne pas le reconnaître lorsque ses yeux se posent sur la silhouette qui s'éloigne et qu'il rétorque :
-Crois-tu au coup de foudre Idwin ?
Ma réponse est immédiate.
-Non. Et vous m'avez toujours dit que c'était ridicule vous aussi.
-Bien sûr. Mais, vois-tu, lorsque je l'ai vue arriver... Elle n'a rit qu'une fois tandis que nous dansions, mais il m'a semblé revoir ta mère. C'est étrange n'est-ce pas ?
Je repense brusquement sans raison à Ysaïne et mes poings se crispent avant que je ne me décide à répondre.
-Je ne sais pas. Mais ça n'a pas d'importance ! Sarah est dangereuse, ne lui donnez pas trop de pouvoir.
J'admire mon père depuis toujours mais j'ai l'impression, une fois de plus, que l'attention que je commençais à acquérir de sa part vient de s'évanouir devant la jeune femme seule quelque part entre les tables de restauration. J'aurai presque envie de revoir Tiara tout à coup pour que quelqu'un au moins fasse attention à moi. Et cela m'agace prodigieusement.
Mon père se retourne alors vers moi et lâche quelques mots d'une voix tendue qui achèvent de me déstabiliser.
-Es-tu sûr de vouloir ces fiançailles ? Un mauvais mariage peut détruire une vie...
Je n'aime pas la faiblesse qu'il me semble entrevoir derrière ces paroles. Et, alors que cela fait des semaines que je désespère de garder mon indépendance, je m'entends répondre avec colère :
-Bien entendu que je le veux ! Nous n'avons pas de plan de secours pour ne pas nous faire renverser, je vous le rappelle...
Il semble alors sortir d'un songe et acquiesce avant de dire en me dévisageant d'une étrange manière :
-Très bien. Mais ce sera toi qui fera l'annonce.
Il adresse ensuite un signe de tête discret à l'un de ses gardes et celui-ci répand rapidement dans la grande salle l'ordre de se taire. Lorsque le silence tombe enfin sur toute la petite assemblée, je m'avance d'un pas tout en me demandant intérieurement pour quelle raison mon père me laisse parler aujourd'hui.
Lorsque je comprends ses motivations, l'agacement s'empare de nouveau de moi et je résiste à l'envie de me retourner vers lui pour lui lancer un sombre regard.
Il m'offre un dernier choix. Si je décide, maintenant, à l'instant, de tout annuler, il ne dira rien. L'apparition soudaine de Sarah l'aurait-elle à ce point déstabilisé ?
J'hésite quelques secondes. Oh, rien qu'un instant ! J'ai toujours obéi à mon père. Jamais il ne m'avait auparavant offert le cadeau empoisonné de pouvoir choisir.
Mais je sais que je n'ai aucune envie de revenir en arrière. Par entêtement, agacement, et parce que je veux une bonne fois pour toute oublier cette princesse à laquelle je pense encore le soir la tête entre mes mains et le regard posé sur la carte placardée sur mon mur où la frontière Astra me semble alors comme marquée au fer rouge.
-Habitants de l'Eveland ! Je voudrais aujourd'hui vous annoncer une nouvelle qui a beaucoup d'importance pour moi et qui vous rendra, je l'espère, au moins aussi heureux que moi. Je me marie...
J'avance alors le bras et la foule s'écarte avec une curiosité presque palpable pour laisser arriver jusqu'à moi Tiara Exergüe.
Elle me rejoint et pose doucement sa main sur mon épaule avant d'adresser un sourire radieux aux flashs qui crépitent tout à coup. Dans la foule, nombreuses sont les personnes à avoir sortis leurs écrans pour immortaliser l'instant.
Mon sourire reste un peu froid et je me tiens je le sais trop immobile mais je ne modifie en rien mon attitude. Probablement par esprit de contradiction envers mon père qui doit désespérer de parvenir à tirer de moi quelque chose de convenable.
Mais de toute façon, rien de ce que je fais ne sera jamais à la hauteur. Je suis... paradoxal. De nouveau. Voilà que je me prends à rejeter l'autorité d'un père que je recherchais il y a encore seulement quelques minutes... et ce sera probablement de nouveau le cas dans un instant, lorsqu'il viendra me voir.
Le silence revient dans la salle au moment où il s'avance à mes côtés et pose sa main sur mon épaule, comme Tiara un instant plus tôt. Son sourire à lui aussi est rayonnant, mais il ressemble pour moi en tous points à tous ceux qu'il sert chaque jour aux journalistes ou même à tout le palais. Il prend la parole et sa voix résonne avec force dans la salle :
-Il va sans dire que je me réjouis moi aussi de cette excellente nouvelle. Je suis absolument ravi d'accueillir dans ma famille ma future belle-fille...
Il fait un pas sur le côté et vient serrer paternellement dans ses bras Tiara qui rougit -de joie ou de confusion je ne saurai dire-.
À quoi rime donc toute cette comédie ? Je détourne la tête, écœuré. Mais quoi qu'il en soit, c'est moi qui l'ait voulu...
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