Idwin (Chapitre 121)
-Père...
Je m'arrête sur le pas de la porte et laisse mes yeux se poser dans le bureau. Il se retourne vers moi, me jauge comme à son habitude, mais se force à adoucir sa voix lorsqu'il me répond.
-Entre... Que veux-tu ?...
Je pénètre dans la pièce et me force à ne pas tressaillir comme à mon habitude. Je ne sais pas ce qui s'est passé entre nous dans cette guerre à Astra... Mais tout semble soudainement s'être inversé.
À cette froideur qu'il me témoignait tous les jours succède maintenant une amitié bourrue qu'il tente de cacher. Moi, en revanche, rien dans mon attitude n'a vraiment changé. Je recherche toujours son admiration, sa reconnaissance.
J'en ai conscience mais je repousse ces sentiments au fond de moi comme je ne cesse d'écarter mes souvenirs douloureux concernant Ysaïne. Je pourrai rester ainsi des heures à réfléchir sur moi-même mais mon père attend visiblement que je lui explique le motif de ma visite et je me force à prendre la parole en faisant un geste vers l'écran portatif qui brille dans ma main.
-J'ai reçue des nouvelles d'Astra...
-Malgré tout ce qui s'est passé là-bas Idwin, ce sont nos ennemis. Combien d'hommes avons nous perdu ? Combien de temps aussi ? Le peuple gronde et il va être difficile de conserver le pouvoir... Je ne suis pas certain de vouloir connaître tes nouvelles.
Je lui adresse un léger sourire pour tenter de cacher les craintes que je partage pourtant avec lui. Il s'en aperçoit parfaitement mais retient le commentaire acerbe qui allait sortir de ses lèvres. Ce n'est pas encore le paradis, mais ce changement que j'espérais depuis toujours commence peut-être enfin et c'est à cela que je dois m'accrocher... Je me décide à poursuivre d'une voix ferme :
-Justement je pense que celle-ci vous plaira. L'une de leurs plus brillantes tacticiennes demande à recevoir notre nationalité. Et à servir sous nos ordres.
Un éclair traverse les yeux de mon père. Il avance la main d'un geste impatient pour lire le message sur l'écran mais je fais mine de ne pas le remarquer pour porter l'objet devant mes yeux et commencer à haute voix la lecture.
-"Je veux partir d'Astra. J'ai naturellement pensé à vous, bien que je ne vous apprécie pas plus que les autres... Auriez vous une place pour moi dans votre armée ? Je veux prendre un nouveau départ et je ne suis pas trop mauvaise. M'accorderez vous le droit d'être l'une de vos citoyenne ? Prince Idwin, transmettez ma demande à votre père.
Sarah Stilgart."
Je relève les yeux vers mon père. Il ne peut empêcher à un sourire profondément amusé d'affleurer à ses lèvres.
-Leur sous-commandante ? La fille aux cheveux noir, toujours à leurs côtés ? La reine m'en avait parlé...
Quand il pense à Edilyn, son sourire s'accentue d'une nuance de respect qu'il ne cherche même pas à cacher. La reine, même déchue, lui donne l'impression d'avoir trouvé une égale. Ce qui le rend sensible au malheur qui la frappe... Mais il interrompt le cours de mes pensées pour me dire :
-Dis-lui qu'elle peut venir.
Il hésite quelques secondes tandis que je reste silencieux puis demande :
-Tu es d'accord ?
Je me contente d'acquiescer avant de rapidement taper quelques mots sur mon écran. Que s'est il passé pour que Sarah quitte la royauté d'Astra ? Je n'arrive pas à comprendre mais ne veux surtout pas réfléchir au sujet car il me fait cruellement penser à Ysaïne. Mon père me ramène une nouvelle fois mes préoccupations à de nouveaux sujets.
-Idwin, le peuple de l'Eveland nous en veut de la guerre. Et nos adversaires, la dynastie des...
Je le coupe avec agacement :
-... Cherche à prendre le pouvoir en profitant de la situation, je le sais. Mais que pouvons nous y faire ?
Mon père me jette alors un drôle de regard que je n'arrive pas à comprendre et cela m'inquiète autant que cela m'intrigue. Je comprends d'habitude toujours mon père. Il répond d'une voix neutre :
-Nous n'avons plus qu'une seule solution. Faire de toi un héritier populaire, Idwin.
Je ne réfléchis même pas mais réponds avec une colère contenue d'une voix rendue violente par la rage parce que je vois malgré moi ses yeux briller comme chaque fois qu'il pense à ma sœur :
-Si vous vouliez un héritier apprécié, il fallait vous préoccuper avant de Theresa !
La main du roi s'empare de mon épaule et me sert avec violence tandis que je tente de reculer sans pouvoir me dégager de l'emprise qu'il exerce depuis toujours sur moi. Alors que je suis physiquement plus puissant.
-Ne reparle plus jamais d'elle Idwin ! J'ai accepté de faire des efforts, de te donner ta chance, mais ne me provoque pas ! Theresa...
Sa voix se déchire et il me lâche brusquement sans cesser de m'incendier du regard. Je me détourne, un goût amer dans la bouche, comprenant tout à coup qu'il faudra des années -peut être même l'éternité- pour que mon père m'apprécie vraiment. Je demande d'une voix dure sans me retourner vers lui :
-Quelle était votre idée pour faire de moi un héritier populaire ? Je n'ai aucun talent particulier...
La voix de mon père résonne en réponse, sèche, mais très légèrement adoucie.
-Toi non. Mais ta jeune future épouse...
Quelque chose semble exploser en moi sous le choc. Ai-je vraiment bien entendu ? Je me compose un visage parfaitement neutre, pour être certain de ne pas perdre le contrôle, et me retourne lentement vers lui.
-Ma future épouse ?
-Une jeune femme brillante, adorée de tous. Ta rivale...
Je ferme les yeux. Ça paraît si simple...
-La fille du prince Exerguë qui veut nous renverser ? Mais acceptera-t-elle ?
Je ne peux me réfugier que derrière cette question en espérant. Mes yeux flamboient derrière mes paupières fermées mais mon père répond sans en avoir conscience :
-Elle est déjà d'accord. Et n'attend que ton avis avec impatience... Que veux-tu, elle préfère un avenir certain à un autre semé d'embûches et de doutes. Son père en revanche n'est pas encore au courant. Mais je ne doute pas qu'il se plie à la volonté de sa fille aussi chérie que têtue... Alors ?
Le visage d'Ysaïne repasse dans mon esprit. Ses yeux et ses cheveux bleus assortis. Ce dîner d'un soir... Et moi lui annonçant que tout était fini. Ma gorge se serre. Après tout, qu'est-ce qui me retient d'accepter ?
Je m'entends répondre :
-J'accepte. Quand me la présentez-vous ?
***
La première chose que je distingue d'elle en entrant dans la pièce c'est sa tenue. Un pantalon fin, bleu pâle, assortie à une tunique blanche. Ses pieds sont nus dans de jolies sandales noires et ses cheveux tressés dans son dos. Ma future femme. Le mot est difficile à avaler.
J'entre pourtant dans le salon, le visage neutre et l'expression impénétrable. Mon père se tient assis à ma gauche dans un grand fauteuil et se lève précipitamment en me voyant avec son large sourire poli de circonstance. Il est en uniforme et sa chevalière brille à sa main droite.
-Idwin... Je te présente...
Mais la jeune femme se retourne brusquement et nos regards se croisent.
-Tiara Exergüe. Enchantée de vous rencontrer prince Idwin...
Ses yeux étincellent tandis qu'elle me tend une main à serrer de manière assez cavalière. Je la prends entre mes doigts d'un mouvement machinal avant de m'avancer de quelques pas dans la pièce en m'écartant légèrement d'elle.
-Tiara...
Je me retourne pour la fixer de nouveau. Elle paraît incertaine tout à coup, peu sûre d'elle-même. Et je devine que c'est cela sa vraie nature qu'elle tente de combattre insatiablement : la timidité, s'effacer devant les autres. D'où presque sa provocation dans ce salut cavalier.
-Idwin.
Sa voix se brise un peu mais elle se force à répondre à mon regard avant de perdre toute contenance et de se tourner vers mon père. Celui-ci s'avance vers moi et propose :
-Emmène ta jolie fiancée dans le parc Idwin. Il serait bon que vous fassiez connaissance, non ?
Je devine l'ordre sous la voix calme. Je ne baisse pas les yeux mais incline la tête d'un mouvement brusque.
Je n'attends ensuite pas et me dirige vers la porte d'un pas rapide sans me retourner. J'entends derrière moi le bruit des sandales de Tiara qui claquent sur le sol dallé. Elle court presque à mon côté tandis que je dévale les escaliers.
-Idwin... Tu ne peux pas ralentir le pas ?
Tutoiement... Elle tente d'établir un contact. Je me contente de hausser les épaules pour toute réponse et de conserver mon allure rapide. Un coup d'œil de biais à ma fiancée me permet d'observer ses sentiments se peindre sur son visage. Colère, doute et peur.
J'hésite un instant à lui parler mais ne le fait finalement pas. Je ne ralentis mon allure que lorsque je sors du palais et que mes pas me mènent sur notre pelouse uniforme, sur laquelle j'ai toujours rêvé de planter des milliers de bosquets à la façon d'Astra.
Tiara reprend la conversation d'une voix plus affermie et décidée lorsque je veux bien m'immobiliser quelques minutes et je n'ai cette fois-ci plus d'autre choix que de l'écouter et lui répondre.
-Il faudrait qu'on se connaisse non ? Je sais que c'est un mariage que nous avons en tout point arrangé mais...
Je ne réfléchis même pas en entendant ces mots mais la coupe brusquement, mon pied heurtant violemment la pelouse impeccable dans le même instant.
-... Que mon père a arrangé.
Elle hésite. Me jette un regard avant de baisser la tête et de demander :
-Mais vous... tu étais d'accord ?
Nouveau haussement d'épaules tandis que j'observe :
-Dans le cas contraire tu ne serais pas ici. Et toi ?
Elle relève la tête et reprend son assurance.
-Je le voulais. Je me suis battue pour ça même... À deux, pour la royauté, nous pourrons faire beaucoup de choses et...
En entendant une nouvelle fois ses mots, je ne peux m'empêcher de réagir au quart de tour et de lui agripper violemment le bras.
-C'est le pouvoir qui t'intéresse... Restons-en là, veux tu ? Je n'ai pas envie de te connaître.
Je viens de repenser brusquement à Ysaïne. Mais ma décision est irrévocable et c'est déjà plus de la colère contre moi-même que j'évacue en haussant la voix contre ma fiancée.
Mais Tiara ne réagit pas du tout comme je m'y attendais. Elle rougit de colère et rétorque avec hargne sans attendre :
-Alors, maintenant, tu vas m'écouter ! Sans moi tu risques une révolte de tout le pays ! Personne n'a digéré la guerre... et je suis la fille de ton concurrent... Je ne veux plus que tu me regardes ainsi de haut Idwin ! Tu ne vaut pas mieux que moi alors tais-toi ! Sinon je partirai...
Elle s'arrête net dans son discours et me lance un regard à la fois inquiet et toujours exaspéré. Je me remets à marcher sur la pelouse trop impeccable et elle cale ses pas sur les miens en inspirant fortement pour se calmer. Le silence entre nous est palpable jusqu'au moment où je me décide à dire à contrecœur en lui cachant le fait qu'elle vient de nettement progresser dans mon estime :
-Point pour toi Tiara... Alors, puisque nous en revenons là, que veux-tu savoir de moi pour me connaître ?
Elle me coule un regard hésitant de nouveau puis demande :
-Des détails sur ta famille ?
-Question personnelle.
-Même pas sur ta sœur Theresa ?
Je me rembrunis et réponds dans un murmure :
-Même réponse.
Elle donne à son tour un petit coup de pied rageur dans la pelouse avant de lâcher avec un énième soupir :
-Bien... Ta couleur préférée ? C'est assez neutre comme question ?
Je réponds d'une voix laconique :
-Noir.
Nouveau silence avant que je ne me décide à demander ensuite :
-Et toi ?
-Jaune pâle. Comme l'éclat de l'or. Autre question... Qu'est-ce que tu aimerais faire le plus au monde Idwin ?
Mon prénom sonne étrangement dans sa bouche mais je me force à répondre une fois de plus. Si je n'étais pas aussi partial, je pourrai admettre qu'elle est jolie, pensée qui me traverse tout à coup. Mais elle paraît aussi instable, perpétuellement tiraillée entre sa volonté et sa timidité, ce qui lui enlève beaucoup de son charme.
-J'aimerai voyager. Très loin, me perdre à l'autre bout du monde. Pourquoi pas l'espace aussi... même si technologiquement parlant, nous ne sommes pas encore capables de rivaliser avec Astra.
Un sourire malicieux éclaire un instant les traits de Tiara avant qu'elle ne rétorque :
-Jusqu'à ce que nos espions leur volent leurs secrets...
Mes lèvres s'étirent comme malgré moi et je me prends à sourire moi aussi. Jusqu'au moment où elle renchérit :
-Alors comme ça, tu aimerais voyager ?
Je n'y avais jamais vraiment réfléchi auparavant mais ma réponse reflète exactement ma pensée. Rentrer ici en Eveland était peut-être une erreur... Être près de mon père ne suffit plus à mon bonheur, même s'il m'accordait enfin toute l'attention que je lui demande. J'aimerai tout fuir, tout laisser loin derrière moi et cette certitude me traverse avec la violence d'une lame de métal me tranchant brusquement un membre.
J'accélère un peu le pas avant de brusquement m'immobiliser et de dire sans me retourner vers ma fiancée de nouveau hésitante :
-On ferait bien de rentrer. Tiara.
Et je tourne les talons, sentant un froid habituel s'emparer de mon être. J'ai de nouveau envie d'être seul mais Tiara court derrière moi pour me rattraper avant de hurler, d'une voix à la fois furieuse et désespérée :
-Ils ont tous raison de dire que l'héritier de l'Eveland n'a aucun sens des responsabilités ! Et tu n'es pas fait pour gouverner ! Tu es un monstre, un monstre !...
Je me retourne vers elle, force un sourire, m'immobilise et prends ma voix la plus enjôleuse pour dire tandis qu'elle fait un pas en avant, en tremblant et en pleurant, complètement perdue :
-Excuse-moi Tiara... L'idée de me marier me rend nerveux. C'est tout, je t'assure. Pardonne-moi. Peux-tu le faire ?
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