Idwin (Chapitre 107)

Chapitre écrit sur une suggestion d'ewilan53

Je laisse mon dragon se poser sur l'une des plateformes du palais. Le bouclier magnétique est brisé... Ma bestiole atterrit à peine que je saute sur la plateforme. Je lève la tête vers le ciel et roule brusquement sur moi-même pour éviter un tir. Les balles crépitent sur le verre à quelques centimètres de mon corps maintenant immobile sur la plateforme. Je me redresse d'un mouvement vif et lève les yeux vers le ciel.

Un cavalier ennemi sur un dragon semblable au mien descend droit vers moi. Je connecte mon esprit à mon animal et lâche froidement :

-Combat-le.

C'est du suicide. Mon dragon est blessé et mal en point. Mais lorsqu'il s'élève devant moi, je peux me précipiter sur la porte d'accès et passer mon bras devant le scanner. Le battant coulisse au moment où un immense cri sauvage me vrille les oreilles. Je m'engouffre à l'intérieur sans chercher à me retourner.

Je suis au troisième étage et je me précipite sans même réfléchir vers la porte de la pièce. Il faut que je rejoigne mon père. Il faut que...

Je m'immobilise dans le couloir désert. Les cris des gardes, de toute la bataille, me parviennent des étages plus bas. Un froid glacial envahit mon âme et je passe ma main d'un geste nerveux dans mes cheveux blonds.

Une hésitation. Une étincelle dans mes yeux bleus. Rejoindre mon père ? C'est la première fois de ma vie que j'ai véritablement le choix... Je pâlis. Je me suis interdit de douter depuis que je suis enfant. Je lui ai toujours obéis aveuglement. Mais je tiens peut-être enfin l'occasion d'avoir un sourire de sa part. Un geste de reconnaissance.

Je pose ma main sur les cicatrices de mon bras gauche. Un seul regard d'admiration c'est tout ce que... Je ferme les yeux, furieux de ma propre faiblesse. Pour quelle raison est-ce que j'hésite ?

Parce que je viens de penser que mon père ne laissera pas les prisonniers s'en sortir vivants. Ni Edilyn. Et il y en a quelques-uns dans les cellules aménagées des tours côté nord...

Faire quelque chose de bien dans ma vie ? Je crispe mes poings. Ce n'est pas le moment de penser à Ysaïne. Mais un nouvel éclair traverse de nouveau mes yeux. Je sais exactement quoi faire maintenant.

Ce sera ma façon de lui dire adieu définitivement... Je vais rejoindre mon père mais avant je libérerai un prisonnier. Esteban. Parce que je sais qu'il l'aime. Je l'ai vu à la façon dont il la regardais, exactement comme moi...

Mais c'est une course contre la montre qui commence maintenant. Il faut que j'arrive là-bas avant les gardes noirs...

Je me détache du mur contre lequel je m'appuyais et commence à marcher vite. Le couloir défile et je ne tarde pas à me mettre à courir. Les explosions, les hurlements... Je ne cherche pas à regarder aux fenêtres. Le combat se déroule dans ce palais de rêve qui se transforme petit à petit en une réplique exacte de la situation : un cauchemar et des ruines.

J'accélère ma course et traverse différents nouveaux couloirs. Je m'éloigne de mon père qui m'attend ici, à l'autre bout de l'étage normalement. Heureusement pour eux que les portes des terrasses sont encore très solides et envoient des tirs si l'on ne s'identifie pas correctement... Nouvelle mesure de sécurité.

Je ferme les paupières un court instant en arrivant à un petit escalier. Mes pieds grimpent mécaniquement les marches tandis que je grimace en songeant que je pourrai remercier mon père pour s'être battu afin que j'ai accès à tout le palais. Y compris aux prisonniers.

Nouvel étage. Nouveau couloir. J'accélère encore et ne tarde pas à m'arrêter devant une grande porte grise. Je passe mon bras devant un énième scanner qui s'illumine de vert et la porte coulisse. Je m'avance et le panneau coulisse aussitôt derrière moi de nouveau. Deux gardes noirs s'avancent vers moi pour contrôler mon identité mais me reconnaissent tout de suite.

-Excusez-nous ! Nous pensions que vous étiez un rebelle...

Leurs traits sont fermes. Ils n'ont pas peur mais veulent se battre jusqu'au bout. Edilyn n'a pas choisi au hasard les hommes qu'elle a placé là et je sens au plus profond de moi que j'ai eu raison de venir. Elle ne tardera pas à faire exécuter les prisonniers...

-Aucune importance. Conduisez-moi à Esteban. L'ancien maire.

Ils s'inclinent et celui qui semble commander me fait signe de le suivre en laissant devant la porte son camarade derrière une arme perfectionnée et en position de tir.

De chaque côté du couloir s'alignent des dizaines de portes, toutes identiques à l'exception d'un numéro. Le garde s'arrête devant la dernière et se tourne vers moi. Il me dévisage froidement sans curiosité tandis que je passe mon bras devant le scanner. Je lâche entre mes dents serrées :

-Laissez-moi seul avec le prisonnier.

-Il est considéré comme très dangereux.

Je hausse les épaules pour toute réponse et le garde exécute un petit salut avant de s'éloigner. Je n'ai pas peur. Qu'il avertisse Edilyn par exemple... Quelle importance ? Elle est avec mon père et...

Je pâlis. Suis-je réellement certain d'avoir aujourd'hui plus d'importance pour lui que Theresa ? Si je mourrai, aurait-il ce drôle de regard que je n'ai jamais pu oublier ?

Je passe d'un mouvement presque hagard ma main devant le scanner. Ce n'est pas le moment de penser à tout ceci. Un petit "bip" résonne et la porte coulisse.

Je me compose une attitude parfaitement impassible avant de calmement entrer.

La porte se referme derrière moi tandis que mes yeux s'habituent lentement à la clarté presque aveuglante de la pièce entièrement blanche.

Elle est de forme circulaire. Vide. Un homme est assis contre le mur du fond. Il tente de se relever en s'aidant du mur mais n'y parvient pas et retombe.

-Toi... Va-t-en...

Sa voix n'est qu'un sifflement de colère. Son visage est couvert d'hématomes et des milliers de fines coupures parsèment sa peau aux endroits où elle n'est pas couverte par sa chemise.

Je ne réponds rien. Je m'agenouille pour être à son niveau et un petit sourire ironique m'échappe.

-Alors c'est ça le merveilleux maire d'Ivy ?

Il relève les yeux. Le regard que nous échangeons est tout simplement haineux. Mais il demande avec autant d'ironie que moi dans le ton :

-Et toi ? Le parfait prince Idwin vient achever le prisonnier ?

Je résiste à l'envie de me relever et de partir. Je le dévisage quelques secondes sans sourciller. Puis je murmure de ma voix grave :

-Il ne faut pas croire les apparences... Je suis venu te sauver la vie...

-Oh... Tu m'en vois vraiment ravi.

Esteban n'abandonne pas son ton mordant et essaie une nouvelle fois de se relever. Il retombe sur le sol sans réussir à retenir une grimace de souffrance. Ses yeux troublés par la fièvre et la fatigue se posent sur moi et il demande :

-Si c'était vrai... Prince Idwin, que se passe-t-il à l'extérieur ? La guerre ?

Mon sourire ironique se rallume et je rétorque :

-Tu me détestes mais tu me donnes mon titre ?

-Je n'abandonne pas mes principes. Jamais. Ou seulement quand tu me pousses à bout.

Il redresse la tête et sa pâleur mortelle me renvoie brusquement mes propres défauts à la figure. Je perds un peu de ma résolution et cherche à cacher mes émotions derrière un masque neutre :

-Le palais est envahi. Edilyn et mon père ont perdu.

Un sourire lasse étire les traits d'Esteban.

-On dirait qu'on a choisi le mauvais camp...

Je me relève. Les minutes qui s'écoulent trop vites sont précieuses. On ne peut pas rester ici. Je réponds d'une voix rapide :

-Non. Toi tu as sauvé leur princesse. Alors si Edilyn ne te fais pas exécuter, ça devrait aller...

Esteban glisse un peu plus le long du mur. Il murmure d'une voix à peine audible :

-Elle va comment ? La princesse ?

Un sourire presque amer étire mes lèvres.

-Elle, tu la connais bien, tu peux l'appeler par son prénom non ?

Esteban relève les yeux. Sa pupille est dilatée mais il y brille toujours une lueur farouche.

-Certainement. Ysaïne est en vie ?

Mais sa voix tremble très légèrement sur le prénom. Il ne sait pas cacher ses sentiments... Même si je ne suis pas certain de maîtriser les miens. Je me penche vers lui et prends l'un de ses bras pour le passer autour de mes épaules. Je me redresse et le soulève du sol avant de répondre en faisant un pas vers la porte :

-Ta chérie va parfaitement bien aux dernières nouvelles.

Esteban s'agite et se fait un peu plus lourd. Il crache :

-Arrête. Et j'aurai franchement aimé devoir la vie à quelqu'un d'autre que toi.

Je laisse échapper un cri de colère :

-Et crois-moi j'aurai préféré me battre pour quelqu'un d'autre !

Ne sommes-nous pas deux rivaux ? En le sauvant je sacrifie le reste d'amour que j'éprouve toujours pour la fille aux cheveux bleus. Et lui doit lutter de toutes ses forces pour ne pas hurler toute sa colère contre moi. Après tout, j'aurai peut être pu intervenir plus tôt pendant qu'il souffrait si terriblement ici... Mon statut de prince doit l'aider un petit peu à se contenir... Un sourire froid m'échappe. Ysaïne Astra fanatisera les gens. Ils se battront pour elle.

Tandis que moi... Ils me détestent déjà. Puisque je m'applique moi-même à détruire le respect inné qu'ils ont pourtant pour moi. La seule chose que j'espère c'est un geste de mon père. La situation est risible. J'atteins enfin la porte en supportant le poids d'Esteban et lève mon bras devant le scanner.

Le battant s'ouvre de nouveau et je sors de la pièce. Les deux gardes noirs se retournent vers nous et celui qui semble diriger me lance un regard neutre. Je suppose qu'il a l'habitude des ordres étranges d'Edilyn. Mais ce qu'il dit me fait tressaillir malgré moi.

-J'ai appelé la reine. Sécurité oblige. Elle a dit qu'elle vous avait effectivement donné l'ordre de lui amener le prisonnier.

Un rire nerveux secoue Esteban à mon côté et il laisse échapper entre deux quintes de toux :

-Me sauver la vie hein ?

Je ne réponds d'abord rien. Mon regard s'assombrit tandis que j'acquiesce en direction du garde pour tout commentaire et que l'autre vient m'aider à porter Esteban jusqu'à la porte. Celle-ci s'ouvre lorsque je passe mon bras pour la je-ne-sais combientième fois sous le scanner.

Le garde noir murmure dans mon dos :

-La reine souhaitait vous dire que votre père attendrait encore quinze minutes. Et que si vous arriviez à les rejoindre avec le blessé... Elle vous donne sa parole de ne pas le toucher. De le libérer.

Et la porte se referme avant que j'ai pu l'interroger plus avant. Quinze minutes ? Un sourire sans joie étire mes lèvres et Esteban résume :

-Je crois que c'est le moment où tu m'abandonnes quelque part là. Parce que dévaler les escaliers en moins de quinze minutes avec moi sur ton dos...

Je ne le sens pas. Il y a quelque chose qui est trop... simple.

-Prince Idwin ?

Je me tourne vers un nouveau garde noir qui vient de déboucher dans le couloir avec effort, je suppose qu'il a dû courir. Mais sa respiration se fait déjà plus régulière et son visage est impénétrable lorsqu'il annonce :

-La reine m'a ordonné de vous rejoindre. Et d'exécuter l'ancien maire d'Ivy si vous l'abandonniez sur place et...

-... De ne pas m'aider.

Quelques gouttes de sueur dégoulinent de mon front et deux larmes de rage et de désespoir s'échappent de mes yeux. Je reconnais l'empreinte de mon père dans ces commandements étranges.

Une épreuve en quelque sorte. Il voudrait que j'abandonne sur place Esteban. Et jusqu'ici j'ai toujours obéis à chacun de ses souhaits.

J'avance pourtant d'un pas. Esteban ne parle plus, chaque parole qui sort de sa bouche semblant lui coûter un peu plus d'effort maintenant que je l'ai forcé à se mettre debout. Je me maudis silencieusement d'avoir eu la curieuse idée d'aller le chercher.

Mais je n'aime pas faire les choses à moitié. Alors, bandant chacun de mes muscles sous l'effort, je me force à avancer, mon étrange garde derrière moi. Les fracas de la bataille semblent se rapprocher de minute en minute et je blêmis.

J'arrive à l'escalier qu'il faut que je redescende. Une marche, deux marches... Ce n'est pas facile.

Mais brusquement, sans que je l'ai vu venir, Esteban rassemble toutes ses forces et se détache de moi. Il se laisse tomber dans les escalier et dévale une à une les marches tandis que je commence à courir derrière lui, vérifiant du coin de l'œil que l'homme derrière moi ne tire pas.

Lorsque j'arrive sur le palier à mi-parcourt, Esteban gît en bas des marches. Mais il est entier. Est-ce un regret qui m'envahit ? Quelle ironie que ce soit moi qui lui sauve la vie ! Moi qui le déteste le plus et qui le tuerait sans la moindre hésitation... Mais il est mon cadeau d'adieu à Ysaïne en quelque sorte.

Il murmure d'une voix semblant jaillir d'outre tombe tandis que je le hisse de nouveau sur mes épaules :

-Je t'ai un peu aidé... Mais je crois que je... je ne pourrai pas en faire plus.

Il reste encore un demi escalier. Un couloir. Et le bruit d'une bataille qui grandit de minutes en minutes en même temps que je continue de descendre... Et si en arrivant au point de rendez-vous je ne trouvais que le cadavre de mon père et une foule en furie ?

Si seulement Ysaïne ne m'empoisonnait pas ainsi l'esprit. Alors je laisserai là Esteban. Mais je ne peux m'y résoudre...

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