Idwin (Chapitre 101)
Coucou ! Ce chapitre n'était pas vraiment prévu... ce sont nos conversations avec certains d'entre vous qui se reconnaîtront :p qui m'ont donné envie de développer au moins un peu la famille Aragon et Idwin par la même occasion. J'aimerai beaucoup votre avis du coup, parce que j'ai un peu l'impression que ça manque d'à propos avec le reste... n'hésitez vraiment pas à me dire ce que vous pensez de ce chapitre ! Merci à tous,
Azylis. <3
Une rafale de vent manque de me faire trébucher en avant et je retiens un cri de colère qui cherche à s'échapper de mes lèvres serrées.
Le robot me tient en joue et l'une des femmes les plus influentes de cette bataille discute avec son lieutenant sans que je puisse rien entendre de leur conversation...
-Quel est l'intérêt de me retenir ici ?
Pour toute réponse, le robot lève un peu plus son arme vers ma poitrine. Je n'ose pas bouger et cela m'agace au plus profond de moi-même tandis qu'elle rétorque :
-T'occupes ! N'oublie pas qu'un robot possède une précision de tir maximale... D'ailleurs, je préférerai que tu t'assois. Je n'aime pas te voir debout et prêt à tenter je ne sais quoi de stupide...
Je lui lance un regard sombre en serrant un peu plus mes dents les unes contre les autres. Je finis pourtant par répondre :
-Très bien, mais près du vide...
Elle hausse un sourcil plus haut que l'autre avant de tourner la tête de quelques centimètres vers Azylis qui revient vers nous.
-Il veut s'assoir près du vide, on le laisse faire ?
Azylis me lance un regard que je ne parviens pas à définir même s'il me trouble malgré moi. Il ressemble à celui de sa fille, Ysaïne... Cette insupportable princesse qui représente la seule inconnue de tous mes plans...
Logiquement, je ne devrais pas me préoccuper de savoir où elle se trouve en ce moment. Je ne devrais pas désirer plus que tout la retrouver. Et pourtant, j'ai du mal à résister à l'envie brûlante de me laisser aller à fermer les yeux et à penser à elle...
Mais j'y parviens. J'ai toujours survécu à tout grâce à ma raison. À mon intelligence. Ce n'est pas maintenant que je vais arrêter. Azylis finit par répondre d'une voix étonnamment douce :
-Pourquoi pas... Si je sais bien une chose de toi Idwin, c'est que tu n'es pas quelqu'un à te suicider...
Je ne réponds rien et me contente de leur tourner le dos pour rejoindre en quelques pas le bord du toit. Je veux pouvoir voir à mes pieds les rues animées des combats...
En me laissant tomber au sol, j'entraperçois au bout du toit l'un des grands dragons bleus. Le robot -Maly si je me souviens bien de la façon dont Azylis l'a appelée-, s'assoit elle aussi deux mètres derrière moi mais je ne tente rien. Je sais bien que si je fais le moindre geste elle n'hésitera pas à tirer...
Mes yeux se posent alors sur le spectacle que j'ai voulu voir et se portent à l'horizon. Des tourbillons de fumée noire montent vers le ciel tandis que ma gorge se serre, mes pensées s'emplissant soudain d'un amère regret.
J'avais l'occasion de tuer Azylis, la chef des rebelles, et je n'ai pas réussi. Et pire, j'en ai même été heureux lorsqu'Ysaïne a posé son regard plein de colère sur moi...
Je déteste soudain cette fille. Cette princesse qui me rappelle tant le fantôme d'une autre...
Mes jambes pendent dans le vide et je me penche soudain un peu en arrière, repris de cette peur instinctive de l'homme devant n'importe quel précipice. Je ne suis pas particulièrement courageux... Et mon sang circule soudain plus vite à la pensée d'une chute qui pourrait si vite arriver...
Je veux me retourner soudain vers le robot mais elle m'en empêche d'une voix neutre :
-Reste là... Aucune envie de bouger de nouveau.
Le vent plaque mes cheveux contre mon visage et je m'immobilise parfaitement. Une guerre se déroule en ce moment sous mes yeux et j'ai réussi à perdre dès la première manche... Je suis un incapable. Jamais mon père...
Je me crispe en sentant mes pensées dériver vers lui. Pour quelle raison est-ce que je ne peux jamais me détacher de sa présence ? Je le déteste comme je n'ai jamais haïs personne, et pourtant je cherche encore à l'impressionner de toutes mes forces...
Je n'ose pas faire un mouvement. Je n'ai aucune envie de me prendre une balle dans le bras en guise de prévention. Mais je peux les sentir dans mon esprit en fermant quelques secondes les yeux. Ces cicatrices qui me couvrent le corps. Ces coups que mon père m'a fait subir, chaque jour de ma vie.
Depuis que ma mère n'est plus là et que ma sœur a elle aussi disparu de ma vie. Quoique je ne lui ai jamais permis de m'aider... Je la détestais.
***
Des années plus tôt, au palais de l'Eveland.
J'ai douze ans. Mes yeux se lèvent craintivement vers mon père qui me demande :
-Alors, tu l'as corrigé ce gamin qui t'a manqué de respect, oui ou non ?
J'hésite. Quelque chose d'indéfinissable me serre la poitrine et me coupe la respiration.
-Oui. Je l'ai fais renvoyer de l'école. Ils m'ont obéis.
Je lève un peu plus la tête. Mon regard croise celui que me renvoie la glace en face de moi et j'observe pendant quelques secondes mon image. Un garçon aux cheveux blonds, beau, aux yeux bleus. Mais alors, le regard de mon père s'assombrit comme un lac soudain envahis par des eaux noires et il hurle :
-Tu l'as fait renvoyer ? C'est tout ce que tu as fait ? Tu n'as pas exigé plus ?... Comment as-tu pu laisser passer l'injure ?
Et ce coup qui m'entaille soudain le bras... Je reste stoïque, le regard neutre. D'un geste vif je rabats ma manche pour cacher la blessure nouvelle et relève un regard froid. Je lâche entre mes dents serrées :
-Je ferais mieux la prochaine fois père. Je ne vous décevrai pas.
Il me fixe pendant quelques secondes en silence avant de dire de sa voix grave qui m'a toujours à la fois fasciné et terrorisé :
-Je l'espère.
Je m'apprête à tourner les talons mais la main de mon père se pose soudain sur mon épaule. Je m'immobilise parfaitement et reste silencieux, attendant stoïquement, les yeux rivés devant moi. Ses doigts semblent s'enfoncer dans ma chair et il ne relâche son étreinte que pour dire :
-Ta sœur revient demain d'Astra. Que vas-tu faire ?
Il me lâche alors le bras et je me retourne lentement vers lui. D'une voix soudain presque amusée je rétorque :
-Je ne lui parlerai pas bien sûr. Elle ne le mérite pas.
Une étincelle traverse les yeux du seul homme que je respecte au monde, les autres ne m'inspirant que du mépris car ce sont des faibles, et il murmure :
-Bien. C'est exactement ce que je voulais t'entendre dire.
Et il se retourne vers son bureau, me tournant ainsi le dos et me signifiant que je peux partir. Je quitte le bureau d'un pas nonchalant, avec pour seul geste trahissant la colère que je tente de surmonter ma main sur mon bras entaillé par le coup. Mes yeux s'assombrissent à la façon de ceux de mon père et ma respiration s'accélère tandis que je regagne ma chambre en traversant de couloir et en tâchant d'ignorer le regard des gardes posé sur le sang qui goutte de ma blessure.
Un jour, je serais à la hauteur. Je me le suis promis. Un jour, il me dira que je suis le fils dont il a toujours rêvé...
Je pousse la porte de ma chambre. Une fois qu'elle est refermée, je me précipite vers la salle de bain attenante et fais rapidement couler de l'eau glacée sur mon bras. J'ai vite appris que le décalage de température anesthésie légèrement la douleur.
Je me lève ensuite sur la pointe des pieds et attrape un tube de crème réparatrice sur le haut d'une étagère. J'en étale un peu et pousse un léger soupir. Je regagne ensuite ma chambre et me laisse tomber sur mon lit. Mon père m'a supprimé tous mes jouets. Il a dit qu'ils lui rappelaient maman. Je n'ai plus que le mouchoir brodé dans ma poche comme souvenir.
Je sais que mon père voudrait que je le jette s'il savait que je l'ai. Mais je n'y arrive pas. Mes lèvres se serrent fort et je pâlis soudain, furieux contre moi-même. J'y arriverai. Je le dois. Je dois être à la hauteur.
Pourtant, aujourd'hui je regrette l'absence de mes jouets. De l'écran graphique que ma sœur m'avait offert. Il l'a supprimé aussi. Je n'ai pas essayé de discuter.
Je me redresse sur mon lit et m'adosse au mur peint d'un vert pâle. Mes yeux se posent sur la fenêtre. Je ne suis pas certain que ma sœur revienne aujourd'hui. Elle passe toujours sa vie à fuir ce palais... C'est ce que père dit : qu'elle n'a pas de courage.
Une moue de mépris retrousse mes lèvres et je jette un regard noir à la fenêtre. Elle a vingt-cinq ans. J'en ai douze. C'est à elle de diriger après mon père.
Un sourire ironique affleure alors à mes lèvres. Père m'a déjà dit qu'il ne la laisserait pas faire. Et j'ai appris que si je veux lui plaire je dois la détester.
Je ne la vois pratiquement jamais de toute façon. Ça aide. Je ne connais d'elle que des détails. Un prénom, Theresa. Une tablette graphique. Mais elle a disparu elle aussi...
Parfois je me sens terriblement seul. Personne ne s'occupe jamais de moi à part mon père. Il est l'unique personne à se rappeler que j'existe. Alors je veux lui plaire. Désespérément. Et je déteste ma sœur de ne pas être là. Ce qui me permet d'être honnête lorsqu'il me demande ce que je pense de Theresa...
Je rejette ma souffrance sur les autres depuis longtemps. C'est la seule façon que j'ai trouvé pour qu'il me regarde vraiment. J'ai même parfois l'impression que je lui fais peur. Mais il se rattrape aussitôt et je ne peux m'empêcher de croire alors que j'ai rêvé.
Je resserre mes bras autour de moi et tressaille légèrement. Quelqu'un toque à la porte. Je lance d'une voix dure en me redressant et en jetant un coup d'œil hautain au battant :
-Entrez !
Un homme, l'un des gardes, ouvre et obéis à mon injonction. Il ne me laisse pas le temps de l'interroger et annonce :
-Votre père vous réclame immédiatement.
Ce n'est pas dans ses habitudes de me rappeler deux fois dans la même journée. Je saute au sol avec un visage parfaitement neutre et traverse d'un pas calme ma chambre devant le garde. Arrivé dans le couloir, je lance sans me retourner :
-Inutile de m'escorter dans le palais, je sais où aller...
Mais le garde murmure alors :
-Prince...
Je n'ai pas l'habitude d'entendre cette intonation triste. Personne ne m'a jamais parlé ainsi. Excepté Theresa le jour de mes douze ans lorsque je lui ai hurlé à la figure que je la haïssais. Mais le garde continue :
-... Je suis navré pour vous. Si je peux vous aider...
À quel sujet ? La blessure de mon bras est-elle si visible ? Je pâlis de rage et d'inquiétude avant de rétorquer :
-Je n'ai rien à faire de votre pitié ! Allez-vous-en !
Ma colère est réelle et il s'incline sans mot dire. Moi, ébranlé, je me dépêche de rejoindre le bureau de mon père. Je rentre dans la pièce avec un curieux mélange d'appréhension et d'excitation avant de demander sans regarder :
-Père, vous m'avez fait chercher ?
C'est alors que je le vois. Prostré dans un fauteuil comme je ne l'ai jamais vu. Il ne pleure pas, non. Il regarde d'un air que je n'oublierai jamais un cadre d'argent. À l'intérieur, il y a une photo qui me frappe en plein cœur. C'est ma mère. En train de tresser les cheveux de Theresa. Vu l'angle, elle n'a même pas dû s'apercevoir qu'elle était immortalisée. Sinon, elle aurait eu cette étincelle de peur qui ne la quittait jamais en face de mon père.
Je ne suis pas sur la photo. Et je ne comprends plus. Mais il s'aperçoit soudain de ma présence et veut cacher le cadre d'un geste précipité. Mon regard me trahit et je vois le sien devenir de nouveau noir, mais cette fois-ci sans la moindre lueur qui pourrait me rassurer un tant soit peu.
Il se lève en laissant le cadre tomber au sol et je n'ai pas le temps de réagir qu'il m'empoigne par le col. Jamais je ne l'ai vu ainsi. Jamais.
-Ce que tu as vu... Oublie-le !
L'ordre n'est qu'un souffle, la voix puissante que je connais un murmure. Je ne peux rien faire si ce n'est acquiescer des yeux.
Les yeux rétrécis il ajoute :
-Theresa n'est pas ma fille. D'accord ? Ce n'est que ta demi-sœur... Ta mère avait été mariée à un homme qui est mort dans un... accident. Je ne savais pas en l'épousant qu'elle attendait un enfant. J'ai caché l'identité réelle de Theresa toute ma vie. Je n'aurai pas pu souffrir l'idée que tous sachent que j'ai aimé une femme qui ne me le rendait pas ! Elle ne t'a jamais aimé, toi... Le fils dont elle ne voulait pas. Le mari qu'elle désirait fuir...
La vérité me frappe comme un coup de fouet. Mon père aimait ma mère... Et cette rage que je croyais dirigée contre elle... Ce n'étais que de la colère qu'elle ne lui rende pas son amour. Et Theresa...
Une flamme de jalousie me traverse soudainement. Il m'a menti. Chaque jour. Dans mon âme d'enfant, je comprends tout à coup la vérité. Que c'est moi qu'il n'aimait pas parce que ma mère me détestait au fond. Que c'est ma sœur dont il aurait aimé gagner le respect... Mais qu'elle connaissait l'histoire. Et se rangeait du côté de ma mère.
J'oublie la marque sur mon bras. J'oublie soudain tout. Je recule en me dégageant d'un geste ferme et murmure d'un ton froid :
-Lâchez-moi. Pourquoi me dites-vous tout ça aujourd'hui ?
Il se reprend. Sa voix devient aussi contrôlée que la mienne. Il rétorque :
-Je t'explique la raison pour laquelle elle n'était pas digne de me succéder. La voie est libre désormais. Elle est morte assassinée.
Je ne réponds rien. Parce que j'en suis soudainement heureux. Ma jalousie se trouve vengée.
***
Un goût de cendre m'emplit la bouche. Combien de minutes aient-je ainsi passées à ruminer mes souvenirs ? Je suis toujours perché au bord du toit. La conversation du robot et d'Azylis me parvient à travers ce qui me semble un nuage.
-Nos troupes peuvent encore gagner...
-... Aucune nouvelles d'Ysaïne...
Je ferme les yeux. Cette fille est ma seule faiblesse. Mon seul regret. Parce qu'elle ressemble presque à Theresa. Dans son attitude. Je ferme mes poings lorsque j'entends soudain un murmure envahir mon esprit.
-Maître ? Je... suis en bas de la rue... je crois que je peux... voler...
Je me penche lentement vers la rue dévastée. Mon cœur me semble vide, et mon esprit tout entier tourné vers le passé. J'aperçois alors un éclat vert en dessous de moi et je lance en esprit :
-Rattrape-moi !
Et je me laisse tomber dans le vide. Je n'ai que le temps d'entendre au passage le cri d'horreur d'Azylis mêlé à celui plein de colère de Maly.
Il n'est pas dit que je ne ferai rien pendant cette guerre.
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