Edilyn (Chapitre 113)

Nous avons tous entendu les bruits derrière la porte que nous fixons tous. Esteban est assis dans un fauteuil à gauche du battant et mobilise toutes ses forces pour parvenir à ne pas s'effondrer de l'épuisement dû à ses blessures. Idwin est debout aux côtés de son père. Ezeor n'a pas pu fuir à cause des dragons ennemis montant la garde...

Je suis seule face à la fenêtre, le dos tourné à la porte, m'attendant à tout moment à la voir voler en éclat. Personne ne sait ce que j'ai écris dans cette lettre. Je leur ai juste dit de ne pas bouger lorsque la porte s'ouvrirai.

Pourquoi ai-je tant tenu à m'assurer qu'ils s'en sortent tous ? Parce que j'arrive à la fin de ma vie ? Que je contemple toute mon existence sans rien trouver de beau pour la justifier ?

La colère n'a pourtant pas quittée mon âme et ma souffrance est toujours aussi vive lorsque je repense à mes filles. Ysaïne... Mes ordres seront-ils respectés ? Trouvera-t-elle la lettre ? Et que fera-t-elle ? Je ne le sais pas. Un curieux mélange de regret et de tristesse me serre le cœur depuis plusieurs heures.

Même si je sens ce serpent au fond de moi qui ne demande qu'à se dresser et à mordre. À blesser autant que je le suis... Mais je sais reconnaître quand tout est perdu. Et alors je préfère mourir sur un acte que l'histoire retiendra à la gloire de mon nom et non sur un dernier assassinat...

Je tressaille. Je me voile la face. La vérité c'est que je ne peux pas tirer sur Ysaïne. Que si je veux tout détruire pour que tous sentent ce vide qui existe en chacun de nous et qui ne me quitte jamais depuis la disparition de Gabriel mais que mes jumelles avaient réussi à combler, je ne me sens pas capable de tuer cette fille qui lui ressemble tant...

Une larme unique roule le long de ma joue. Ma main tremble. Une envie dérisoire me prend d'enfiler le casque de contrôle de Yves là-bas sur Sagan et de passer mes derniers instant en tentant d'apercevoir celui que je ne peux plus cesser d'aimer. Gaëtan.

Un bruit soudain m'arrache à mes cauchemars. Idwin observe d'une voix froide :

-La porte...

Ezeor se contente d'hocher la tête. Esteban veut se lever mais je l'en arrête d'un geste.

-Je vous ai dit de ne rien faire !...

Ils s'immobilisent. Ma voix elle même ne me ressemble pas. Elle est brisée et mon visage semble défait, abandonnant tous les masques que je semble toujours endosser pour cacher mes sentiments.

La porte s'ouvre d'un mouvement lent, comme pour augmenter le supplice, et je me tourne de nouveau vers la fenêtre. Un triple cri jaillit des bouches d'Esteban, d'Idwin et d'Ezeor :

-Ysaïne !

Je ne bouge pas. Je maîtrise chacun des tressaillements de mon corps et le moindre de mes muscles. J'entends la porte se refermer mais ne fais pas un geste. Ma respiration ralentit dans ma poitrine tandis que je me force à rester telle que je l'ai toujours été : forte. Mais la douleur qui me ronge depuis des années, exacerbée depuis la mort de Saldya et d'Eslimea manque de me faire perdre tout contrôle de moi-même avant que je ne réussisse à retrouver un semblant d'air respirable.

Ysaïne s'est immobilisée quelque part derrière moi. On pourrait entendre une mouche voler. L'instant est peut-être historique mais je songe soudain que ce n'est au fond que le passage d'un règne à un autre. Et que je suis sans doute la seule à trouver cela tragique.

La fille de Gabriel demande alors d'une voix neutre :

-Que vouliez-vous me dire ? Me voilà ma tante.

Je me retourne alors lentement vers elle pour la détailler. Ses cheveux bleus encadrent son visage où l'on distingue les traces du rude combat auquel elle a dû participer. Sa tunique à capuche et son fin pantalon noir intégralement noirs ne parviennent pas à cacher la poussière qui les macule. Mais ce sont ses traits qui me marquent le plus. Immobiles, fixes, décidés à tout. Esteban me tire de ma contemplation en lâchant dans un murmure :

-Ysaïne qu'est-ce que...?

Elle ne se retourne même pas vers lui. Idwin continue d'observer comme moi son visage fermé, sa mâchoire contractée, et la même conclusion nous vient à l'esprit à cet instant précis à tous les deux. Idwin demande :

-Qui est mort Ysaïne ?

Elle ne lui adresse pas un regard. Ses yeux enflammés sont fixés sur les miens. Elle murmure :

-Personne qui me sois particulièrement proche. Si ce n'est des dizaines de milliers d'innocents. Et... Un blessé.

Je détourne la tête. Ma première pensée est pour Azylis... Je n'ai pas menti dans cette lettre. Je la déteste au plus profond de moi-même. Mais Ysaïne poursuit d'une voix froide :

-C'est Christian. Le lieutenant de ma mère. Que vouliez vous ma tante ?... Pourquoi vouliez vous me parler ?...

Je la regarde de nouveau. Elle a levé le bras. Elle tient entre ses doigts serrés un fin pistolet qui brille dans la lumière du jour. Je murmure avec un sourire sans joie :

-Alors c'est tout ce que tu as trouvé ? Un revolver ?

Elle ne bouge pas mais allonge le bras sans un mot de plus vers moi. Ses cheveux bleus semblent s'agiter un bref instant tandis qu'elle redresse la tête et rétorque :

-Je ne suis pas une princesse au sens propre du terme. Je n'ai pas peur de la guerre. Et dans toutes les batailles, il vaut mieux ne pas être le perdant...

-Ysaïne ! Tu ne peux pas faire ça. Tu n'es pas une meurtrière Ysa... Je t'en prie !

Le cri a jaillit de la bouche d'Esteban et nous nous tournons toutes les deux vers lui tandis que l'ancien maire d'Ivy redresse la tête. Ce simple geste lui arrache un nouveau gémissement tandis qu'Ysaine demande pour toute réponse :

-C'est elle qui t'a mis dans un tel état ?

-Je l'avais trahie Ysa... Ne fais pas ça...

Elle se tourne alors vers Idwin et sa fermeté vacille pendant quelques secondes tandis qu'elle murmure d'une voix changée :

-Et toi Idwin ? Toi qui a tué deux enfants innocentes ?

Je me tourne lentement vers le prince. Un sentiment de vide absolument effroyable s'empare de moi tandis que je murmure d'une voix atone :

-C'était toi... Et j'ai eu pendant tout ce temps le meurtrier de mes filles à mes côtés !

Mais je me sens si faible. Si triste. Ma vengeance ? Si j'avais une arme je m'en servirai aussitôt. Mais je n'en ai pas. J'ai voulu me protéger de moi-même. Parce que je voulais tenir ma promesse. Je n'aurai pas pu survivre à la fille de Gabriel. C'aurait été mon dernier regret...

Idwin répond d'une voix étonnamment douce chez lui à Ysaïne :

-Ysa... Je suis d'accord avec notre maire exemplaire. Tu vas régner sur un grand pays... Voudrais tu tout commencer par un meurtre ?

La lueur de certitude qui brillait dans les yeux d'Ysaïne vacille et, ignorant les regards brûlants d'Esteban, ceux neutres du roi et les miens, elle murmure en direction d'Idwin :

-Reste avec moi...

C'est maintenant lui qui vacille. Le silence dure quelques secondes avant qu'il ne secoue la tête.

-Nous nous détruirions l'un l'autre Ysa. Nous aimons nos pays respectifs... Nous sommes condamnés à nous déchirer. Une alliance ? Nos peuples ne la veulent pas... Et tu n'abandonneras jamais Astra.

Il fait une légère pause tandis qu'un éclair de souffrance à l'état pur traverse ses yeux. Mais il poursuit résolument :

-... Et j'ai choisi mon père.

La tristesse qui envahit alors Ysaïne s'ajoute à sa haine et lorsqu'elle se retourne de nouveau vers moi, arme braquée vers mon cœur, je me surprends à songer que cela ne pouvait pas se terminer autrement.

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