Azylis (Chapitre 76)

À mon grand soulagement, la porte de l'appartement s'ouvre et Sarah entre en coup de vent dans la pièce, empêchant ainsi Ysaïne de rétorquer. Malgré tous mes efforts, je sais bien que sa réponse me fera toujours aussi mal au coeur.

Sarah marque un temps d'arrêt en regardant l'état du mobilier du salon -j'aurai au moins pu épargner dans ma colère les fauteuils... hum...- et ses yeux se posent sur Christian, moi, pour enfin regarder ma fille. Elle lâche avec une petite moue désagréable :

-Je croyais qu'elle était partie celle-là... Et Azylis, la prochaine fois que tu veux faire le ménage sans l'aide des robots ménagers, préviens moi s'il te plaît...

Christian esquisse un petit sourire mais je ne peux l'imiter. La seule mention du mot "robot" suffit à me rembrunir. Sans compter le reste de ses mots. J'ai l'impression que Sarah cherche tout le temps à me provoquer, certains jours. Mais je me force à adopter un ton égal, en essayant de ne pas trop regarder ma fille, et demande à ma lieutenante :

-Pourquoi reviens-tu si tard ? Il est presque minuit...

-J'ai eu des informations...

Elle jette un regard noir à Ysaïne mais Christian me devance en s'avançant vers elle.

-Sarah, la fille d'Azylis peut tout entendre. Elle suivra de près nos discussions à partir d'aujourd'hui.

Le regard de Sarah s'adoucit toujours incroyablement lorsqu'elle regarde Christian. Mais cette fois-ci, ses yeux lancent un petit éclair et elle fait visiblement un effort sur elle-même pour ne pas violemment répliquer. Elle se tourne alors carrément vers moi.

-J'ai eu des informations au sujet de l'arme.

Je regrette de n'avoir pas de siège pour m'asseoir et recule pour m'appuyer contre le mur. Ma fille s'est laissée tomber dans un petit espace libre sur le seul fauteuil encore intact. Elle demande :

-Quelle arme ?

Christian s'empresse de répondre avant que Sarah ne laisse échapper une nouvelle remarque acerbe.

-Celle qu'Edilyn compte utiliser pour nous vaincre. Nous savons seulement qu'elle sera très dangereuse... Et qu'elle tient dans la main, donc que sa taille est raisonnable, ce qui n'en est que plus intrigant.

Mais Sarah secoue la tête et je me force à détacher mes pensées d'Ysaïne pour prendre la parole à mon tour.

-Qu'as-tu appris de nouveau ?

-L'un des chercheurs qui a participé à sa création est venu me voir. Je crois que sa conscience...

On sent à sa façon de parler qu'elle se demande bien qui peut croire qu'une chose pareille existe...

-... Ne lui permettait pas d'assumer ce qu'ils ont créé.

Je me détache du mur et demande le plus calmement possible :

-Mais enfin, qu'est-ce que c'est ?

Sarah pose son regard sur le mien et je sens un tressaillement nerveux me parcourir. Je sens que je ne vais pas beaucoup apprécier... Elle ferme à demi les yeux avant de lâcher :

-Ils surnomment l'arme le voleur d'âme. La sphère peut se déplacer, avec quelqu'un pour la commander derrière, dans les airs et les personnes à proximité... sont en danger.

Ysaïne intervient alors en fronçant ses sourcils bleus sans comprendre.

-Voleur d'âme ? Mais qu'est-ce que ça veut dire concrètement ça ?

Elle agite le pied devant elle et Sarah pousse un léger grognement avant de dire :

-Exactement ce que ça veut dire. La sphère réussi à prendre l'énergie vitale de ceux qui l'entoure. Elle peut ensuite utiliser cette énergie sous forme de rayons lumineux... qui détruisent tout. Je n'ai pas les explications scientifiques sur son fonctionnement mais le résultat est celui que je viens de vous décrire.

J'arrête de respirer pendant quelques secondes. C'est terrifiant et j'imagine en un instant le danger que représente ce minuscule objet conservé dans un certain étage... Je pense une nouvelle fois à Maly et ma gorge se serre. Là, tout de suite, elle arriverait sûrement à encore détendre l'atmosphère. Pourtant, je ne vois pas ce qu'elle pourrait dire pour me faire rire avec Ysaïne qui refuse de m'accepter et qui est pourtant en face de moi. Une véritable torture...

Mais ma fille se lève brusquement de son siège et rompt le silence de la pièce en demandant d'une voix décidée :

-Personne ne sait où elle est conservée ?

J'entends de nouveau dans mon esprit Christian me dire qu'on ne peut pas lui faire confiance. Et puis je croise ses yeux incroyablement bleus et quelque chose chavire en moi. J'aimerai tant... qu'elle m'accepte. S'il n'y avait toute cette guerre, je sais que je pourrai la regarder avec adoration pendant de longues minutes. Mais je ne peux que choisir de répondre en réprimant violemment mes sentiments.

-On sait où elle se trouve, Ysaïne.

Elle lève la tête avec défi, nous regarde tous tour à tour, puis arrête de nouveau ses yeux sur les miens.

-On pourrait la voler alors... il est une heure du matin c'est ça ? La trêve prend fin dans quelques heures... On a encore une chance !

Tout le monde sursaute dans la pièce. Sarah vire au rouge cramoisi et elle demande d'un ton narquois :

-La voler ? C'est tout ce que notre merveilleuse princesse a...

Ysaïne lève la main et avant que Sarah ait pu voir ce qui lui arrivait, ma fille lui tord violemment le poignet avant de la relâcher avec une brutalité qui me stupéfie. Je crois qu'elle surprend tout le monde d'ailleurs.

-Je ne suis pas princesse ! Ne l'oublie jamais...

Je cache la douleur aiguë qui me traverse et tente d'afficher un sourire. Mais je fronce aussitôt les sourcils lorsque les mots de ma fille m'apparaissent clairement. J'échange un coup d'œil avec Christian tandis que Sarah frotte d'un geste mécanique les marques rouges de son poignet. Je demande d'une voix que j'espère calme :

-Pourquoi proposes-tu de la voler ?

Ysaïne hausse les épaules dans le silence revenu.

-C'est la seule solution...

Elle affronte mon regard mais je devine qu'elle n'est pas aussi indifférente qu'elle voudrait le paraître. Et cela me fait plaisir... j'entends personnellement plus distinctement les battements de mon cœur lorsque je l'observe.

Christian réplique calmement, mettant ainsi fin à notre échange silencieux de regards.

-Comment voler l'arme ? Nous avons envoyé au palais quelqu'un qui, normalement, avait le maximum de chances de ne pas être repéré. Et cela ne s'est pas bien passé.

Ysaïne demande froidement :

-Qui étais-ce ?

Je réponds d'un ton brusque, déjà sur la défensive :

-Un robot. Maly.

Ysaïne me jette un regard neutre. Je devine qu'elle retient un nouveau haussement d'épaule et je sens la déception m'envahir. J'aurai aimé que ma fille comprenne au moins cela. Que je me batte pour les robots et les dragons...

Mais Ysaïne ne semble pas changer d'idée. Elle ouvre sa sacoche, farfouille à l'intérieur, semble vérifier qu'un objet s'y trouve bien puis relève la tête et esquisse un sourire.

-Vous n'avez jamais eu de professionnel c'est tout. Voler cette arme, si je comprends bien la situation, c'est notre seule chance. Et je veux y aller.

-Ysaïne ! C'est une idée aussi ridicule que...

Je veux me précipite vers elle mais je réussi à me retenir de justesse. Mon cœur semble battre encore plus vite tant j'ai peur de ce qu'elle va dire. Elle ne détache pas son regard du mien et rétorque :

-Voler votre arme, ce n'est pas plus difficile que voler le bracelet d'Edilyn, non ?

Elle plonge alors la main dans son sac et en ressors un fin bijoux doré étincelant. Je ne me souviens pas de l'avoir vu en vrai.

Les yeux du serpent métallique brillent d'un éclat particulier sous les lampes et je ressens brusquement la fatigue. Si seulement je pouvais m'assoir... Le serpent. Voler n'est pas compliqué...

Les autres ont été moins longs que moi à comprendre. Sarah murmure déjà :

-En fait je crois que je vais finir par la trouver pas mal, ta gamine, Azylis.

Christian pousse de son côté un petit sifflement :

-Je comprends mieux pourquoi tu ne me disais pas ton métier...

Il se tourne ensuite vers moi et je pousse un léger soupir crispé. Encore une fois, je sais que je ne vais pas aimer ce que je vais entendre.

-Et ça, Azylis, Gabriel l'aurait fait ?

Jamais. Même quand il était près à tuer Sady... Il considérait que voler, c'était se rabaisser. C'était un prince... J'ai du mal à regarder Ysaïne maintenant. Je me sens déçue au plus profond de moi-même tandis que je ne peux m'empêcher d'espérer qu'elle se défende de la conclusion que tous viennent de prendre. Mais elle ne dit rien. Lorsque je relève enfin les yeux vers elle, elle me dit doucement sans s'adresser aux autres :

-Je vous l'avais dit. Que vous ne me connaissiez pas.

Je ne réponds rien et elle range rapidement le bracelet doré. Personne n'a mis en doute le fait que ce soit celui d'Edilyn. Nous savons tous qu'aucun fabriquant ne s'amusera jamais à en créer un autre... Et celui-ci est véritable, en or et en émeraude, j'en suis certaine. Elle a tout de même... du talent puisqu'elle s'en est sortie en vie. Je ne sais quoi répondre à Ysaïne. Mais Christian et Sarah échangent un regard et c'est cette dernière qui résume à haute voix leur pensée en regardant ma fille.

-Après tout, qu'est-ce qu'on risque ? Vu les enjeux, pardonne-moi d'avance Azylis, mais je crois qu'on devrait tenter le coup.

Ses yeux brillent d'amusement. Je ne vais pas pouvoir refuser... Je me décide à intervenir :

-Ysaïne, tu es peut-être une...

-... une voleuse oui.

Le sourire de Sarah est insupportable et je poursuis en ne quittant pas ma fille des yeux :

-Mais ça c'est clairement trop. Comment pourras-tu combattre les gardes ?

Ysaïne esquisse un sourire. Maintenant, il me semble que c'est elle qui dirige la conversation.

-Ce n'est pas plus dangereux que la fois où j'ai volé le diadème de bal de Madame Steeplle. Une véritable œuvre d'art d'ailleurs... Il m'a fallu plusieurs années pour m'en séparer.

Je connais cette affaire. Elle avait fait la une des journaux lorsque j'étais encore en Eveland. Mais jamais, jamais je n'aurai pensé que ma fille en serait l'auteur...

Je voudrai détourner mes yeux mais je n'y parviens pas et elle ajoute avec un petit sourire qui me fait reculer car il ressemble exactement à une mimique de Gabriel :

-Et puis, c'est un superbe défi...

Ou a-t-elle appris à lui ressembler autant ? Cette passion, cette envie d'aller toujours plus loin s'est terminée pour lui le jour où il a tué Sady. Un frisson m'échappe et je tente de retrouver mon calme. Ysaïne termine la conversation sans cesser de sourire afin de cacher ses autres émotions :

-Alors ? Il ne nous reste que quelques heures... Où est conservée cette arme ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top