Azylis (Chapitre 148)

Lentement, comme à travers un rêve, je vois ma fille s'agenouiller sur une marche de verre du bâtiment circulaire loin en contrebas de la loge où je me trouve.

Et cet homme en uniforme qui s'approche, lui aussi visiblement sous le coup de l'émotion comme toute l'assistance, tenant sur un fin coussin de soie un unique diadème d'argent...

Et cet autre qui le prend entre ses mains qui tremblent légèrement avant de l'élever au-dessus de sa tête... Il me semble que tout le monde retient son souffle et je me retourne d'un mouvement vif vers le seul être à partager ma loge : Christian. Ses yeux brillent toujours de cette lueur de révolte qu'il ne pourra jamais maîtriser tandis qu'il regarde la couronne lentement redescendre pour se poser sur les cheveux bleus.

Il relève alors ses yeux foncés vers les miens et, surprenant mon regard posé sur lui, il murmure :

-Je ne suis pas certain de savoir ce que je ressens. J'ai passé ma vie à détester la monarchie, tous ces codes... Et depuis quelques années je me suis battu contre moi-même pour permettre ce couronnement. Pour payer ma dette. J'ai l'impression que j'ai enfin remboursé ce que je devais et que je peux redevenir moi-même mais...

Ma fille se relève lentement. Personne ne parle et le silence est palpable. Si je ne regarde plus Christian, je suis sensible à la détresse que je perçois soudain chez lui et je me prends à avoir envie de le serrer contre moi. Je réponds d'une même voix basse sans quitter des yeux Ysaïne couronnée :

-... Mais tu as changé. Tu n'es plus le même, c'est cela ?

Je relève alors les yeux vers Christian. Son regard me paraît enflammé lorsqu'il hoche la tête.

-Je ne sais plus qui je suis. Je sais juste que...

Je regarde droit devant moi et il se tait de lui-même après avoir lancé un regard furieux droit devant lui comme s'il s'en voulait.

Je sais ce qu'il allait dire. Qu'il m'aimait. Encore et toujours... Serais-je un jour capable de le considérer autrement qu'un ami ?

Mais malgré ma gorge serrée, comme si je ne voulais pas voir sa souffrance, je me penche un peu plus vers le bas de la salle, tandis que chaque personne de l'assistance commence à se lever.

Une femme s'avance alors devant ma fille immobile et s'incline profondément, un genoux à terre.

Elle se relève ensuite et dans le plus complet des silences ne retentit qu'un cri jaillissant de sa bouche :

-Vive la reine d'Astra !

Ysaïne est pâle et reste parfaitement immobile, le regard rivé droit devant elle. Alors, une à une, chaque personne commence à s'avancer jusqu'à former une immense foule qui s'étire jusqu'en dehors du bâtiment dont les portes immenses sont ouvertes.

Un homme, une enfant dans les bras, s'incline, et la petite fille pose à terre une unique fleur.

Je devine une larme d'émotion sur la joue de ma fille. Une vieille femme s'incline à son tour et lorsqu'elle se relève elle trouve assez de force au fond d'elle pour crier en levant le poing :

-Vous rendrez à Astra sa grandeur !

Un autre, un homme, puis une jeune fille de peut-être quatorze ans, un enfant de dix, et encore une foule toujours plus grande...

-Vive la reine...!

-Merci d'être venue pour nous...

-La première fois que j'ai appris votre existence, c'était le jour de la mort du prince et j'ai alors senti au fond de moi un regain d'espoir...

-Vive la reine d'Astra !

-Longue vie...

Mes mains sont blanches tellement je serre avec force mes doigts et je sens à peine Christian me tirer légèrement en arrière après que je me sois penchée encore en avant.

Ysaïne relève alors les yeux vers moi. Nos regards se croisent et mon sourire s'agrandit sur mes joues. Le sien me fait alors terriblement penser à Gabriel mais je n'en ressens aucune nostalgie. Juste un regain d'amour...

Je me tourne alors de nouveau vers Christian. Ses yeux brillent toujours mais il semble légèrement calmé. Comme s'il n'attendait que le moment où j'allais enfin le regarder, il murmure de sa voix grave :

-Je suis certain que je saurais découvrir qui je suis...

Je pose ma main sur son épaule sans réfléchir, la gorge serrée sans savoir pourquoi.

-J'en suis certaine aussi.

Ses yeux brillent et il murmure :

-Tu comprends ce que je vais faire n'est-ce pas ?

La foule continue de s'avancer vers ma fille, et tous s'inclinent avant de lentement repartir mais je n'y fais plus attention. Maintenant, je ne pense plus qu'à Christian et à lui seul. Je réponds de ma voix la plus douce, pour tenter de cacher l'anxiété qui s'empare lentement de moi :

-Tu voudrais partir ?

Il acquiesce lentement, observant mon visage qui se fige. J'ai instinctivement reculé et la foule ne peut plus nous voir au balcon...

Il avance alors avec hésitation sa main vers mon visage et caresse doucement ma joue. Pour la première fois depuis que nous nous connaissons peut-être, je ne cherche pas à me dégager et murmure juste, laissant une larme rouler sur ma joue :

-Faut-il vraiment que je vous perde tous ?

Il esquisse un sourire triste et répond sans détourner les yeux :

-Jamais je ne pourrais vraiment vivre à tes côtés... C'était une illusion. Je ne suis pas fait pour cette vie de palais... et je t'aime trop pour accepter de rester tel que tu me l'autorises : un simple ami fidèle.

Je veux m'exclamer mais quelque chose dans son attitude m'en empêche. Je ne réponds rien d'abord puis, brusquement, sans avoir réfléchi, je me penche vers lui et l'embrasse.

Ce simple baiser me semble brûlant, rendu amer par le goût de nos larmes...

Lorsqu'il se détache de moi, son regard ne vacille pas et il murmure en reculant de nouveau en direction de la porte tandis que je sens mon cœur battre à toute allure, me déchirant la poitrine d'une douleur aiguë :

-Tu n'oublieras jamais Gabriel...

Je ne peux le contredire. Mais j'aimerais parvenir à exprimer toutes ces émotions qui me serrent la gorge...

Je ne réussis qu'à détourner les yeux, m'approchant très légèrement du bord du balcon pour regarder cette foule qui s'agenouille aux pieds de ma fille.

Je me retourne quelques secondes plus tard et laisse échapper un cri qui résonne dans le petit espace mais que personne d'autre ne peut entendre :

-Non ! Ne t'en va pas ! Christian !

Mais il n'y a plus personne derrière moi...

Alors j'ouvre brutalement la porte et me précipite dans le couloir désert. Je me mets à courir sans avoir plus conscience de rien ni parvenir à réfléchir à quoi que ce soit.

J'arrive enfin dans une enfilade de pieces immense, désertes, et j'accélère inconsciemment ma course, sentant mon cœur battre encore un peu plus fort dans ma poitrine. Parce que je sais ce qui se trouve au bout... Lorsque j'atteins la dernière salle, je m'immobilise contre un mur, regardant la grande porte ouverte.

Une silhouette immobile se détache dans le soleil qui illumine l'ombre de la pièce et ses cheveux sombres, le faisant ressortir comme jaillissant de la nuit.

Nous sommes à une dizaine de mètres l'un de l'autre mais je n'ose pas m'avancer. Je lis un soudain espoir fou dans ses yeux mais je ne parviens pas à articuler les mots qu'il attend. Je ne l'aime pas. Pas comme il le voudrait.

Alors, il me lance un dernier long regard et je murmure malgré ma gorge serrée et les larmes sur mes joues :

-Adieu...

-Adieu...

Il hésite puis ajoute :

-Dis au revoir de ma part à la reine d'Astra.

Et il sort sans se retourner tandis que je reste figée sur place, comme frappée par la foudre.

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