Azylis (Chapitre 115)
J'ai le cœur au bord des lèvres en entrant dans la pièce avec Maly à mes côtés. Sarah est restée derrière pour tenir nos hommes qui commencent comme moi à prendre peur mais le soulagement m'envahit heureusement presque aussitôt lorsque je découvre Ysaïne debout devant moi, sans blessures apparentes. Son visage est en revanche strié de larmes lorsqu'elle se retourne vers moi.
-Maman... Je ne veux pas la mort d'Edilyn.
J'essuie d'un geste vif une larme de sa joue et un petit sourire fleurit sur ses lèvres. Ce n'est qu'à cet instant que je relève la tête vers celle que je combats depuis si longtemps, la rage au cœur. Le mot qui sort de ma bouche prend une intonation très particulière que je ne parviens moi-même pas à comprendre.
-Edilyn...
La reine me dévisage dans un silence de mort. Maly a refermé la double porte et se tient appuyée contre le battant. Je me décide à dire :
-Nous ne pourrons jamais la garder dans une prison...
Edilyn hoche la tête dans ma direction puis murmure :
-Je serais toujours un danger. Où que j'aille. Et vous le savez tous.
Le maire d'Ivy prend alors la parole depuis son fauteuil. À sa façon de parler, on devine l'homme qui retrouve ses habitudes de commander.
-Il n'y a qu'une chose à faire... Ce qui détruit le plus un roi c'est d'être éloigné de son pays. Gabriel Astra n'a jamais pu rester dans le passé... Tôt ou tard il serait revenu. Mais tant qu'il y était, il n'était pas dangereux. Je ne vois pas d'autres solutions Altesse. L'exil. Dans un endroit d'où vous ne pourrez jamais revenir...
Edilyn semble s'être reprise. Ses traits gardent une immobilité parfaite. Mais ses yeux si sombres s'illuminent un bref instant d'une lueur de peur tandis qu'elle murmure :
-Oh non, pas ça... Je ne pourrai jamais vivre en dehors d'Astra.
Le maire d'Ivy rétorque d'une voix faible :
-Vous l'aviez prévu...
La réponse d'Edilyn n'est qu'un cri de souffrance à l'état pur :
-Pour mes enfants ! Sans elles jamais je n'aurai eu l'idée de quitter mon pays ! Tuez moi plutôt !
Elle se tourne vers ma fille et celle-ci relève la tête. Ysaïne hésite, son regard fait le tour de la pièce puis s'immobilise sur celui de Maly.
-Et toi ? Qu'est-ce que tu en penses ?
Maly esquisse l'ombre d'un sourire, amusée d'être consultée. Touchée aussi je le pense, bien qu'elle essaie de le cacher. Mais je la connais trop bien -malgré sa perte de mémoire- pour ne pas pouvoir ne pas la comprendre.
-L'exil est la seule solution si l'on refuse l'exécution. Il n'y a rien d'autre à ajouter.
Il se passe alors quelque chose d'étrange. Idwin et son père échangent un regard avant que ce dernier ne finisse par s'avancer.
-Je ne pense pas que vous nous ferez confiance mais il n'y a pas de manigance là-dessous. Nous sommes prêts à offrir l'asile politique à la reine.
Ysaïne évite de poser les yeux sur Idwin mais contemple pendant quelques secondes le roi. Elle murmure alors de nouveau en se tournant cette fois-ci vers moi :
-Qu'est-ce que vous en pensez ?
Je m'avance lentement vers Edilyn. Nous ne sommes plus qu'à deux mètres l'une de l'autre et je repense à ce qu'elle a écrit à mon sujet à Ysaïne dans la lettre que j'ai eu tout à l'heure en main.
Je murmure à son intention :
-J'en suis sincèrement désolée... Mais c'est un risque bien trop grand. L'exil doit être définitif dans une terre où vous n'aurez aucun pouvoir. Et aucune chance de revenir.
Edilyn est de plus en plus pâle. Elle reste parfaitement immobile puis finit par répondre :
-Je vous l'ai déjà dit... Je préfère mourir.
Un léger silence envahit la pièce. Mais Ysaïne s'avance alors à son tour. Elle contemple pendant quelques secondes la reine déchue avec un mélange de tristesse et de colère qui ne semble pas vouloir la quitter depuis que Christian s'est écroulé dans les escaliers devant elle.
Elle énonce d'une voix ferme malgré la douleur qui perce à chaque syllabe la sentence qui tombe dans le plus complet des silences.
-Edilyn Astra... Ma tante. Je vous avais dit que vous seriez jugée par un conseil. Mais cela me paraît maintenant une évidence que jamais ils ne vous laisseront en vie...
Elle s'interrompt quelques secondes. Puis poursuit :
-Au nom de mon père, du prince Gabriel Astra, vous êtes condamnée à l'exil définitif hors d'Astra.
Ma fille inspire alors longuement avant de lâcher :
-... Sur la planète Sagan. Toute tentative de revenir aura pour conséquence immédiate la mort. Sans possibilité de recours.
Le silence dure de longues minutes. Ma fille et Edilyn se fixent des yeux sans réussir à rompre ce contact. Leur ressemblance ressort d'autant plus et un léger frisson me parcourt. Cette décision... Était-ce réellement la bonne ? Ysaïne sera t-elle réellement la reine que tout Astra attend ?
Mais Maly me tire de mes pensées en rouvrant la double porte derrière nous et en s'éclipsant. Quelques minutes plus tard entrent quatre gardes et Sarah. Mon cœur se serre un peu plus en voyant les gardes s'emparer de celle qui fit trembler tout Astra pendant des années.
Les menottes claquent autour de ses fins poignets et je l'entends murmurer :
-Vous avez tort. J'aurai toujours envie de me venger. À chaque seconde de ma vie.
Les gardes resserrent violemment les menottes. Quelques gouttes de sang tombent sur le sol mais je n'interviens pas.
Parce que je sais que chacun des membres de notre armée trouvera la punition insuffisante. Et qu'il n'y aura que leur respect d'Ysaine et de ses ordres pour les retenir de détruire sur place Edilyn.
Sarah s'est immobilisée à côté de moi. La grande double porte est ouverte. Nos hommes s'écartent tout le long de l'immense couloir, formant de nouveau un passage entre eux et comme une étrange haie d'honneur.
Edilyn relève les yeux. Ysaïne lance d'une voix tremblante :
-Enfermez-la sous haute surveillance dans l'une des cellules du palais ! Que l'on ne la quitte pas des yeux une seule seconde !
L'une des gardes fait signe à l'ancienne reine d'avancer et Edilyn passe devant moi entourée de nos hommes. Un léger parfum d'herbes sauvages envahit pendant quelques secondes l'atmosphère avant qu'elle ne disparaisse dans le couloir, suivie de près par Ysaïne.
Tout le monde sort de la pièce mais je reste quelques secondes immobiles. Mon regard est inexplicablement attiré par un reflet sur l'une des commodes.
Une petite statuette de danseuse, gracieuse, figée dans le temps pour l'éternité. L'objet ne paraît pas à sa place dans le décor et je ne peux m'empêcher de le fixer pendant de longues secondes. Lorsque je me décide enfin à sortir de la salle, un rayon de soleil se reflète sur le joli visage sculpté et illumine les traits figés qui semblent curieusement à la fois sourire et pleurer...
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