Chapitre 27

J'étais heureuse comme je ne me souvenais pas avoir était heureuse et j'étais triste autant que je pouvais être triste.

Alors que l'eau de la douche dégoulinait le long de mon corps, je me rappelai la conclusion que je m'étais faite de cette journée.

Le bonheur est inutile car quand ça se termine, c'est douloureux.

Je me fis la réflexion que je devais être une des rares personnes à m'en rendre compte aussi tardivement.

Après ma douche, je me séchai, me rhabillai et me rendis dans ma chambre.

Je m'allongeai sur mon lit. Les minutes s'égrainèrent sans que je m'en rende compte.

J'avais bien remarqué que Célestin n'avait pas osé me regarder dans les yeux après avoir annoncé notre départ. Je ne lui en voulais pas. Je lui étais même plutôt reconnaissante pour ce qu'il avait fait. Et même si je ne la connaissais pas, je me doutais que la raison pour laquelle nous avions dû partir était importante. J'avais lu dans ses pensées juste avant de revenir, à la recherche de la raison du départ, mais Célestin était focalisé sur la peine que je ressentais à partir. Rien d'autre n'avait semblé lui importer.

Alors que je réfléchissais, je ne me rendis pas compte que la fatigue accumulée depuis quelques semaines commençait à me rattraper. Mes yeux se fermèrent et je plongeai dans un profond sommeil.

J'étais dans ma chambre. La même que la dernière fois. Je lisais un livre. Passionnée par les aventures du héros, je n'entendis pas tout de suite les bruits inhabituels provenant du rez-de-chaussée. Je ne les remarquai que lorsqu'une voix rarement entendue résonna dans la maison.

En la reconnaissant, je jetai mon livre sur ma table de nuit et courus dans les escaliers.

-Papi ! M'exclamai-je en me jetant dans les bras du vieil homme.

Il manqua de justesse de tomber en m'attrapant dans ses bras.

-Bonjour, ma princesse, répondit-il avec un grand sourire en me serrant contre lui, comment vas-tu ?

-Très bien, répondis-je en descendant.

Il me parut géant. Pourtant, il était plus petit que papa.

-Où est mamie ? Demandai-je avec un froncement de nez.

Il parut hésiter un instant.

-Elle était fatiguée, elle a préféré rester à la maison...

-Pourquoi est-ce que tu mens ?

Je vis les visages de mon père et de mon grand-père s'assombrirent.

-Elle est morte, pas vrai ? Murmurai-je

Je pris le manque de réponse pour un assentiment. Papa s'approcha de moi et me pris dans ses bras. Je cachai ma tête dans son épaule. J'étais triste pourtant je ne parvenais pas à pleurer. Pourquoi ne parvenais-je pas à pleurer ?

Je voulus m'écarter de papa, mais il me retint serrée contre lui. Je sentis quelque chose de froid et d'humide tomber dans mon cou. Papa pleurait ! Je n'avais jamais vu papa pleurer. D'habitude il se mettait en colère. Mais jamais il ne pleurait. Pourquoi n'était-il pas en colère ?

Je compris quelques minutes plus tard, lorsqu'il réussit enfin à me lâcher et que je vis la main de maman dans la sienne. Elle seule était capable de calmer son mari.

Elle le prit dans ses bras alors que les larmes devenaient de plus en plus abondantes sur son visage.

Je m'approchai de papi. Il était jusque-là resté souriant pour ne pas m'inquiéter mais maintenant que j'étais au courant, il ne parvenait plus à retenir ses larmes.

Je le serrai dans mes bras.

-Ne sois pas triste, papi, je suis sûre qu'elle va bien...

Il sourit tristement à travers le voile d'humidité qui recouvrait désormais son visage.

Je m'écartai de lui. Je me sentais mal à l'aise. Je n'avais pas l'impression d'être à ma place parmi tous ces pleurs. Je ne ressentais pas les choses de la même manière. J'étais triste de savoir que je ne reverrai plus ma grand-mère, mais je trouvais en même temps que cette tristesse était une preuve d'égoïsme. Pourquoi la mort était-elle considérée comme si mal ? Personne ne souffrait dans la mort. C'était, en tout cas, ma vision des choses, et peut-être que celle de ma famille était différente.

-Ne pleurez pas...

Je sursautai et me retournai. Une vieille femme se tenait sur ma droite. Elle observait son mari et son fils d'un regard empli de tendresse que je ne lui connaissais pas.

-Mamie ? Chuchotai-je.

-Tu peux me voir ? Demanda ma grand-mère étonnée.

Je hochai la tête avec la bouche grande ouverte d'effarement.

-Tout va bien ? Demandai-je après quelques secondes durant lesquelles je tentai de me remettre de ma surprise.

-Le fait que je suis morte, mis à part, je suppose ?

J'acquiesçai.

-Plutôt bien, oui. Je dois juste dire au revoir avant de m'en aller.

-T'en aller où ?

-Disparaître définitivement de la surface du monde. Cesser d'exister.

Je relevai la tête pour regarder comment allaient papi et papa. Je ne me rendis compte qu'à ce moment-là que ce dernier me fixait. Une interrogation flottait dans son regard.

J'y répondis par un hochement de tête et un grand sourire.

-Que vient-il de se passer ? Demanda mamie.

Je souris. Papa ferma les yeux et lorsqu'il les rouvrit, son regard se posa sur sa mère.

-Tu peux aussi me voir ? Murmura-t-elle alors que les larmes lui montaient aux yeux.

Il acquiesça imperceptiblement, la gorge nouée par l'émotion.

C'était sa mère. Il allait perdre sa mère. Je ne m'étais par rendue compte de l'horreur de la situation jusque-là parce que je ne tenais pas à elle plus que ça. Elle n'avait pas été bonne avec moi. Elle n'était pas méchante mais elle n'était pas agréable non plus. Ce n'était pas comme si papi, maman ou papa était mort. C'était juste mamie.

Mais quand je vis papa et la tension qui contractait ses muscles. Quand je vis les perles d'eau rouler sur ses joues, je sentis mon cœur ses serrer. Chaque battement résonnait longuement dans ma poitrine. J'avais la sensation que mon cœur était écrasé et qu'à chaque seconde, ma cage thoracique se refermait davantage sur lui.

Les larmes glacées qui tombèrent de mes yeux laissèrent un sillon brûlant sur mes joues.

J'étais triste ! Pourquoi étais-je si triste ? Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Je ne m'étais jamais sentie aussi mal. J'avais tout-à-coup l'impression que le monde ne survivrait pas à cette perte.

Je voulus toucher mamie, me réconforter de sa présence à mes côtés, mais ma main passa au travers de sa robe grise comme si elle n'était qu'un fantôme. Car elle en était un.

Je frissonnai. Papa avait voulu faire la même chose, mais en voyant ma main s'agripper dans le vide, il se figea.

Maman avait emmené papi dans le salon et l'avait fait asseoir alors que papa m'avait rejoint près de mamie. Nous la fixâmes en silence, car c'était tout ce qui nous était accordé.

Tout-à-coup, papi se leva brusquement du canapé et se dirigea vers nous aussi vite que lui permettait ses vieilles jambes. Bientôt, il regarda mamie comme s'il la voyait tout en semblant guetter quelques choses. Quelques secondes plus tard, mamie s'illumina de mille feux, éblouissant papa et moi. Quand notre vision redevint nette, papi avait une main posée sur la joue de son épouse.

Sa main ne bougea pas lorsque sa compagne disparut avec la lumière.

Je me réveillai à cet instant. Quand serais-je à nouveau capable de dormir correctement ? Quand est-ce que ces souvenirs cesseraient-ils enfin de hanter mes nuits ?

Je m'assis sur mon lit, m'adossai sur la vitre et repliai mes jambes contre moi. J'étais si fatiguée qu'ils jaillissent sans prévenir, pourtant, j'avais rarement été aussi heureuse. Mes souvenirs me revenaient enfin. Mon enfance ne serait bientôt plus un mystère pour moi-même.

Je finis par me lever, encore ensommeillée, et pris la direction de la cantine où j'espérais retrouver Célestin et Seth. Ce ne fut évidemment pas sur eux que je tombai. Parmi les centaines de personnes figées dans le temps se tenait toujours Peter. A croire qu'il n'avait pas quitter la pièce depuis notre départ. Peut-être que Célestin nous avait ramené au moment où nous avions quitté la bibliothèque, me donnant l'impression que des heures et des heures avaient passé sans que ce ne fut vraiment le cas.

-Tu as vu Célestin ? Lui demandai-je simplement pour essayer de réduire le temps passé dans la même salle que lui.

Il ne leva pas la tête de son livre et se contenta de pointer du doigt une direction.

-Merci, murmurai-je en me dirigeant vers l'endroit indiqué.

Je franchis quelques intersections et portes avant d'apercevoir Célestin. Il se trouvait au milieu d'une salle de sport, avait les yeux bandés et tenait dans sa main une balle de tennis. Différents objets étaient éparpillés sur le sol parqueté : des tapis, des altères, des élastiques, des chronomètres, etc...

Quand je marchai dans la salle, le parquet grinça sous mes pieds et Célestin envoya la balle dans ma direction. Je tendis, par réflexe, la main pour me protéger et le projectile s'arrêta en plein vol à quelques centimètres de ma paume.

Célestin retira le bandeau qui lui couvrait les yeux et fronça les sourcils.

-Emma ? Qu'est-ce que tu fais là ?

-Je venais te voir pour te dire que tu pouvais remettre le temps en marche si tu veux, mais je ne m'attendais pas à me prendre une balle dans la tête...

-Tu ne te l'es même pas prise, déclara une voix.

-J'aurais pu, répondis-je en cherchant mon interlocuteur des yeux.

-Je suis désolé, dit Seth en apparaissant à côté de moi, cette balle m'était destinée.

-Qu'est-ce que vous faîtes exactement ?

-Célestin m'apprend à être plus discret dans mes déplacements quand je suis invisible, pour rendre mon pouvoir plus utile, m'expliqua-t-il.

-Tu es l'homme invisible ? On se rapproche dangereusement des 4 Fantastiques.

-C'est la femme invisible dans les 4 fantastiques, fit-il remarquer.

-Je sais, répondis-je, on a encore des progrès à faire.

Il sourit mais resta silencieux.

Pendant le cours instant de silence qui suivit, je remarquai que Célestin était mal à l'aise. Il était incroyable ! Il s'en voulait encore de m'avoir fait quitter mes grand-parents !

-Je vais bien, Célestin, arrête de culpabiliser...

-Je sais, répondit-il, Damien m'a prévenu que tu ne m'en voudrais pas...

-Alors arrête de t'en vouloir, s'il te plaît, le suppliai-je intérieurement.

Il me sourit et me demanda, pour changer de sujet, je suppose :

-Tu peux copier le pouvoir des autres, non ?

-En effet.

-Alors tu dois pouvoir remettre le temps en marche toi-même...

Je fronçai les sourcils.

-Je ne suis pas sûre qu'utiliser un pouvoir aussi puissant que le tien sois une si bonne idée...

-Je ne comprends pas pourquoi tu as tant de problèmes avec ton pouvoir alors que je n'en ai aucun avec le mien... fit-il remarquer avec un froncement de sourcils.

-Moi non plus, mais de ce que j'en sais, ma magie me rend malade depuis que je suis toute petite...

Je ne m'en étais pas aperçue, mais je n'avais jamais parler de quelque chose concernant mes souvenirs récemment revenus à qui que ce fût, faire de ce secret une chose ordinaire était particulièrement soulageant.

-Bon, tu essaieras une autre fois, déclara-t-il finalement.

-Ne traîne pas, c'est l'heure de manger, ajouta Seth avec un clin d'œil.

Au moment où Célestin laissa couler à nouveau le sable du temps, du moins au moment que je pensais être celui où il permit à celui-ci de suivre normalement son cours, une sensation désagréable, au sein de mon ventre, donna raison à Seth.

Je lui souris et me rendit dans la salle à manger. Tout le monde mangeait normalement, comme si rien ne s'était passé, parce que rien ne s'était passé pour eux. Pour moi, les choses avaient changé : voyager avec Célestin m'avait fait comprendre à quel point le présent était aussi important que le futur. Il s'en voulait de m'avoir fait quitter le confort d'une époque et d'une maison dans lesquelles je me sentais bien, mais il ne savait pas que par ce même fait, il m'avait permis de me rendre compte que mes amis me manquaient quand ils n'étaient pas là, et aussi improbable que cela puisse paraître après le temps que j'avais passé à le critiquer, que j'aimais l'Institut.

Et à cet instant, dans la cantine, entourée de toute cette vie - je m'en souviens comme si j'y étais - malgré Kilian qui m'en voulais, à ce moment précis il n'existait pas, et n'avais jamais existé un endroit sur Terre où j'aurais préféré me trouver.

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