Chapitre 31 : Avant la prochaine lune
[Je vous présente Aïrès, père de Kyraël et dieu créateur. C'est une créature aussi destructrice qui représente le Mal sur Terre.]
Levez-vous !
Delkateï s'éveilla en sursaut. Alors que ses sens peinaient à soutenir ce réveil précipité, son cœur battait à tout rompe dans sa poitrine. Fait encore plus incongru, Eole, Jyn, Aaron et Déméter avaient eu aussi été tirés de leur sommeil. L'écho de cette voix résonnait dans toutes les cellules de son corps dans un abominable écho.
— C'est Cobra.
Le nom de la créature circulait comme une rumeur au sein de l'école, mais Jyn l'avait assuré avec une telle vigueur que Delkateï n'osa pas le remettre en question. Il grogna, de sa voix plus rauque encore qu'à l'accoutumée :
— Et qu'est-ce qui nous veut à cette heure ? Me dis pas qu'on est encore tombé sur un type qui dort pas.
— Il s'est passé quelque chose de grave, éluda le Finlandais.
Au timbre employé, les autres comprirent que la situation ne devait pas être sous-estimée. Comme pour souligner cette pensée qui les unit, la voix qui les avait tirés de leur sommeil se fraya un passage jusqu'à leurs esprits vulnérables.
Rejoignez-nous dans le stade. L'heure presse.
Un sifflement accompagna ces dernières paroles, comme le début d'une migraine et ce fut fini. Aaron se frottait l'oreille avec ardeur, essayant en vain de chasser l'impression désagréable.
— Vous l'avez entendue ? s'enquit Eole, les mains crispées sur sa couverture défaite.
— Ouais, répondit Delkateï.
Le garçon acquiesça. Cette voix n'avait rien en commun avec celle de Kristal, mais il préférait sans assurer, au cas où un nouveau démon aurait trouvé refuge en son sein.
Jyn sauta sur ses jambes en premier, n'ayant pas fermé l'œil de la nuit, trop occupé à sonder les fils de l'avenir et les méandres du passé. L'urgence qui soufflait sur l'école ne l'épargnait pas et, malgré son indifférence feinte, il s'engageait plus que quiconque dans la lutte qui les attendait. Une lutte silencieuse qui ne semblait engager que lui.
Ses camarades suivirent le mouvement, plus ou moins déboussolé. Ils avaient tous été secoués ces derniers jours et s'ils cachaient précieusement ce trouble, la tension ne les quittait pas. Une tourmente dont ils ne voyaient pas le terme. Eole tremblait tellement qu'il manqua de trébucher, il ne dut sa survie qu'au réflexe d'Aaron qui le retint pas le bras avec un sourire désolé. Ils traversèrent les couloirs, se mêlant à la foule égarée d'élèves. Certains s'observaient en silence, Delkateï croisa le regard perdu de Ludo qui, orphelin de la silhouette rassurante d'Andrew, semblait privé d'une part de lui-même.
Des élèves murmuraient. On racontait que le fameux Cobra avait assassiné quelqu'un, un élève, peut-être même un des dirigeants de Diolyde. L'école fourmillait. Deux fois en à peine quelques jours. L'école vivait des jours sombres, des heures plongées dans une tourmente sans fin.
Delkateï se fraya un chemin jusqu'aux gradins où il s'installa aux côtés de Jyn. Son aîné observait l'herbe grasse sans desserrer les lèvres.
— Tu sais ce qu'il se passe, déclara l'Italien, sans quitter des yeux le stade immense qui s'ouvrait à son regard encore fatigué.
Jyn haussa les épaules. Les derniers élèves rejoignent leur place, se faufilant entre les genoux et les sièges pour s'installer dans un brouhaha insupportable. Au milieu de la pelouse se dressait la silhouette énigmatique de Cobra et les murmures ne tarissaient pas à son encontre. Andrew les rejoignit, une ombre implantée sur son visage de colosse. L'étudiant qui se tenait assis à côté de Ludo s'éclipsa immédiatement, laissant sa place sans rancunes. Le plus jeune l'interrogea d'un regard incertain. Une atmosphère indescriptible s'était abattue sur Diolyde.
— Votre directeur a trouvé la mort.
Un sursaut ébranla toute l'assemblée, élèves et professeurs confondus. Nul ne saurait estimer quoi précisément les choquait à ce point. Serait-ce le fait que Cobra s'exprime sans même remuer les lèvres ? Ou bien que sa voix porte aisément jusqu'à eux ? Ou alors la nouvelle en elle-même ? Un savant mélange des trois, plus probablement.
Aaron suffoquait, la main portée à sa poitrine. Eole, inquiet, se tira de la rassurante proximité que lui témoignait Eléonore pour poser une main délicate sur l'épaule de l'Australien. Diolyde tout entière était sous le choc de la brutale disparition.
— Non... murmura le filleul du défunt, d'une voix blanche qui se perdit dans les chuchotements de ses camarades. Pas lui...
La mort les effleurait souvent, mais il y avait longtemps qu'elle n'avait pas ravi une vie. Pourquoi celle de Kourrage, pourquoi celle de l'une des pièces maîtresses, discrètes, mais indispensables ? L'absence du directeur s'abattit soudain sur l'ensemble du stade, un vide affreux que rien ne saurait combler.
— Le Mal est désormais éradiqué à Diolyde, mais elle a fait une dernière victime.
Cobra s'exprimait comme si cela ne l'émouvait guère et il en était peut-être ainsi. Cette créature paraissait étrangère aux sentiments humains et cela avait quelque chose de glaçant. Le doute investissait les cœurs et l'hypothèse qu'il serait le véritable coupable ne quittait pas les esprits. Comme deux gardes du corps de ce géant aux membres interminables, Laurian peinait à soutenir le regard des étudiants tandis qu'Eran gardait le menton haut. Dans les gradins, sa femme l'observait d'un œil à la fois peiné et suspicieux. Ils ne les avaient pas rassemblés au milieu de la nuit pour leur apprendre la mort de Kourrage, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.
— Malgré le deuil qui nous accable tous, reprit Eran, d'une voix ferme, mais qui laissait sous-entendre sa propre tristesse, Diolyde ne peut pas rester sans directeur. La menace que représente la Sixième zone n'a jamais été aussi forte et nous devons être en mesure d'y répondre. Je mènerai Diolyde. Il n'y a pas meilleure manière d'honorer la mémoire de Kourrage que d'accomplir ce qu'il souhaitait. Nous devons combattre l'ennemi.
La foule s'agita tandis que Delkateï s'interrogeait. Il pourrait presque croire que son père profitait de cette belle occasion de reprendre les rênes de l'établissement, une opportunité que l'homme saisissait à pleine main. Ou bien serait-ce le devoir qui motivait les actes de son père ? La fatigue et la surprise influençaient son jugement, inexorablement.
Un silence s'installa alors que Laurian intimait à son ami et à la créature de laisser aux élèves le temps d'absorber ces nouvelles. Personne ne voulait croire en la mort de Kourrage et même Delkateï s'attendait à le voir surgir. L'homme s'était éteint si vite. Aaron observait le vide, son visage figé dans une expression douloureuse. Malgré son teint naturellement hâlé, dans la lumière blafarde des projecteurs qui éclairaient le stade, il était d'une pâleur extrême.
— C'est quoi ce délire... souffla l'Italien, du bout des lèvres.
— Calysta a disparu depuis maintenant près de trois semaines et nous avons découvert il y a peu qu'elle était vraisemblablement une élue des Dieux, une Instinct.
L'agitation se propagea à nouveau. La cinquantaine d'élèves que comptaient Diolyde réagissait différemment. Si certains conservaient un silence buté, plongés dans leurs réflexions, la plupart cherchait l'approbation au désaccord de leurs camarades. Personne ne savait quel comportement adopter. Ils formaient une foule, une foule qui pouvait aisément se retourner contre les indications des dirigeants. Privés de leur pièce maîtresse, de la silhouette fatiguée, mais efficace de Kourrage, ils leur manquaient quelque chose. Comme si Diolyde protestait contre cette succession rapide, contre cette discussion qui se tenait au beau milieu de la nuit et contre cette perte intolérable.
— Et vous voulez qu'on aille crever pour la chercher ? s'écria une adolescente aux cheveux noirs corbeau et au nez traversé d'une épaisse barre métallique.
— Chaque combat exige sa part de sacrifice.
— Personne ne serait allé mourir pour elle si c'était pas une élue des Dieux, ricana la jeune femme, les bras croisés sur sa poitrine en signe de rejet, une mèche de cheveux égarée sur son visage.
— Lorsque je me suis échappé de la Sixième zone, j'ai promis à votre amie de venir la chercher. Ma parole a plus d'importance que ma vie, si je dois mourir, alors je mourrai.
Un frisson parcourut l'épiderme de Déméter. Il avait l'impression de connaître cette créature et, surtout, il ressentait chaque parole avec une telle intensité qu'il peinait à le supporter. Il ne douta pas un seul instant de sa parole.
— J'ai passé des années prisonnier de l'ennemi et si Diolyde contient autant d'âmes fidèles aux Dieux que ce que j'espère, alors je vous y guiderai.
L'adolescente se tut alors qu'Eran observait en silence cette foule faite de visages fatigués, d'expressions peinées et d'un égarement singulier. Un nouveau drame venait d'ébranler l'école et il ne pouvait pas se payer le luxe de laisser à ses élèves le loisir de se remettre du choc. La Sixième zone détenait un Instincts, une élue des Dieux, et cet avantage pouvait bien leur permettre de faire basculer le monde dans le chaos. Ces enfants ignoraient encore, pour la plupart, le poids des responsabilités qui les écrasait. Car ce qui se produisait sur Diolyde aurait des répercussions sur le monde, à des lieux géographiques précis qui changeaient sans cesse. Une catastrophe naturelle dévastatrice qui sévissait brusquement, la Terre qui se révoltait contre cet invité de marque trop envahissant. Diolyde était le théâtre, ses élèves les acteurs et le reste de l'humanité la spectatrice de la tragédie qui se jouait.
Eran accusa un regard pour celle qu'il avait aimée, celle qu'il aimait toujours. Joy était pétrifiée au même titre que les adolescents. Elle découvrait un nouvel échantillon de l'horreur qui se tramait ici. Elle devrait regagner Naples dans que cela était encore possible et Eran se promit de lui en toucher un mot. Il refusait de sacrifier son épouse, l'idée que son unique fils soit forcé d'offrir sa vie lui paraissait déjà suffisamment pénible. Il serra la mâchoire, les sourcils joints et le cœur battant. Il essayait, au même titre que Laurian, de ne pas trop songer au visage figé dans la mort de son ami, des veines noires qui courraient sur sa peau et de l'expression macabre qui enlaçait ses traits.
— La disparition de Kourrage a rendu Diolyde plus vulnérable qu'elle ne l'a jamais été et si l'ennemi apprend cette faiblesse, elle n'hésitera pas un seul instant à en profiter. Nous avons derrière nous le soutien des Dieux et si le combat a longtemps été écarté, il n'est plus question de...
— De respecter les valeurs de Kourrage ? s'enquit Delkateï, depuis le haut des gradins.
— D'attendre qu'on nous attaque pour rappliquer.
Si Eran ne laissa rien deviner de son trouble, son fils sut que son expression impassible cachait une nouvelle déception. Un nouveau revers.
— La Sixième zone a échoué une fois et elle se donnera les moyens de réussir. C'est pourquoi l'école entière doit se préparer à l'offensive. Si la surprise joue en notre faveur, nous aurons une chance de sauver Calysta et d'affaiblir l'ennemi.
Eran scrutait les réactions, évitant scrupuleusement le regard de son fils. Pourquoi s'acharnait-il de la sorte ? Par simple amour du risque et de la provocation ? Non, le père savait bien qu'il existait une raison plus intime et plus profonde à cela. Une rancœur forgée par les années et contre laquelle le regard désapprobateur de Joy ne pouvait rien. Cobra, toujours immobile, déclara de sa voix pénétrante :
— L'offensive aura lieu à la prochaine lune.
Un chapitre assez court pour souffler un peu. Le milieu du deuxième tome est passé et j'ai toujours plus d'un demi tome d'avance. J'ai cependant mis en suspens l'écriture d'Instincts puisque je suis débordée avec mes autres projets et que j'hésite au sujet de la manoeuvre à suivre : dois-je réécrire les tomes déjà écrits ou dois-je poursuivre, sachant qu'un certain nombre d'idées ont changé depuis mon dernier passage sur le premier tome, et achever le premier jet de la saga avant de revenir sur mes pas ? J'hésite très honnêtement.
Je vous souhaite, sur ces quelques interrogations, une belle fin de semaine <3
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