Chapitre 21 : Réceptacles

[La version finale de ce personnage assez emblématique (et charismatique si je ne m'abuse, le genre de perso auquel on ne de frotterait pas). Je suis en train de redessiner les personnages divins d'Instincts alors préparez-vous à des physiques plutôt... originaux (voire monstrueux en fait). En espérant qu'il vous plaira !]

Delkateï ignorait tout de l'enfer dans lequel son ami était sur le point de périr. Il déambulait dans les couloirs à nouveau vides et, dans sa tête, rugissait encore l'agitation des derniers instants. Il ne pouvait pas regagner son lit maintenant. Si son corps réclamait un sommeil bien mérité, son esprit, lui, ne tolérerait pas une once d'inactivité après ce à quoi il avait été confronté. Le tempérament de l'Italien l'empêchait d'accéder au repos.

Il ignorait l'heure exacte et cela n'indifférait. L'idée que tout puisse rentrer dans l'ordre, exactement comme ce qu'il s'était produit après la disparition de l'espion et l'enlèvement de Calysta, le révoltait. Il en avait assez d'être tenu dans le mensonge, qu'on lui bande les yeux et qu'on lui plonge le visage sous l'eau. Il voulait voir, savoir, comment pourrait-il combattre sans ces précieux éléments en sa possession.

Où allait-il ? Ses pas le menaient aux réponses tant désirées et c'était amplement suffisant. Parfois, il avait le sentiment que rien n'avait changé, rien si ce n'est une bien faible proportion de connaissance. Dès qu'il levait le voile sur un mystère, un autre apparaissait, initiant un processus sans fin dont le garçon était malade. Il voulait se battre désormais, il portait en lui la résolution nécessaire, un objectif plus concret : Calysta.

Il ne pouvait l'imaginer seule entre les mains de la Sixième zone. S'il en savait bien peu au sujet de l'établissement jumeau de Diolyde, il ne doutait pas de leur détermination et de leur cruauté. Si les élèves et professeurs de cette école étaient aussi fous que Jo l'avait été, leur jeune otage pouvait tout aussi bien n'être plus de ce monde à l'heure où tous hésitaient encore à intervenir. Delkateï n'acceptait pas un tel comportement.

Il gravit les escaliers, ignorant l'atmosphère mystique qu'empruntait Diolyde durant la nuit. Cette aura qui collait aux murs de l'édifice comme une seconde peau et qui s'intensifiait à la tombée du jour. Inconsciemment, un frisson parcourut l'épiderme de l'adolescent qui ralentit la cadence de ses pas. Il prit une brève et profonde inspiration, recentrant son attention sur les signaux que son corps lui envoyait. La bête s'agitait. Le monstre qui sommeillait tout le mois paraissait bouger dans son interminable repos. Pourquoi ? Quel danger cette chose pouvait-elle pressentir ?

Delkateï passa sa main dans ses mèches emmêlées par le sommeil. Il n'était pas présentable et ne tenta même pas d'arranger son allure. Après tout, personne ne lui en tiendrait rigueur et il oublia bien vite la sensation désagréable née au creux de son estomac.

La porte de l'infirmerie avait été laissée entrebâillée et une lumière s'y diffusait. L'Italien avait vu juste, c'était là-bas, à l'écart des oreilles indiscrètes, que les dirigeants de Diolyde prenaient connaissance de la situation. Delkateï l'ignorait, mais être à la tête d'une école nécessitait un certain sens de l'organisation et de l'anticipation. L'étudiant ignorait toutes ces modalités, il ne jurait que par l'action impulsive et directe, fermant les yeux sur ce qui pouvait la contraindre. Sa jeunesse l'excusait, mais elle pourrait bien l'entraîner vers de dangereuses décisions. Le garçon s'arrêta juste à côté de la porte et plaqua son dos contre le mur en briques. Il retint sa respiration et tendit l'oreille :

— Est-ce que tu... Est-ce que vous pourriez nous répéter ce qu'il s'est passé ?

— Nous ne sommes pas certain de comprendre. Comment Déméter a-t-il pu créer cette brèche dans le dôme protecteur de Diolyde ?

— Il ne s'agissait pas de lui.

Delkateï reconnut la voix de son ami, Jyn, mais les inflexions différaient. Il s'agissait de détails sans doute insignifiants, mais l'adolescent ne put que sourciller. Il ne bougeait pas, prenait de rapides et inaudibles inspirations et buvaient chaque parole comme un nectar enivrant.

— Je vous l'expliquerai, mais avant...

Delkateï sentit l'air de ses poumons se vider, une étreinte glacée le saisir et lui couper la respiration. Une douleur vive et brusque le frappa de toute son intensité et il ne put retenir une plainte sèche, étouffée.

— ... il serait bon d'accueillir notre invité.

L'Italien ne lut pas la surprise sur le visage des dirigeants, choqué par la puissance qui l'avait fauché l'espace d'un instant. La souffrance, éphémère, avait mis à rude épreuve toutes ses cellules et un vertige manqua de terrasser pour de bon.

— Delkateï, si tu veux bien nous faire l'honneur de ta présence.

Cette fois, il n'eut plus le choix et il se maudit pour sa bêtise. Une rage sourde l'envahit, dirigée vers Jyn, comme si la faute lui revenait et que son ami venait de trahir la confiance qu'il portait en lui. Il avança de quelques pas, masquant habilement la douleur qui avait été sienne quelques instants plus tôt et découvrit avec stupeur que l'être qui se tenait au milieu de la pièce n'avait rien en commun avec son camarade. Il n'y avait pourtant pas de signe physique particulier, mais la lueur dans les confins de son regard en disait long. Son attitude, ce qui se dégageait de son corps, son aura, ne pouvaient mentir.

— Delkateï ! rugit Eran, déçu de constater que son fils n'avait pas mieux à faire que d'écouter aux portes.

— J'arrivais pas à dormir, se justifia-t-il, sans même lui accorder un regard, comme si ce prétexte suffirait à excuser son comportement.

— C'est un honneur de te rencontrer, articula Jyn, une lueur étrange brillant dans son regard.

— Vous n'êtes pas Jyn, dit Delkateï, son regard vrillé sur la silhouette mensongère, cette enveloppe charnelle vide de la conscience de son ami. Qui êtes-vous ?

L'adolescent n'avait même pas pris la peine de détailler la pièce. Kourrage était assis au chevet de Déméter et, plus loin, la créature gisait, consciente. Le teint cireux de sa peau amena Delkateï à douter : était-il mort ou juste endormi ? Laurian, aussi las que son aîné, reposait sa jambe invalide, assis de l'autre côté du lit, surveillant avec inquiétude l'état de son élève. Jyn, ou plutôt l'être divin qui avait élu domicile en son corps, se jouait du silence et de ses répercussions. Il finit cependant par mettre un terme au supplice du jeune garçon, lui témoignant trop de sympathie, aussi étrange cela puisse paraître, pour poursuivre en cette voie. Il déclara, sans élever le ton :

— Je suis Davaran, l'un des six Dieux du Panthéon ancestral, créateur de ce monde et de tout ce qui l'habite de puis des milliards d'années.

Delkateï perdit l'ensemble de sa contenance. Il pâlit brusquement. Il aurait pu peiner à croire en ces belles paroles, mais l'idée qu'on puisse lui mentir sur un sujet aussi important lui parut intolérable. Il s'inclina avec une docilité, une dévotion étrange, presque incongrue, qui étonna son géniteur. Le choc les avait tous étreint, à un moment ou à un autre.

Alors, Davaran s'immergea dans de longues explications. Son impatience lui soufflait de passer outre certains détails, mais il se força à soulager la curiosité humaine. Il s'éternisa sur l'intervention miraculeuse de Cobra, sur ce qui avait poussé Déméter, quelques instants plus tôt, à franchir le dôme. Les hommes conscients rassemblés dans l'infirmerie buvaient ses paroles pendant que l'infirmière s'occupait en silence des deux patients.

— Déméter est-il... ? s'enquit Kourrage, au terme de ce monologue.

— Il est sauf et le parasite n'a pas survécu. J'ignore quelle résistance oppose un être humain, mais quelques heures tout au plus et il s'éveillera.

Il passa une main devant le visage aux traits détendus de Déméter comme il l'avait fait au cœur du gouffre, sans le toucher. Ses doigts ondulèrent un bref moment avant qu'il n'acquiesce très lentement, confirmant son pronostic.

— Sylvie, qu'en pensez-vous ? s'enquit Eran, sans quitter les yeux la puissante créature.

— Il n'a aucune lésion, c'est... plus qu'étonnant. Il n'a pas de signes d'hypothermies non plus, ses tissus sont intacts. C'est un véritable miracle.

Davaran, à ces dernières paroles, laissa un fin sourire fleurir à ses lèvres. Un miracle ? Peut-être considéraient-ils l'intervention d'un Dieu comme un miracle en soi ? Personne n'osait poser les questions qui brûlaient leurs lèvres, impressionnés par l'importance de celui qui faisait l'honneur de sa présence parmi eux. Jamais une divinité aussi importante n'était intervenue dans l'enceinte sacrée de Diolyde.

— Vous êtes venu pour le sauver, pourquoi ? l'interrogea Delkateï, sous les œillades inquiètes de son père

— J'ai été appelé. Cobra m'a invoqué, il m'a éveillé dans le corps de mon réceptacle et il semblerait que la puissance de ses talents lui ait soufflé la place capitale que jouerait ce garçon dans la guerre qui est nôtre. Déméter avait déjà été sauvé lorsque je suis venu à son secours. Il semblerait que l'un des miens tiennent à l'existence de cet enfant.

Delkateï sourcilla. Comment cela était-il possible ? Déméter ? Davaran ne paraissait pas disposé à leur communiquer l'identité de ce sauveur, laissant planer le doute avec habilité.

— Jyn est donc un Instincts, souffla Kourrage, caressant pensivement la barbe qui avait poussé sur ses joues.

— Il me faut partir, énonça Davaran, sans confirmer quoi que ce soit. Je vous demande d'offrir à Cobra toute l'hospitalité dont Diolyde est capable. Il vous sera un précieux atout dans la lutte que nous menons, mais surtout, il est un ami inestimable que nous n'avons su sauver. Accordez-lui votre confiance, il n'est pas plus fidèle à notre cause que lui.

Le corps de Jyn disparut derrière un nuage violet et noir. La marque divine de Davaran, le Dieu d'une magie puissante et vénéré des rares qui se rappelaient encore de son existence. Delkateï aperçut l'ombre d'une silhouette derrière celle de son ami, des cheveux hirsute et une haute taille. La véritable apparence de la divinité qui s'extirpait de son réceptacle.

— Nous nous reverrons.

L'attraction se rompit. Chacun aurait aimé retenir cet invité de prestige entre les murs de Diolyde, mais on ne modelait pas la volonté d'un Dieu et personne n'essaierait de le soumettre à sa volonté. Les humains, respectueux de la parole de l'un de leurs créateurs, s'inclinèrent dans un mélange de surprise et de dévotion.

Le charme céda et la brume opaque se retira, abandonnant un adolescent chancelant, déboussolé, troublé par ce qu'il venait de vivre. À nouveau lui-même, Jyn hoqueta, la main portée à son crâne pour effacer les effluves d'une solide migraine. L'épuisement se lisait sur son visage défait et, alors que tous se tenaient là, pendus à ses lèvres, et plutôt que céder à l'inconscience qui lui ouvrait ses bras, il trouva encore la force d'articuler, plus bas qu'un murmure :

— Eole... Il est en... en danger...

Un chapitre plus court pour vous laisser souffler (ou pas, finalement). Le chapitre est finalement plus transitif qu'autre chose, je dirais, puisqu'il fait la transition entre deux pans de l'intrigue. Le tome 2 bouge largement plus que le tome 1 (tome 1 que je compte par ailleurs réécrire en profondeur dès que la saga sera achevée, soit pas avant un long moment). 

Ah, et je touche à la fin, plus que quatre chapitres avant la fin du tome. On y croit !

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