Chapitre 20 : Elles blessent toutes la dernière tue

[Deuxième étape du dessin, l'encrage. Le dessin n'est plus tout récent, mais j'en suis toujours satisfaite et c'est assez rare. Il faudrait que je retente un autre dessin à l'occasion !]

Une sorte de panique mêlée d'exaltation s'était éprise de l'école. La fatigue d'avoir été tiré de leur sommeil au beau milieu de la nuit avait vite été occultée par ce qui s'était produit juste sous leurs yeux. Un être venu d'ailleurs, de cela personne ne doutait, avait ramené Déméter au beau milieu de la nuit accompagné de Jyn. Leur ami, bien conscient, paraissait étrangement différent, comme si le corps qui avait traversé la brèche n'appartenait plus au Finlandais, mais à une personnalité plus puissante encore. Cela avait suffi à raviver les théories loufoques des étudiants alors que Kourrage hésitait face à l'inédit de la situation.

— Rentrez dans vos chambres, tous ! clama Eran, qui le devança avec un aplomb que son aîné ne pouvait se vanter détenir.

Les adolescents n'avaient pas obéi immédiatement, incapables de se tirer du spectacle qui se jouait sous leurs yeux. Ils ne sauraient estimer le détail qui leur semblait le plus inhabituel : l'apparence monstrueuse de l'inconnu, l'apparence et l'attitude solennel de Jyn, la brèche qui déchirait le dôme protecteur de Diolyde ou encore le visage inconscient de Déméter, ses vêtements déchirés par endroit prouvant une mystérieuse mésaventure.

— Restez confinés dans vos chambres jusqu'à l'heure du déjeuner demain matin ! poursuivit le bras-droit de Kourrage, alors que celui-ci évaluait rapidement la situation.

— Mais, monsieur Lytaël, nous...

— Pas de discussion !

— Nous vous expliquerons la situation dès que nous le pourrons, assura doucement le directeur, pour expéditif que le père de Delkateï.

Les étudiants jouèrent le jeu dans un brouhaha démonstratif de leur incompréhension. Aaron, après avoir récolté les avis de ses nombreuses connaissances, rejoignit le petit groupe qui avançait d'un pas lent vers leurs dortoirs.

— Vous aviez remarqué que Déméter était sorti ? s'enquit l'Australien à la tignasse flamboyante.

— Non, répondit Delkateï, du bout des lèvres, la sécheresse de ses propos ne servant qu'à masquer une immense culpabilité. Jyn a dû le remarquer, lui.

— C'est pour ça qu'il est sorti...

— Déméter avait une attitude étrange depuis quelques jours.

Eole broyait du noir dans un silence qui en disait long. Cette situation lui pesait et il ignorait la raison de ce trouble. Le surnaturel s'invitait entre les murs de Diolyde et il avait le sentiment que son secret, si on pouvait encore le désigner comme tel, devrait bientôt exister au grand jour. Combien de temps avant que Kourrage ne le presse d'user de ses facultés ? Dès qu'il en aurait écho, il ne doutait pas un seul instant qu'il lui faudrait mettre ses aptitudes au service de leur cause. Le fait d'apercevoir l'inhumanité de ce qui semblait être un invité sinon un ennemi le menait à resonger à son propre fléau.

— Quoi que les dirigeants apprennent cette nuit, nous n'en saurons pas toute la vérité, lâcha-t-il.

— Qu'est-ce que tu en sais ? s'enquit Aaron, une pointe d'agressivité dans la voix, agacé que son ami se permette un tel jugement à l'égard de son parrain.

— C'est ce qu'ils feront si ça peut éviter un nouveau mouvement de panique.

L'Australien s'arrêta, laissa passer les retardataires qui ne paraissaient pas motivés à regagner leurs chambres, et toisa Eole avec ce qui ressemblait à de la colère maîtrisée.

— On n'en sait rien, on ne sait même pas qui était ce type. Ça peut-être un ennemi comme un allié.

— Si la situation leur échappe, ils ne diront rien. Je ne peux pas leur en vouloir, j'agirai de la même manière à leur place.

— Tu n'es pas une généralité, Eole !

L'intéressé eut un mouvement de recul et une moue froissée. Aaron le préservait de son impulsivité d'ordinaire et il n'était pas habitué à faire les frais d'une quelconque méchanceté en dehors de celle de Kristal. Cela le heurta plus que de raison, comme s'il réalisait soudain que ses amis pouvaient, eux aussi, le blesser. Il déglutit, fuit le regard accusateur d'Aaron qui se confondait avec la nuit, avant de fuir pour de bon. Sa silhouette gracile, presque fantomatique dans sa robe de chambre trop grande pour son corps fin, les quitta abruptement.

— Eole !

C'était Eléonore. La jeune Brésilienne ne comprit pas l'attitude de celui qui endossait dorénavant le rôle de petit-ami en toute discrétion. Si elle ne s'était pas attendue à une démonstration particulière, elle ne put cacher sa déception lorsqu'il la dépassa sans même un regard. L'adolescente réorienta son attention sur le duo et Delkateï lui octroya un sourire d'excuses avant d'apostropher Aaron :

— Des fois, je me dis que t'as encore moins de tact que moi !

— Quoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

L'Australien n'était visiblement pas d'humeur. Était-ce l'œuvre de cette nuit agitée, le résultat de l'épuisement ou bien autre chose ? La personnalité du garçon se démarquait étrangement en cette nuit et Delkateï s'en fit la réflexion durant un bref instant. Il ébaucha l'intention de s'en aller, lui aussi, dans le sens contraire à la direction de leurs dortoirs. Cette fois, Aaron ne le laissa pas filer, l'attrapant par l'épaule dans une exclamation :

— Où est-ce que tu vas ?

— J'ai des trucs à régler.

— Ces trucs peuvent pas attendre demain ?

— Non. Tu ferais bien de préparer des excuses avant le retour d'Eole.

L'Italien profita de son étonnement, comme s'il n'avait pas songé, pas même un seul instant, que la faute puisse lui revenir, et se délogea de son emprise. Sans laisser à son interlocuteur le temps de réagir, il reprit sa route, lançant à voix basse, mais assez haut pour se faire entendre :

— Je vais m'assurer qu'on ne puisse pas nous mentir !

Aaron, éberlué, suivit l'ombre de son ami disparaître à l'angle d'un couloir. Il soupira. Décidément, quelles mouches les avaient-ils piqués ? Une main recoiffa les mèches rebelles que son réveil précipité n'avait pas permis de dompter et il reprit le chemin de sa chambre. Il se sentait fébrile, lui aussi et cela entachait son jugement bien plus qu'il ne saurait l'admettre.

Delkateï marchait sans savoir où le mènerait ses pas. La seule chose dont il était certain, c'était qu'il ne parviendrait pas à retrouver le sommeil après ce à quoi il venait d'assister. Le regard de cette créature le hantait, il ne parvenait pas à en occulter le souvenir de son esprit. L'être venait d'ailleurs, tout comme Kristal, mais le mystère demeurait entier. Il mourait d'envie d'en apprendre davantage, de soudoyer les dirigeants s'il le fallait, d'écouter aux portes si cela s'avérait nécessaire. Sa mère se trouvait dans l'enceinte de l'école et il refusait qu'il lui arrive malheur. Elle était exposée et l'idée qu'elle puisse souffrir était insupportable aux yeux de sa progéniture.

Delkateï se voyait lentement rongé par la culpabilité. Tout un amas d'émotions contraires déferlait au rythme de ses pas, mais la honte s'en détachait. Il avait laissé Déméter partir tout en sachant qu'il mentait. Il aurait dû le retenir par tous les moyens plutôt que jouer les insensibles, l'éternel détaché. D'une manière ou d'une autre, il était rattaché à ce qu'il s'était produit. Il se désignait comme le coupable du sort, quel qu'il soit, de son ami. Bien qu'il ne garde aucun souvenir de sa mésaventure et qu'il ignore que le parasite qui s'était logé dans le corps de Déméter avait auparavant élu domicile dans le sien, la culpabilité demeurait inchangée.

Eole avait déjà bifurqué à l'angle d'un couloir et descendait sans ralentir les marches des escaliers. Il était tard et s'il n'avait aucune idée précise de l'heure, il imaginait bien que les infrastructures flambant neuves de Diolyde n'étaient pas habituées à recevoir des visiteurs au beau milieu de la nuit. Il s'enferma dans l'une des nombreuses pièces qui composaient cette aile secrète de la forteresse. Chaque cellule ne pouvait acquérir que cinq personnes au maximum et était spécifique. Si certaines comportaient des armes inoffensives dédiées à l'entraînement du débutant au guerrier aguerri, d'autres comprenaient des machines plus étonnantes. Celle dans laquelle pénétra Eole n'aurait pas dû accueillir d'élèves seuls.

Le garçon savait dans quoi il s'engageait. Devant lui se dressait un immense tableau de bord aux inscriptions particulièrement complexes. Aucun étudiant n'y avait encore mis les pieds, Eran l'avait justifié en précisant qu'ils en feraient usages lorsque tout le monde se serait familiarisé avec les équipements plus classiques. Eole n'avait jamais été de ceux qui désiraient plus que tout atteindre le niveau nécessaire à cette partie de l'entraînement. Il savait que ce programme visait à endurcir, mais cette perspective l'effrayait. Il craignait que Kristal en ressorte renforcé et non lui.

Eole s'humecta les lèvres et rassembla un amas indistinct de pensées. Il se sentait au pied du mur sans en comprendre la raison. La créature qui sommeillait en lui, le démon, le manipulait peut-être. Kristal avait la puissance suffisante pour contrôler ses désirs les plus impalpables pour en faires de cruelles alliées.

— Faites que cela fonctionne...

Une supplication adressée aux Dieux eux-mêmes. Eole ignorait que les Dieux se trouvaient si proche, à l'intérieur même de ces murs. Il pianota nerveusement sur les touches, alluma l'engin et le tableau numérique s'illumina de voyants lumineux. L'adolescent poursuivit sa manœuvre, appuyant compulsivement sans connaître les fonctions qu'il activait. Il se mettait à l'épreuve, il se confrontait au pire et le souhaitait plus ardemment que jamais. Il ne supportait plus sa lâcheté, sa faiblesse, son intolérable vulnérabilité. Il lui fallait se débarrasser de Kristal ou bien de lui-même.

Sa respiration se suspendit lorsque la porte à gauche de l'imposant appareil s'ouvrit dans un souffle froid. Il y était parvenu et il se révélait le premier surpris.

Alors ? On se dégonfle ?

Eole secoua la tête pour chasser cette voix persistante et, sans attendre, il se glissa dans l'ouverture. Cette brèche qui lui paraissait à tout point semblable à celle de Diolyde, celle que le mystère entourait. À l'intérieur, une pièce blanche, d'une neutralité glaçante. La température y était acceptable et le garçon s'accroupit dans un coin, seul avec lui-même.

Tu n'es jamais seul, voyons, Eole.

Il cacha dans ses genoux son visage. Il ne voulait plus rien voir de ce monde hideux. Cette nuit plus que jamais, son inutilité sautait aux yeux. Il refusait de s'abandonner aux bras de cette guerre sans merci Kristal en était la cause, un moyen de se défendre contre les attaques d'autrui, puis fardeau une fois son arrivée entre les murs de Diolyde. Eole avait découvert que, ici, personne ne lui voudrait de mal désormais et la protection du démon en était devenue encombrante.

La température chuta de plusieurs degrés. Un être normalement constitué se serait laissé envahir par la panique. Le corps humain ne supportait pas des conditions aussi extrêmes et si le Russe avait été habitué à des grands froids, ses cellules ne sauraient y survivre. Il ignorait alors à quel point sa situation pouvait être semblable à celle de Déméter quelques interminables minutes auparavant.

Rapidement, en une poignée de secondes, les extrémités de son être bleuirent Avant de le réaliser, il avait perdu la mobilité de ses doigts et puis, peu après, toute sensation. Son corps luttait vainement contre l'enfer qu'il avait lui-même créé. Un enfer de glace. La tête d'Eole roulait contre le mur insensible et il lâcha un sanglot sec.

Ses cellules protestaient et l'instinct de survie se débattait. Qu'en était-il lorsque le cerveau combattait à l'inverse, en négation totale avec le reste du corps ? Le Russe avait déjà perdu toute lucidité, absorbé par une bataille qui ne le mènerait nulle part. Nulle part sinon à la mort. Mais n'était-ce pas ce qu'il souhaitait ? On retrouverait le lendemain son cadavre gelé, ou plusieurs jours après, les membres parfaitement conservés par les températures froides de cette enveloppe blanche. Cette pièce avait été créée pour déclencher un choc et, utilisée avec doigté et la présence obligatoire d'un adulte, elle aurait pu se révéler efficace. Mais Eole avait décidé de l'utiliser à tout autre escient.

Tu es fou ? Tu cherches à nous faire mourir ? Mais qu'est-ce que tu fais ? Pauvre incapable, ton corps n'est pas fait pour le supporter !

La litanie des cris enragés de Kristal le berçait. Il avait compris... Si Eole ne survivait pas, qu'en serait-il de celui qui avait élu domicile au cœur de son être ? L'adolescent lui posait un ultimatum, un marché presque inconscient. Les yeux clos, le Russe retenait les frissons qui se déposaient à la surface de sa peau. Il s'épuiserait à tenter de faire monter sa température corporelle, mais en quel but ? L'issue ne faisait déjà plus l'ombre d'un doute.

Eole ! Eole, réponds-moi ! Ne crois pas que je vais te laisser t'en sortir comme ça ! Tu vas me le payer, tu vas me le payer très cher !

— Je paies déjà... murmura la voix éraillée de l'intéressé.

Et il aurait continué à endurer si Kristal n'avait pas décidé abruptement que la plaisanterie avait assez duré. Il s'en allait reconquérir ce corps à l'abandon, se hissant hors des abîmes où il se terrait pour regagner le contrôle qu'il avait abandonné à son hôte. Si seulement Eole avait conscience que le démon pouvait tout à fait le faire disparaître de son propre corps s'il en avait l'envie. Si le garçon existait encore, seule la clémence de Kristal en était la cause. Or la créature ne permettrait pas de perdre son bien le plus précieux dans un acte de démence tel que celui-ci. Il annihila l'emprise d'Eole sur son corps à l'agonie et en prit les commandes.

Kristal se redressa dans la pièce froide, insensible, sienne.

— Je t'interdis de mourir, entends-tu ? gronda-t-il, à ce silence éternel.


J'avoue, j'étais inspirée concernant le titre. Et je suis plutôt contente de ce geste désespéré venant de ce cher Eole. Qui sait, ça permettra  peut-être de faire avancer sa situation... ou d'y mettre un terme définitif ? J'espère que ce chapitre vous aura plu autant que j'ai aimé le rédiger. Il me reste cinq chapitres à écrire pour Instincts et j'aurai achevé le tome deux. Un soulagement, je dois bien l'avouer, mais je ne suis pas au bout de mes peines, Instincts est loin d'être achevé !

Sur ce, je vous souhaite un très bon week-end et je vous dis à très vite ~

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